Citations de Paol Keineg (80)
Il pleut sur les coqs de bruyère…
Il pleut sur les coqs de bruyère
Il pleut sur les constellations de bouleaux blancs
Il pleut sur les charrues matinales barbouillées de terre glaise
Il pleut sur le pain chaud au sortir des fours visités d'un gros feu tranquille
Il pleut sur le poitrail des chevaux rubiconds
Il pleut à verse sur la pelouse des toits lacustres baignés de merles et de bouvreuils
Il pleut sur les femmes obstinées à emplir les églises par l'entonnoir des porches
Il pleut sur les planchers d'aiguilles de sapin sur l'escalier des mousses remuées
de salamandres
Il pleut sur le lac tranquille des âmes simples
Il pleut sur les hommes lourds et muets
Je m'éveille
Et je m'assois sur les talus limpides
Et je m'installe sur la fesse des montagnes de laine
…
nous sommes un peuple
aux colonnes de vent
aux portes estuaires
aux rires de pluie
aux chants d’outre-terre
aux vertèbres de plomb
au masque mortuaire
aux lampes d’argile
aux barrières de feu
aux cris crépusculaires
aux ongles noueux
[Paol KEINEG : "Le poème du pays qui a faim", éditions Traces (Le Pallet), 31 pages, 1967]
… J'accepte ce pays* parfumé de ronces,
où ricochent des vents de lumière jusqu'aux
falaises de la nuit forées d'oiseaux rêches,
où les églises s'offrent dans un désert de
brumes honnêtes,
où les femmes entrent à l'église, prudentes,
étouffées,
—et les hommes, les garçons, raides, rasés,
ruminent la rumeur du dehors,
une vieille coule goutte à goutte dans la
fontaine de ses mains soudées — ,
Je revendique ce pays
humide et brillant comme l'ardoise,
je revendique le silence et la mutilation, la
cécité, le délire et la désolation.
Au loin les terres lavées nous accompagneront
d'un goût d'abeilles et de lait.
* La Bretagne
[...]
Que naissent en moi les pluies câlines
Pour humecter les campagnes polychromes
Que saignent les fougères fripées pour le plaisir des hommes qui tâtonnent
Qu'éclatent les bouches captives de mon peuple enfanteur d'hirondelles
[...]
Paol KEINEG : "Hommes liges des talus en transes", extrait du recueil de poèmes "Hommes liges des talus en transes" précédé de "Le poème du pays qui a faim" et suivi de "Vent de Harlem", éditions P. J. Oswald, coll. "L'aube dissout les monstres" (n° 26), 1969 — oeuvre interprétée par Alan STIVELL, album "Trema'n Inis"/" Vers L'Île", 1976]
DÉSERT DE L’ARIZONA
Nuit d’épines et de menthe
Des plantes en laine de couteau
Aux longs poils sous le ventre
Du froid de l’herbe des épines
L’aveu de la lune et des étoiles
On ne peut pas tout comprendre.
[...]
Le silence
Le champ clos du silence
La fermentation du silence
Qui butte contre les vitres
Hommes je vous parle d'un temps qui nous appartenait plus
Mais d'un temps artésien qui sourd au moindre coup de pioche
Je vous parle du temps où l'on bâtissait les forêts
Du temps où chaque fleur recevait des hommes le sel du langage
[...]
[Paol KEINEG : "Hommes liges des talus en transes", extrait du recueil de poèmes "Hommes liges des talus en transes" précédé de "Le poème du pays qui a faim" et suivi de "Vent de Harlem", éditions P. J. Oswald, coll. "L'aube dissout les monstres" (n° 26), 1969 — oeuvre interprétée par Alan STIVELL, album "Trema'n Inis"/" Vers L'Île", 1976]
[...]
