Citations de Patricia Hespel (110)
A l'hôpital, nuit ne rime pas forcément avec sommeil. Il y a les pas dans le couloir, la voix de l'infirmière de nuit, les cris deceux qui cauchemardent. Magnus ne rêve plus. Il ne dort plus non plus. Il veuille, pour éviter que les souvenirs ne rappliquent: [...]
Quand les image s'imposent, que la peur et la honte le font transpirer, il songe au couteau qu'il achètera pour crever ses bourreaux, s'oblige à respirer calmement, comme Joubert le lui a appris. Il bloque le film, zappe les rires gras et les insultes, les gifles et les coups, les mains qui le tiennent et celles qui le fouillent, la terreur brute, la douleur qui déchire, le froid humide de la cave sur sa peau. Il gagne son lieu de sécurité, cet endroit virtuel où rien ni personne ne peut l'atteindre. Magnus a appris à se protéger de sa mémoire, il continue pourtant de saigner. Il en a besoin.
Et si j'étais né à un autre moment ? Si je n'avais pas ouvert les yeux dans l'ombre d'un frère que mes parents pleuraient encore ? Tout aurait-il été différent ? Aurais-je été différent, moi ? J'ai grandi aux côtés d'un fantôme. Un fantôme est un adversaire invincible. Il a toujours une longueur d'avance parce qu'on regrette ses bons côtés et qu'il n'est plus là pour vous rappeler les mauvais. Face à un fantôme, on ne peut qu'echouer et se montrer insuffisant(...)
On vaut mieux que ces mièvreries.Toi et moi, on remet tout en jeu chaque fois, on repousse les limites, on réinvente l’art d’exister et de mourir.
le bois craque dans l’air surchauffé, les corps dégoulinent en silence, les poumons peinent.
Vie à sauver ou aveu d'impuissance en vue ? Le quotidien à l'hôpital est fait d'espoir et de désillusions.
L'alcool leur brûle la gorge, anesthésie leurs doutes, les renforce dans leur bon droit.
"As-tu déjà connu le manque? Celui que rien ne comble, qui colle à l'âme. A perpétuité."
page 314.
Elle a ouvert l'enveloppe. Les mots se sont plantés dans sa chair, un à un, comme des cloués rouillés.
" Me croyais-tu envolé ? Erreur ! Je ne te quitte pas des yeux. Ton désordre, tes cauchemars, ton frigo vide, les fois où tu te vides l'estomac... Tout, je sais tout de toi, même ce que tu ignores, ce que tu n'avoues qu'à demi-mot. "
Personne ne me dit qui je suis, personne ne me dit ce que je vaux, personne ne me dit ce que je dois croire ou ce que je veux. Personne sauf moi, je sais qui je suis, ce que je vaux, ce que je crois, ce que je veux ...
On bavarde, on plaisante, il prend des notes et, tout à coup, je me retrouve à lui déballer mon équipée dans le jardin des Marland, à évoquer ce moment hors du temps vécu devant la cabane de Ben. Je n’ai rien vu venir.
— Aux yeux de Jérémie, c’est moi la responsable. Peu importe les arguments, trop de travail et de fatigue
pendant ma grossesse ou le fait que j’ai transmis à notre enfant un patrimoine génétique déficient, c’était sa conviction, un point c’est tout. Tout simplement parce qu’il était incapable d’admettre que l’échec ou l’erreur puissent venir de lui.
À force de remuer des hypothèses, j’ai un mal fou à trouver le sommeil. Vers trois heures du matin, j’entends Catherine se lever et bouger des objets dans la cuisine. Je suis sur le
point de la rejoindre pour lui demander de compléter sa version : « Pourquoi n’es-tu pas allée chercher Ben comme prévu ? Tu te rends compte que rien ne serait arrivé si tu l’avais fait ? Est-ce que personne ne pouvait te remplacer ce jour-là ? Est-vrai que tu estimais que ton boulot passait avant les projets de Jérémie sous prétexte que tu sauves des vies ? »
Je croyais qu’il suffisait de faire de son mieux, que le droit à l’erreur et à la seconde chance faisaient partie du contrat. C’est faux : chacun de nos actes entraîne des conséquences. Certaines sont irréversibles. Nous avançons sur un fil. Le gouffre sous nos pieds n’a pas de fond et le vent souffle en rafales. J’ai posé des choix. Certains étaient justes, d’autres non. J’ai continué à avancer, convaincu que le meilleur était devant moi, atteignable.
