Interview Paul Pavlowitch
Jean (* Seberg) éclata de rire.Anna (*fille de Paul P.) déposa un rapide baiser sur la joue de sa petite- cousine américaine. Il arrive que le baiser atteigne le coeur, alors il réveille la Belle dormant au bois, la libère de sa détresse. Depuis Perrault et les frères Grimm, on ose l'avouer.
( p.191)
- Tu as vu comment il m'a traitée (* Jean Seberg) dans " Chien blanc" ? Méfie- toi, Paul, Romain est un cannibale. Il ne sait pas vivre autrement.
La fragile tentative d'Ajar passait pour un canular ? Qu'est-ce qui n'était pas un canular ? Où se planquait
l'authenticité ? Ajar répondait : " On la cherche partout. Le premier qui la trouve aura droit à la Croix et à la Couronne d'épines. "
" Si vous continuez comme ça, remarquait le psy, vous serez irrécupérable. Il existe une limite à la simulation au-delà de laquelle l'authenticité de la folie est un appel irrésistible "
Entre fiction et réalité, secrétaire quotidien de Romain je me trouvais au plus près de la création littéraire, dans l'étrange " no man'land" des personnages en cours d'apparition, sur le mode si justement appelé par Nabokov le " possessif auteur".
( p.428)
"Tu me demandes si le succès de La Promesse a amené de grands changements dans ma vie ? Tu sais, 196O, c'est la mort de Camus. Rien d'autre. Alors, A bout de souffle plus La Promesse de l'aube jamais tenue, qui sortent juste après sa disparition ça soulignait l'absurde, un trop-plein d'ironie. Je ne pouvais pas voir les choses autrement, non impossible".
Il lisait comme il mangeait : vite, avec voracité, annotant en marge de ses lectures.Je pensais souvent à lui, hypnotisé par ce cavalier seul pour qui écrire était la création permanente de soi. Il fallait se refaire, comme on le dit d'un joueur impénitent, inventer ses nouvelles vies, gagner son oeuvre.Exister.
(...)
Le vice de la lecture ne flanche pas.Au contraire, les millions de titres disponibles vous encouragent, attendent patiemment le moment de vous nourrir. Tous immortels, ils ont l'éternité pour eux.
( p.266)
Avec " Les Racines du ciel", il avait changé de statut dans le monde de l'édition. Il profitait enfin du succès auquel il aspirait depuis si longtemps. Lesley : " Maintenant il gagne sa vie avec ses livres, comme ses amis américains. Cela ne le calme pas.La crainte de manquer, je crois, née de l'enfance, provoque une sorte de panique dont il ne pourra jamais se débarrasser. Il râle, il craque, se ressaisit, devient follement généreux. Excessif tout le temps (...)"
( p.163)
Temps mort pour Romain.On commence à connaître ce type d'origine obscure, confuse: un juif russe ? Lituanien ? Polonais ? En tout cas pas français, ça c'est sûr.On sait qu'il a fait la guerre et qu'il y eu peu d'écrivains volontaires pour se battre.Ses éditeurs sont déçus par son manque de succès. Seuls certains artistes contestés l'apprécient: : André Malraux, Arthur Koestler, Joseph Kessel, Roger Martin du Gard et surtout Albert Camus, dont il partage le pessimisme.
Les autres, les faiseurs de réputation, suiveurs, critiques littéraires, la troupe increvable des " hussards" et dandys de la droite littéraire française , les maîtres existentialistes plus staliniens que Staline, irremplaçables "idiots utiles" du PCF, eux et leurs catégories abstraites
( l'antisémite, le bourgeois...), tous trouvent en Gary leur bête noire à piétiner à chaque nouvelle parution, jusqu'à sa mort.Et encore, sa mort ne les a pas tous calmés.
( p.80)
"La patrie, tu vois, c'est tout petit, c'est ta rue, disons la Buffa.Pas plus. Après c'est autre chose", remarquait Romain.
Je l'avais vu écrire. Il écrivait comme on intervient, comme on ne peut s'empêcher d'intervenir devant un scandale. Il ne cherchait pas ses mots. ça lui venait. Ses mots se bousculaient pour sortir. Il faisait des livres comme d'autres courent ou se débattent.
Le vice de la lecture ne flanche pas. Au contraire, les millions de titres disponibles vous encouragent, attendent patiemment le moment de vous nourrir. Tous immortels, ils ont l'éternité pour eux.