Ces changements planétaires mettent aussi en question l'utilité de l'Etat-nation lui-même. L'acteur autonome le plus important sur la scène politique et internationale ces derniers siècles semble non seulement perdre son contrôle et son intégrité mais aussi être mal dimensionné pour s'adapter à la conjoncture nouvelle. Pour certains problèmes, il est trop grand pour opérer efficacement ; pour d'autres, il est trop petit. Par conséquent, les pressions se multiplient qui poussent à "relocaliser l'autorité" à la fois vers le haut et vers le bas, et à créer des structures qui répondraient mieux aux forces du changement actuelles et futures.
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La relocalisation de l'Etat nation vers des unités plus petites est aussi principalement le fruit des transformations économiques et technologiques. L'élimination des frontières en Europe, par exemple, permet l'émergence (dans de nombreux cas, la réémergence) de zones économiques régionales, qui avaient été brisées par des douanes et des systèmes de tarifs douaniers nationaux.
"Préparer le XXIe siècle" ne suppose donc pas qu'il existe un projet idéal ou des directives qui, si on les suit, permettront aux sociétés de faire face aux changements énormes des décennies à venir. Les transformations qui s'annoncent - particulièrement la course entre la démographie et la technologie - affecteront certaines sociétés et certaines classes plus que d'autres ; elles auront des conséquences positives et négatives, parce que le changement suit des voies différentes et l'espèce humaine y réponde de manière différente. Finalement, ce livre ne met pas en doute le fait que le changement est, en lui-même, une chose positive. Si du moins nous arrivons à comprendre les transformations qui s'annoncent sur notre planète, nous pourrons peut-être considérer quelles sont les meilleures façons de nous y préparer.
Bien que rares soient nos dirigeants politiques prêts à affronter ce fait, le plus grand défi pour la société humaine au seuil du XXIe siècle est de trouver le moyen d'utiliser la "puissance technologique" pour satisfaire les demandes liées à la "puissance démographique" ; autrement dit, trouver des solutions planétaires efficaces afin de libérer les trois quarts de l'humanité la plus pauvre du piège malthusien croissant de la malnutrition, de la famine, de l'appauvrissement des ressources, de l'agitation, de la migration obligée et du conflit armé, tendances qui mettront aussi en danger les nations les plus riches, directement ou non.
Il y a deux cent ans, vers la fin du XVIIIe siècle, les observateurs des courants sociaux et politiques en Europe ressentirent un trouble profond. Une marée révolutionnaire, partie de France en 1789, balayait les Etats voisins et renversait les régimes politiques, de l'Italie aux Pays-Bas. Au lieu d'un changement constitutionnel assurant une transition pacifique vers un système plus représentatif, voici qu'une révolution naissait, produisant des démagogues, des foules en colère défilant dans les rues, de la violence et une nouvelle guerre paneuropéenne.