Le coeur est là, quelque part, mais il faudrait être soi-même doublement sollicité par la grâce et la bonté pour pouvoir l'atteindre. Ce que semble suggérer cet homme - avec une petite moue contrainte de la bouche -, c'est qu'il faut accepter parfois de se laisser désarmer par l'existence.
A propos de Moïse Kipling, tableau de Modigliani, 1916
Que peut la bonté, et à moindre raison la poésie, face au chaos visiblement obstiné du monde ?
Peu de temps après avoir lu cette phrase de Michaux sur le bleu, et bien qu'encore sous le choc, tu avais écrit ce poème, où tu te demandais, comme beaucoup d'autres avant toi, si l'exercice de la poésie après Auschwitz n'était pas devenu un acte inutile et barbare ? Comme si le Verbe, à force d'échouer, était tenu de reculer. Non, finalement non. Et aujourd'hui encore, tu continues de penser qu'il vaut mieux demeurer cet idiot - assis dans son coin - occupé à agencer les mots, en refusant de se soumettre.
1342.
Tu es le creux filtrant l’eau
ce lieu des turbulences que
rien n’altère ni l’horizon et
ses manœuvres ni le jeu de
ta cervelle c’est écrit puiser
en toi je renouvelle – seuls
comptent l’effort et ce soin
tout particulier que tu mets
à utiliser les bons moyens
tu es le creux filtrant l’eau
La volonté de survivre supplante dès les premières heures la tentation de renoncer.
Je n'avais plus à redouter ni à contourner les blancs-les failles- qui jalonnaient depuis toujours le cours de mon existence, mais je devais tout au contraire m'y engouffrer afin de débiter, livre après livre, les morceaux épars à partir desquels reconstituer ma vie.
1339.
PUITS tu es ce puits qui se
nourrit d’une eau invisible
tu ne possèdes ni margelle
ni poulie simplement cette
ouverture sur le vide puits
tu peux toujours avaler la
langue des symboles et la
bouillie des mots tenter de
t’unir aux autres hommes
à leurs échanges tu n’iras
pas très loin dans le corps
social
t’unir aux autres hommes
L'essentiel dans le peu de mots qu'ils prononcent est toujours occulté
Ma mère n'a rien à espérer de ce monde, maintenant qu'elle connaît par le détail, contrairement à moi tout ce qui l'y attend.
Nous vivons dans les bas-fonds du monde. Là où à force de s'épuiser chacun perd le goût du sommeil et du coup toute inclination réelle pour le bonheur
Daniel, mon pauvre père, est devenu ami avec moi sur Facebook
Aussi vrai que ce train ne mène nulle part, nous nous éloignons du monde et de son infranchissable réalité.
Elle demeure là pendant des heures, comme abandonnée, prisonnière d’un lent mouvement de va-et-vient, à se demander pourquoi tout s’efface toujours dans l’existence, pour resurgir bientôt sous une forme à peine différente. Pourquoi les mêmes idées parcourent-elles les mêmes milliers de crânes, pour engendrer au final les mêmes espoirs et les mêmes solitudes ?
La violence de mon père et la folie de ma mère ayant constitué la matière à la fois rebutante et séduisante de mes premiers romans, qu'allait-il advenir à présent que je ressentais la nécessité de me renouveler.
1341.
ainsi tu es le système puits
le vide creusé au centre de
la énième parcelle creusé
pour que d’autres labourent
l’existence avec leurs mots
ainsi tout parait s’organiser
pour que d’autres circulent
autour du vide comme l’âme
autour du cœur jusqu’à l’é-
puiser
ainsi tout paraît s’organiser
1340.
à personne cette source dis-
tu cette source n’appartient
à personne et je m’y suis en-
vasé mal maçonné je pivote
autour d’un cœur imaginaire
puits sans fond (mais réel)
je lance un œil vers le ciel
puits sans fond (mais réel)