C’est une idée assez répandue que le Bouddhisme seul a donné l’impulsion première à l’art chinois et, par lui, à l’art de l’Extrême Orient tout entier. C’est aussi une vue passablement superficielle de la réalité des choses ; elle contredit, en effet, les enseignements de l’histoire, et, d’autre part, elle tend à rapporter à une religion que la Chine et le Japon ont profondément modifiée, une influence exclusive. La fortune du Bouddhisme dans l’Empire du Milieu s’explique tout au contraire par le travail des siècles antérieurs.
La conception positive des forces qui dominent l’homme, le placent à son rang dans l’image qu’il conçoit du monde. Ce fut l’oeuvre de la philosophie prébouddhique en Chine. Ce qui fut l’oeuvre propre du Bouddhisme, c’est l’amour de l’être vivant et des choses de la nature ; j’entends l’amour sous sa forme impulsive et sentimentale, non point cette complaisance toute intellectuelle des anciens maîtres chinois.
Cette Voie parfaite qui définit l’Universel au-dessus des choses prochaines, réduites, individualisées, commande le développement même du monde : « Le retour au non-être produit le mouvement du Tao. — La faiblesse est la fonction du Tao. — Toutes les choses du monde sont nées de l’être, l’être est né du non-être .
Il est difficile de se faire une idée précise des conceptions philosophiques de la Chine avant que Lao-tzeu et K'ong-tseu n'en aient formulé les deux aspects distincts. Les anciens livres recueillis du temps de K'ong-tseu se sont trouvés surchargés de commentaires et, comme l'on doit s'en rapporter souvent à des écrivains plus récents, on ne peut faire avec une netteté suffisante le départ entre les conceptions réellement primitives et les interprétations nouvelles. Cependant, ces conceptions, on peut les entrevoir. La précision même, la permanence des principes qui en découlent donnent une certaine assurance dans la vision crépusculaire de ces âges où s'exprimait le sentiment d'un peuple échappant aux ténèbres des temps protohistoriques pour fonder sa civilisation.
Si la Chine a mis au service de sa propagation comme de son développement une aussi énorme dépense intellectuelle, c'est que la nouvelle doctrine venait satisfaire des aspirations éveillées déjà, des besoins dont le germe était contenu dans les doctrines du passé. Il en est ainsi surtout pour ce sentiment compréhensif et profond de la nature que le Bouddhisme porte avec lui. Il l'a si peu créé qu'il est tout autre sous sa forme indienne. Mystique et visionnaire, apitoyé sur les apparences vivantes du monde, fait de charité et de rêverie, il ne donne point à l'art indien cette compréhension vigoureuse de la plante, de l'animal ni, surtout, du paysage que la Chine et le Japon ont exprimée.