C’est une idée assez répandue que le Bouddhisme seul a donné l’impulsion première à l’art chinois et, par lui, à l’art de l’Extrême Orient tout entier. C’est aussi une vue passablement superficielle de la réalité des choses ; elle contredit, en effet, les enseignements de l’histoire, et, d’autre part, elle tend à rapporter à une religion que la Chine et le Japon ont profondément modifiée, une influence exclusive. La fortune du Bouddhisme dans l’Empire du Milieu s’explique tout au contraire par le travail des siècles antérieurs.
La conception positive des forces qui dominent l’homme, le placent à son rang dans l’image qu’il conçoit du monde. Ce fut l’oeuvre de la philosophie prébouddhique en Chine. Ce qui fut l’oeuvre propre du Bouddhisme, c’est l’amour de l’être vivant et des choses de la nature ; j’entends l’amour sous sa forme impulsive et sentimentale, non point cette complaisance toute intellectuelle des anciens maîtres chinois.
La pratique du'dessin et de la peinture pose à l'homme un problème de géométrie descriptive : au moyen clés deux dimensions de la surface plane, représenter les trois dimensions de l'espace. Les Égyptiens et les Assyriens l'ont résolu en rabattant les formes sur le plan : ce qui demande au spectateur un très gros effort d'abstraction. La perspective européenne, constituée au XVe siècle sur les débris de la science géométrique des Grecs, s'est établie sur le type monoculaire déjà pratiqué par ceux-ci. On suppose, dans ce système, que le tableau est vu par un seul oeil. Dès lors, en mettant en rapport la distance de l'oeil au plan du tableau, la hauteur de l'oeil relativement aux objets contenus dans le plan du tableau et la distance comme l'orientation de ces objets par rapport à la surface du tableau, on règle les conditions de déformation des dimensions réelles par l'angle sous lequel elles sont vues.
Cette Voie parfaite qui définit l’Universel au-dessus des choses prochaines, réduites, individualisées, commande le développement même du monde : « Le retour au non-être produit le mouvement du Tao. — La faiblesse est la fonction du Tao. — Toutes les choses du monde sont nées de l’être, l’être est né du non-être .
Il est difficile de se faire une idée précise des conceptions philosophiques de la Chine avant que Lao-tzeu et K'ong-tseu n'en aient formulé les deux aspects distincts. Les anciens livres recueillis du temps de K'ong-tseu se sont trouvés surchargés de commentaires et, comme l'on doit s'en rapporter souvent à des écrivains plus récents, on ne peut faire avec une netteté suffisante le départ entre les conceptions réellement primitives et les interprétations nouvelles. Cependant, ces conceptions, on peut les entrevoir. La précision même, la permanence des principes qui en découlent donnent une certaine assurance dans la vision crépusculaire de ces âges où s'exprimait le sentiment d'un peuple échappant aux ténèbres des temps protohistoriques pour fonder sa civilisation.
Lou-tch’ai-che dit : Pour ce qui est d’étudier la peinture, les uns préfèrent la complexité, les autres, la simplicité. La complexité est mauvaise, la simplicité est aussi mauvaise. Les uns préfèrent la facilité, les autres préfèrent la difficulté. La difficulté est mauvaise, la facilité est aussi mauvaise. Les uns considèrent comme noble d’avoir de la méthode, les autres considèrent comme noble de ne pas avoir de méthode. Ne pas avoir de méthode est mauvais. Rester entièrement dans la méthode est encore plus mauvais. Il faut d’abord [observer] une règle sévère ; ensuite, pénétrer avec intelligence toutes les transformations. Le but de la possession de la méthode revient à [être comme si l’on n’avait] pas de méthode.
Le premier principe évoque le principe même du Tao. C’est le Tao qui s’identifie à l’Esprit et dont la révolution périodique et géante enfante le mouvement perpétuel de la Vie. On ne saurait mieux faire que de donner comme commentaire à cette formule ces lignes où M. Chavannes en définit la notion essentielle : « Un principe unique règne au dessus du monde et se réalise dans le monde, lui étant à la fois transcendant et immanent ; il est en même temps ce qui n’a ni forme, ni son, ni couleur, ce qui existe avant toute chose, ce qui est innommable, et d’autre part, il est ce qui apparaît dans les êtres éphémères pour les disposer suivant un type et imprimer sur eux comme un reflet de la raison suprême.
Si la Chine a mis au service de sa propagation comme de son développement une aussi énorme dépense intellectuelle, c'est que la nouvelle doctrine venait satisfaire des aspirations éveillées déjà, des besoins dont le germe était contenu dans les doctrines du passé. Il en est ainsi surtout pour ce sentiment compréhensif et profond de la nature que le Bouddhisme porte avec lui. Il l'a si peu créé qu'il est tout autre sous sa forme indienne. Mystique et visionnaire, apitoyé sur les apparences vivantes du monde, fait de charité et de rêverie, il ne donne point à l'art indien cette compréhension vigoureuse de la plante, de l'animal ni, surtout, du paysage que la Chine et le Japon ont exprimée.
De même que la philosophie antérieure de la Chine n'a pas éprouvé le besoin de personnifier une puissance créatrice et s'est bornée à la formule puissante qu'avait fixée Lao-tseu, de même le Bouddhisme n'essaye point de déterminer sous des formes matérielles et anthropomorphiques l'origine des univers. Il accepte la grande pensée orientale d'une source obscure, incompréhensible, spontanée. Il voit un monde formé d'éléments impersonnels et inconscients, tels, que la métaphysique les avait définis; il poursuit la conception chinoise d'un destin formidable et géant, qui domine le monde et qui marque avec une implacable impartialité l'écoulement d'un perpétuel devenir.
Quels que soient les aspects sous lesquels elle s'exprime, la pensée humaine garde, dans toutes ses manifestations, quelque chose de constant qui la rend identique à elle-même. Les différences ne sont que des accidents; mais sous les vêtements divers, imposés par des périodes historiques ou des civilisations différentes, le coeur, comme l'esprit de l'homme, ont été travaillés des mêmes désirs. L'art participe de celte unité de nature. Il a quelque chose d'émouvant et de profond, précisément parce qu'il mêle le sentiment et l'intelligence dans les manifestations par lesquelles tous deux s'éternisent.