Les conseils de Laure-Anne, Dialogues littéraires avril 2013
Laure-Anne nous présente sa sélection de livres depuis le Havana à Brest avec une sélection internationale. Au programme : La vie et les agissements d'Ilie Cazane de Razvan Radulescu (Zulma),...
Il mit la touffe de cheveux que le prêtre coupa à l'enfant [lors du baptême] entre les pages du volume de Karl Marx, «Contribution à la critique de la philosophie hégélienne du droit», en formulant mentalement le désir qu'un jour, dans vingt-cinq ans, sa petite fille devînt avocat.
(p. 124)
Enchanté, il traversa de nouveau la salle à manger et regagna son fauteuil, s’y cala de façon à pouvoir appuyer son livre sur un des bras, et se mit à le feuilleter, sans y chercher quelque chose en particulier. Matière, matériel, matérialisme, ah, ah ! Le bourgeois philistin comprend par matérialisme la saoulerie, l’ivresse, le voyeurisme, les plaisirs du corps et l’arrogance, la chasse au profit et les escroqueries en bourse, en un mot, tous les vices dégoûtants qu’il pratique, lui-même, en cachette. Le colonel posa les yeux, sans le vouloir, sur le bibelot au radeau sur la rivière de bois, et se souvint du repas pris dans le domaine forestier d’Argeş, le lendemain de son avancement ; il rougit, énervé, et revint quelques pages en arrière. La dialectique inspire colère et horreur aux bourgeois et à leurs idéologues doctrinaires, parce que, dans la compréhension positive de la réalité existante, réside également la compréhension de la négation de cette réalité, de sa perte nécessaire. Ça, oui, sourit Chiriţă, qu’elle crève et que sa descendance crève aussi ! La dialectique est la science des lois générales du mouvement, tant dans le monde extérieur, page 409, que dans la réflexion humaine. 410 pages. Ce qu’ils écrivent, ceux-là, ce n’est pas de la blague. Satisfait, il referma le livre d’où s’élevèrent, dans un rai de lumière, quelques volutes de poussière. Chiriţă, quoiqu’il passât dans son travail pour un homme très instruit et méticuleux – méticulosité qui résidait dans le fait de lire en détail tous les rapports, comptes-rendus et informations, sans en sauter une ligne, sans en perdre le moindre mot – avait un défaut : il ne pouvait lire de livres. Il est difficile de savoir si lui-même avait conscience de n’avoir jamais lu de sa vie un volume d’un bout à l’autre ; le fait est que toutes ses lectures se résumaient à quelques lignes sur lesquelles il avait jeté les yeux, pendant qu’il survolait les livres qui lui passaient entre les mains.
(p. 75-76)
– Gabriel gît à mes pieds, son moignon de sabre cassé à la main. Mes gardes l'ont tué, sous des dizaines de coups. Ses yeux vifs sont maintenant ouverts et regardent fixement le néant.
(p. 497)
Du chemin, partaient à droite et à gauche des ruelles larges et, quand le temps était humide, boueuses, ce qui arrivait assez souvent. Ces ruelles n'étaient pas très longues, elles comptaient au plus une dizaine de maisons et s'achevaient sur des clairières ou des ravins. En ce temps-là, dès qu'il atteignait le pied de la colline de l'Orme, on perdait des yeux le chemin principal, avec ses peupliers inégaux, alignés à droite et à gauche. Ilie n'a jamais su si cette colline était proche ou éloignée, quoiqu'il l'eût gravie d'innombrables fois tout au long de son enfance et qu'il eût aperçu de là, minuscules, à peine en mouvement dans leur cour, son grand-père et sa grand-mère. C'était une colline trompeuse.
- Mais je le sais bien que tu n'as rien mis dans le pot! Mais je ne peux pas y croire...
- Nous ne pouvons pas tous devenir des savants, jeta-t-elle par dessus son épaule.
- Non, mais nous pouvons faire des efforts, lui rétorqua Otilia.
- Otilia !
- Samuel, comme je suis contente !
- Otilia !
- Samuel, si tu savais comme je suis contente !
C'est à peine s'ils purent se donner une accolade de bienvenue, tant ils avaient tous deux, et le minotaure Samuel, et Otilia, le souffle coupé d'avoir tant couru. Le Minotaure dit enfin :
- J'ai grand plaisir à te voir, chère Otilia.
- J'ai grand plaisir, lui rendit-elle la politesse, à voir que quelqu'un a du plaisir à revoir quelqu'un d'autre, deux jours seulement après leur dernière rencontre.
- Tu as excédé plusieurs fois les bornes de ma patience. J'ai désiré, à quelque deux reprises, te boulotter avec une sauce tomate. Ne ris pas, tu sais que je peux le faire.
Note : En pleine contradiction avec les propos d'Otto, l'éditeur a censuré le passage qui contenait la description sommaire de l'éviscérateur bucco-ano-vacuumatique, et l'a fait sans m'en avertir. Le scandale qui s'est ensuivi ne mérite l'attention de personne, n'étant que le désagréable préambule à des compromissions. Ainsi, l'éditeur m'a fait part de sa stupeur, à propos du neuvième chapitre, plein, à son avis, d'horreurs, de cruautés intolérables, voire pornographiques, incompatibles avec un livre qui s'adresse à des petits («à des petits» est l'expression favorite de mon éditeur, chaque fois qu'il s'agit des lecteurs potentiels de ce livre).
« La meilleure main, c'est celle avec laquelle tu t'aides seul. C'est valable aussi dans un sens cochon, ajouta le Silure protecteur en ricanant. »