... au début du XXe siècle, 10.000 familles possèdent 50 % du cadastre, 1 % des propriétaires 42 % de la fortune foncière. L'étendue maxima des domaines n'est pas énorme (Cadix : 30.000 ha pour dix possédants) ; on s'entend à considérer comme « latifundio » une propriété de plus de 250 ha. C'est qu'il ne s'agit pas toujours de mauvais terrains. Sur les vignobles de Jérez, 3 % des propriétaires possèdent 67 % de la fortune estimée. Des communes riches (Carmona, Ecija, Utrera, Sévilla) ont de 45 à 81 % de leurs terres en grands domaines. Or, même là, ceux-ci sont exploités extensivement. Friches, chasses, élevages de toros de combats, chênes-lièges, olivettes, blé en culture sèche : cette hiérarchie ne se calque pas sur les possibilités andalouses. Les Medinacelli ont longtemps consacré à la chasse 15.000 ha sur 16.000 de bons terrains, les ducs d'Albe loué 25 pesetas la fànéga des domaines reloués 60 par leurs fermiers généraux. Ainsi les capitaux ne s'accumulent ni ne s'investissent. un hectare irrigué rapporterait vingt fois plus que 1 ha en culture sèche ; mais il coûterait sept fois plus, et une grosse mise de fonds : l'intensification ne se produit pas - à cause du latifundio.
1732 - [Que-sais-je ? n° 273, p. 65]
Entre Afrique et Europe, entre Océan et Méditerranée, la Péninsule est un carrefour, un lieu de rencontres. Un carrefour étrangement encombré, il est vrai. Presque une barrière. Un lieu de rencontres pourtant, où, dès les temps les plus reculés, les hommes et les civilisations se sont infiltrés, se sont affrontés, ont laissé leurs traces.
Ajoutons que le recours aux troupes coloniales, aux colonnes italiennes, à l'aviation allemande, aux bombardements massifs des populations civiles, ont semé la peur, mais aussi la rage. Il est vrai que la longueur de la guerre, les privations, les pronostics sombres, ont progressivement miné l'esprit de résistance de la population. Mais beaucoup de combattants , même aux dernières heures, se refusèrent au découragement. A un officier français qui le traitait avec mépris, un officier républicain espagnol, en retraite sur la frontière des Pyrénées, se permit de dire : "Je vous souhaite de tenir autant que nous." J'ai beaucoup pensé à lui en juin 1940.
Ceux enfin qui, dans la classe ouvrière, osent penser 1917 -la révolution russe - ou 1918 - la révolution allemande- oublient qu'on n'est pas à la fin d'une grande guerre internationale, mais à la veille d'un autre conflit, dans une Europe inquiète, mais non fatiguée. L'Espagne, premier terrain d'une lutte armée, d'une guerre déjà "moderne" entre facisme et antifacisme, allait servir à la fois de laboratoire et de spectacle, de "représentation" de ce que les autres allaient vivre.
En 1936, les français ont pris parti, passionnément, pour l'un ou l'autre des camps espagnols. Puis l'indifférence est venue. Le français, en Espagne, n'est plus qu'un touriste. Il n'est pas mauvais de lui rappeler que, le 24 août 1944, parmi les éléments militaires qui arrivèrent les premiers à l'Hôtel de ville de Paris pour le libérer, des "half-tracks" s'appelaient Madrid, Teruel, Brunete, Guadalajara, Ebro, Guernica. Et l'un deux aussi, Don Quichotte !