papillon épinglé
Il neigeait dru Les Pays-Bas ont reçu
30 cm (du jamais vu depuis 25 ans) &
mes souliés sont troués comme ceux
de Van Gogh : (va falloir m’en acheter
2 nouveaux afin je puisse aller
jusqu’au bout du chemin si raboteux)
(on y voit des cailloux gros comme
krânes d’animox) ▪ Or ce corps (je veux
dire mon corps)... l’ai-je si mal habi-
té J’y demeurais k’à moitié car
battu à 4 ans une seule fois & violé
(une seule fois) & refusé réduit à
silence jusqu’à 20 ans j’avais
l’air (dit ma sœur) d’un fantôme forcément :
personne m’a posé une seule question
(entre 10 & 20 ans)... « qu’avez-vous
fait au lycée Qu’as-tu écrit
ce matin Quels sont tes projets ?... »
RIEN ▪ Personne n’a
pipé mot. On mangeait sans parler
(on écoutait radio-Luxembourg) &
ni ma mère ni l’Odon ni ma sœur,
mes grands-parents non plus ne m’ont
une seule fois « envisagé » Comment c’est
possible d’avoir été
de la sorte épinglé comme
un papillon sur son carton dans le fond
d’un taudis ?... Alors la seule
issue-de-secours elle me fut
poësie ▪ poësie ▪ poësie !...
// Jean-Paul Klée (1943 -)
Retour
extrait 1
Les exilés, les émigrés et autres réfugiés sont les ancêtres
et les héritiers coupables, encombrés et encombrants, des
identités flottantes et des socles liquides.
L’expérience de l’exil est la quintessence même de l’idée
de rupture, rupture radicale et irréversible, et du deuil
nécessaire, mais impossible.
II n’y a pas pire malentendu que celui du retour
Retour sur les lieux et les visages aimés, les fièvres de la
jeunesse, l’odeur du sel et des algues, l’été…
Nous revenons certes mais radicalement différents, autres,
comme habillés d’un autre visage, d’une autre histoire, d’un
autre destin, dépouilles de la vue et de l’odorat d’antan, de
l’autre temps, d’avant ce temps. D’avant le temps…
// Salah Oudahar
Le sifflement de la couleuvre
Le sifflement de la couleuvre
Combien as-tu de mains
combien de bouches
combien de mots
combien de semaines encore
avant de te revoir
et d’effleurer tes lèvres en promesse
de l’odeur frémissante des abeilles
tournoyant sur nos cœurs de miel
du sifflement de la couleuvre sentinelle
veillant sur notre lit de joncs
et de nos chevelures mêlées
au fil de la rivière
ignorant la mort
comme le papillon ignore son ombre
// Pierre Melendez
L’écart
Elle m’avait envoyé un jour :
« La vie à l’écart est le seul remède.
J’ai le temps d’approfondir les questions
de métier en peinture
et je cueille mes olives. » P.B
Je ne sais pas si Pierre Bonnard avait raison
mais c’est vrai « je vis à l’écart »
et l’écart a tendance à se creuser
de plus en plus pour moi.
C’est l’hiver.
Je ne rencontre personne
quand je marche sur mes plages
et je n’approfondis rien
même si j’essaie d’écrire un peu.
Je ne cueille pas d’olives
je vais seulement ramasser mes huîtres sauvages
sur les rochers au bout de ma rue
en attendant que la mer se réchauffe
pour pouvoir aller nager.
Avec Pierre Bonnard encore
« je crois que je détiens le record de silence. »
Mais quand je reçois sur mon portable
– comme ce soir –
des « Ouiiiiiiiiiiiiiiiiiiii ! »
ou des « Trop bien ! »
ou un « D’accodac ! »
(écrits au féminin toujours!)
ma vie à l’écart se remplit joyeusement.
Surtout quand je me mets à compter
tous les i dans les « Oui »
en espérant que la prochaine fois
il y en aura deux ou trois de plus.
//François de Cornière Pages volantes
Une aube indifférente…
Une aube indifférente et, par cela même
accablante, se lève sur le monde. La chaleur
croît sous un semblant de fraîcheur matinale.
Les femmes ont voilé les miroirs
pour empêcher la mort de se reproduire.
Des détonations lointaines se mêlent
à la rumeur ordinaire des villes en ruines.
Dieu a été imaginé en vain.
Ou alors, n’est-il que l’Éternel anonyme,
jamais affecté par rien, et pour qui
les problèmes de l’humanité
modelée à son image et à sa ressemblance,
ont pour lui l’allure de curiosités exotiques.
// Myette Ronday (poétesse belge francophone)
Ne pas détacher les yeux
Ne pas détacher les yeux
de la vague suivante, survenant
à un rythme régulier,
métronomique, presque monotone.
La respiration s’harmonise d’exception
à celle de cette vague unique,
répétitive, qui n’en finit pas de se dévider
sous les lueurs diaprées de l’aube.
À peine formée, elle s’ourle d’une écume blanche
et glisse, rapide, s’effilochant jusqu’à la rive,
où elle s’étale et s’efface, en partie absorbée
par le sable, en partie en un retrait sur soi,
recouvrant sur le rivage de la vie
des coquillages et des débris d’épaves,
un peu plus tôt ou quelques siècles auparavant.
//Myette Ronday (poétesse belge francophone)
on sera sauvés
c’est fini à présent d’avoir vécu
avec si peu de sous (la
rouge monnaie des centimes ki
s’entassaient dans les bocaux) youpi le
1er virement est arrivé (non pas le
31 mais déjà 29 à midi) & c’est
d’allégresse j’ai franchi l’entrée
du Super-marché achetant Oranges ki
en vrac sont là me séduisant de leurs
yeux mordorés Puis fromage hollandais &
du poisson conservé dans des boîtes
en bois Œufs mimolette gouda pruneaux
d’AGEN bœuf & lapin Confitures
d’abricot & tartines bio j’oublie
pas l’énorme salade frisée avec
vinaigre de vin rouge [je me rue
vers la sortie portant le pesant sac
DE MON AVENIR] + Sur le parvis,
des mouettes m’attendaient (nuée
de cris vifs) les pigeons visi-
blement débordés n’auront rien
L’oiseau-marin fée l’acrobate il
attrape au vol mes morceaux
de gouda l’engloutit avec
voracité Son aigreur
& légèreté m’ont réjoui Et me suis
sauvé par l’autobus Arago jusqu’au
balcon de mes vieux jours ah voici
l’adorable ami (je vais
pouvoir lui aussi
le dépanner un peu + Ouf + On a
sauvé un skieur enseveli
sous 2 mètres de neige & aussi
un navigateur tombé
de nuit dans l’Océan déchainé +
// Jean-Paul Klée (1943 -)
Les parentés inhumaines (Fugue et variations)
extrait 1
Vous que j’ai perdus n’avez durée que
ma mémoire par d’autres mémoires relayée
S’éteignant elles éteignent ce qui de vous fut
Que sais-je de ma trisaïeule hormis
archives de papier si elles existent
quand nulle œuvre d’exception
état civil mariage enfantements
jalons sans images ni affects
Et moins encore des innombrables qui précèdent
…
//Françoise Clédat