Je te crie pays
Pour tes éblouissements d'yeux dardés
Pour tes contrebandes de chaleurs farouches
Tes généalogies engluées
Tes granits poreux et glacés
Je te crie pays
Pour tes fouillis de luzerne à fleur de peau
Tes pur-sang purulents qui verdoient de sulfure
Tes murs d'écurie écrasés par le coups de pied des chevaux
[...]
[Paol KEINEG : "Hommes liges des talus en transes", extrait du recueil de poèmes "Hommes liges des talus en transes" précédé de "Le poème du pays qui a faim" et suivi de "Vent de Harlem", éditions P. J. Oswald, coll. "L'aube dissout les monstres" (n° 26), 1969 — oeuvre interprétée par Alan STIVELL, album "Trema'n Inis"/" Vers L'Île", 1976]
Sans esprit de retour
10
La bouche donne des ordres,
les mains d’autant
plus sales qu’elles ont reçu les ordres –
le poète décorateur décore,
le poète décoratif est décoré –
avril n’est pas le mois de Marie,
c’est le mois du lisier
qu’on répand à gros bouillons –
qu’est-ce que j’en ai à foutre
des luttes de prépondérance
dont la rumeur m’arrive par la poste ?
Une poésie de guéguerre
à laquelle on sacrifie sa jeunesse –
seuls les doigts de la main droite
fatiguent, caillouteux,
feu mon cerveau voit tout.
La vraie vie n’existe pas,
l’autre, la pas vraie,
aux soirs d’hirondelles mentales,
suffit.
je ne sais
j’ai cent ans
je suis maigre
mes habits sont noirs
et je tiens mes champs en cage
de peur que vos regards ne les brisent
[Paol KEINEG : "Le poème du pays qui a faim", éditions Traces (Le Pallet), 31 pages, 1967]
Sans esprit de retour
5
Pour parler de l’installation
d’une colonie de sternes caugek sur l’Atlantique en avril,
voici :
sur fond de visages aux fenêtres,
je vis seul
et n’ai d’autre raffinement
que le passage des oiseaux migrateurs
et comme il m’est impossible
de refuser aucun don
rien ne m’échappe des complications
de la mimesis
et des criailleries lyriques.
Une sterne mi-réaliste mi-socialiste
plonge sans relâche,
et moi qui ne suis ni bonus ni omnipotens
je la regarde, exemplum.
/ Revue numérique Secousse, N° 3, Mars 2011
1675 : Louis XIV mène une guerre à outrance contre la Hollande.
Il faut de l'argent, à prendre au peuple, déjà accablé d'impôts innombrables.
A l'annonce de taxes nouvelles sur le tabac, le papier timbré et la vaisselle d'étain, le petit peuple urbain de Rennes et de Nantes se soulève.
La répression s'abat.
Et subitement, c'est l'embrasement : les paysans de Basse-Bretagne se ruent à l'assaut des châteaux, massacrent les seigneurs, brûlent les chartriers, élaborent un essai de réorganisation de la société, le "Code Paysan".
Le roi rappelle des troupes des frontières de l'est et ordonne que le pays soit maté : pendaisons, massacres, galères....
La Bretagne est livrée aux missionnaires qui vont inculquer au peuple breton une religion de terreur où culte de Dieu et culte du roi se confondent.....
(extrait de "Répertoire du Théâtre Contemporain de Langue Française" de Claude Confortès et paru, en 2000, aux éditions "Nathan")
HAMLET AU HAMEAU
Le crâne de lapin que je réchauffe entre mes mains
ne fait pas de moi un Hamlet,
et moi qui ai vendu mes oignons au porte à porte
par les hamlets et par les grèves,
je n’ai jamais compris la question :
to be or not to be,
et quand je posais des questions au sujet de la question
les gens dans les pubs me répondaient :
nous non plus (en vrai ils disaient : « don’t even brother »).
C’est ce qu’il y a de beau dans le mystère,
on n’y comprend rien.
Quoi qu’il en dise, Johnny Onion est heureux
qu’un mystère reste un mystère.
Pas d’explication.