Les premiers temps, ils s’étaient observés, tournés autour comme deux félins convoitant une même proie. Ils avaient grandi ensemble, posé côte à côte sur les photos, s’étaient tendu des pièges. Elle admirait secrètement ses talents et son imagination, mais se serait coupé la langue plutôt que de le lui dire. Il lui enviait la rigueur et la ténacité qui l’avait menée jusqu’en fac de médecine, mais comptait bien qu’elle ne le saurait jamais.
Elle a eu le coup de foudre pour cette famille dès la première rencontre, dans cette même cuisine au décor inchangé. À sept ans à peine, elle a su qu’elle voulait devenir l’une des leurs, appartenir au clan. Pour qu’ils l’aiment et la gardent avec eux, elle a tout fait. Elle avait honte de son
ignorance, de son vocabulaire étriqué, alors elle a gommé ce qui faisait tache, travaillé à l’école, lu des livres, appris à aimer les petits plats de Mireille, passé des heures sur les courts de tennis, récité des poésies… Jérémie était le seul à ne pas être dupe de son manège. Il n’avait que quelques mois de plus qu’elle, cela ne l’avait pas empêché de relever ses fautes de français ou de la dénoncer lorsqu’elle chipait quelques pièces traînant sur la table pour s’offrir des bonbons. La légende familiale prétend qu’ils s’aimaient depuis toujours.
La gorge de
Catherine se rétrécit soudain. À force, anticiper les mauvaises nouvelles est devenu pour elle une seconde
nature. Elle en a encaissé tellement depuis l’enfance : un père qui part acheter des clopes et ne revient pas, une mère diagnostiquée bipolaire qui finira par refuser de la voir, le retard mental de Ben qu’ils ont nié tant qu’ils l’ont pu, l’étouffement de leur couple et la rupture conjugale devenue inéluctable, la disparition inexpliquée de Ben, le dossier abandonné, archivé. Elle s’est relevée chaque fois, en vaillant petit soldat, qui prend les coups, ne les rend pas,
continue d’avancer, de faire ce qu’on attend d’elle.
Dans son visage aigu, ses lèvres fines esquissent un sourire retenu. La joie prudente de celle qui en a bavé et se demande ce qui pourrait encore lui tomber dessus. Ce que je perçois d’elle de force et de générosité me plaît d’emblée. J’aimerais que ma mère lui ressemble. Au dos du carton, je découvre qu’il s’agit de l’invitation aux noces d’or de Jacques et Mireille Marland. Voilà donc à quoi ressemblent les parents adoptifs de Catherine.
Le tiers de ma première allocation sociale passe dans l’achat d’un smartphone en promotion. Je suis désormais connecté et joignable. Cela me donne l’impression d’exister un peu plus.
Le va-et-vient des doigts de la jeune femme sur sa mèche rousse me fascine. Je me tortille sur ma chaise sans savoir que dire.
Quelles sont mes compétences, quels sont mes points faibles ? À quoi occupais-je mes journées avant ? Est-ce que cela me rendait heureux ? Autant de questions sans réponse. Près de quatre mois que je suis ressuscité et j’en suis toujours au même point : aucune envie particulière ne me titille, aucun domaine ne me semble familier. Devant mon silence, la femme lâche son doudou capillaire et pose une main maternelle sur la mienne.
Cette femme m’a sauvé : ses mots m’ont extirpé des limbes et ramené vers la vie comme le phare guide les bateaux vers le port.