papillon épinglé
Il neigeait dru Les Pays-Bas ont reçu
30 cm (du jamais vu depuis 25 ans) &
mes souliés sont troués comme ceux
de Van Gogh : (va falloir m’en acheter
2 nouveaux afin je puisse aller
jusqu’au bout du chemin si raboteux)
(on y voit des cailloux gros comme
krânes d’animox) ▪ Or ce corps (je veux
dire mon corps)... l’ai-je si mal habi-
té J’y demeurais k’à moitié car
battu à 4 ans une seule fois & violé
(une seule fois) & refusé réduit à
silence jusqu’à 20 ans j’avais
l’air (dit ma sœur) d’un fantôme forcément :
personne m’a posé une seule question
(entre 10 & 20 ans)... « qu’avez-vous
fait au lycée Qu’as-tu écrit
ce matin Quels sont tes projets ?... »
RIEN ▪ Personne n’a
pipé mot. On mangeait sans parler
(on écoutait radio-Luxembourg) &
ni ma mère ni l’Odon ni ma sœur,
mes grands-parents non plus ne m’ont
une seule fois « envisagé » Comment c’est
possible d’avoir été
de la sorte épinglé comme
un papillon sur son carton dans le fond
d’un taudis ?... Alors la seule
issue-de-secours elle me fut
poësie ▪ poësie ▪ poësie !...
// Jean-Paul Klée (1943 -)
Regarde
Ni retrouvailles ni visite, à dix-sept ans je vais
au pays de mon père
— dernière fois, j'avais quatre ans :
je revois sous le lit moutons et peigne blanc
un jour de sieste où je n'ai pas dormi
Avec cette mémoire primitive
les récits familiaux
sont un pont de cordages au-dessus du ravin
— ni retrouvailles ni visite
je veux voir ce qu'il y a au fond.
// Anna Ayanoglou France (1985 -)
on sera sauvés
c’est fini à présent d’avoir vécu
avec si peu de sous (la
rouge monnaie des centimes ki
s’entassaient dans les bocaux) youpi le
1er virement est arrivé (non pas le
31 mais déjà 29 à midi) & c’est
d’allégresse j’ai franchi l’entrée
du Super-marché achetant Oranges ki
en vrac sont là me séduisant de leurs
yeux mordorés Puis fromage hollandais &
du poisson conservé dans des boîtes
en bois Œufs mimolette gouda pruneaux
d’AGEN bœuf & lapin Confitures
d’abricot & tartines bio j’oublie
pas l’énorme salade frisée avec
vinaigre de vin rouge [je me rue
vers la sortie portant le pesant sac
DE MON AVENIR] + Sur le parvis,
des mouettes m’attendaient (nuée
de cris vifs) les pigeons visi-
blement débordés n’auront rien
L’oiseau-marin fée l’acrobate il
attrape au vol mes morceaux
de gouda l’engloutit avec
voracité Son aigreur
& légèreté m’ont réjoui Et me suis
sauvé par l’autobus Arago jusqu’au
balcon de mes vieux jours ah voici
l’adorable ami (je vais
pouvoir lui aussi
le dépanner un peu + Ouf + On a
sauvé un skieur enseveli
sous 2 mètres de neige & aussi
un navigateur tombé
de nuit dans l’Océan déchainé +
// Jean-Paul Klée (1943 -)