Il regrette de n’avoir jamais poussé son vélo
sur les routes pourries du royaume de Danemark.
[Paol KEINEG, "Johnny Onion descend de son vélo", éditions Les Hauts-Fonds (Brest), 100 pages, 2019]
Sans esprit de retour
12
Dans ces champs ma mère a gardé les vaches,
dans les champs d’en bas mon père a gardé les vaches,
moi aussi, sans plaisir, j’ai gardé les vaches
jusqu’au jour où elles furent gardées
par le mouss saout dont la boîte à secousses
bat comme un cœur déposé dans l’herbe.
Je m’étends dans l’herbe (façon de parler,
car, quand je m’étends dans l’herbe,
je n’écris pas, je me promène sans stylo)
je vois passer les nuages et les vaches,
autrement dit, assis à la maison,
je me vois regardant passer les nuages et les vaches,
et cela suffit les vaches de papier,
parce que les autres marchent vers l’abattoir
(sur un banc cinq cous coupés à la scie circulaire)
et demain chez Lili j’en achèterai un morceau.
5- 17 avril 2010
/Revue numérique Secousse, N° 3, Mars 2011
Boudica
17
Pin-up des poids lourds, pasionaria en gros sabots. O Boudica, boussole
des misfits, patronne des phares et balises.
Boudica maquillée, dans le clair-obscur du sacre, la morve du ghetto. En
cette recouvrance, le geste compte, l’arrière-pays s’étale.
Paradis de la paranoïa. Les idées plus noires que la Kaaba. Autant de
langues pour avancer masqué.
Entourés des chefs et des grands reporters. La folle du logis, visage tourné
vers les flammes de l’âtre. Elle se déprend d’un monde qui ne peut pas finir.
Sans esprit de retour
9
Fort de leçons qui servent à quoi
je me protège des orties
avant de marcher contre, faux à la main,
force doit rester à la violence du pouvoir.
Ne me cassez pas les pieds avec le droit des orties,
il y a le droit de la guerre,
le service militaire obligatoire,
fût-on poète et décorateur.
Hier je m’étais assoupi sous le poirier
en relisant La Guerre et la paix
et je parcourais à pied la région qui va
de Reidsville à Mayodan.
Le bruit d’une tondeuse à gazon me tire du sommeil.
En rêve, quand le particulier s’érige en universel,
j’ai tout lieu de craindre pour ma peau :
jardin à la française pour tous.
À cent mètres du mur
l’oiseau forgeron est l’oiseau de destin
matériau symbolique religion estropiée
la rue en est pleine
tout se nourrit de l’ordinaire
de la rue où tout le monde va aux affaires
roses et cassis en novembre
graines sur catalogue
je suis furieux vivre ici pour ça
rappelle-toi les mauvaises saisons
été printemps
tout ce qui touche à l’histoire du monde
et qui t’observe sans pouvoir parler
toujours la même histoire
l’épanouissement posthume
où un oiseau sans mémoire
plaît aux dieux ravis par la grâce
ça se joue comme au théâtre
j’ai en moi l’amour
du hibou
venu se jeter dans les fils électriques
LE CHAT
Cette queue, ces oreilles, ces moustaches, cela me rappelle quelqu’un.
Si l’au-delà existe, on y trouvera des moineaux. S’il n’existe pas, aussi.
arppropriation
dos de plume dos de plume
ça a harpé séraphins
la rondeur la rondeur nous
veulons plus nimi la chanter
son-œu tambœur son-œu tambœur
riff au tam-tam
ça pue grave pourrave ça pue la
manière maigremince bajzelam
œil enflamme œil enflamme et
pompe pompe jusqu’à cubismat
dragon piagaffe mio ici
a retiré échelle-œu
et feintise pour la barrette s’or-
phélinaient accordeurs-euses d’oiseaux
encore et encore hélas encore
et encore tombe la niminuit
pumpum arrangeait le pourquoi
// Dagmara Kraus (1981 -)