Citations de Revue Décharge (28)
J'avais enfin compris
On peut glisser
au fond de sa poche
les morts qu'on aime
pour ne pas oublier
de se sentir vivant.
Mince début du jour
Première intruse
l'offre de lumière
ondule puis gonfle le parquet.
Une gerbe de poussière prend vol
enveloppe ta chair close.
Stéphane Mongellaz
Comment faire avec
l'autre pays?
pas notre affaire
pas notre histoire
l'autre pays
n'a plus d'histoires
l'autre pays:
une frontière
sans pays
on diffère
on reste ici
au pays des morts
Bernard Moreau
Homme sous le vent
Il retient d'une main
Son chapeau d'un autre temps
Le dos courbé
Sous la brise violente
Comme s'il saluait
Toutes les femmes
Qu'il croise
Marie-Claude Bourjon
Si tes lèvres sont scellées
rameute la beauté
que le silence t'échoit
filtre tes veines
et l'eau du puits
devant ta porte.
Laisse-toi aller
au mouvement
de la marée
Tourne le dos
Jeanine Baude
Couronne rousse
sur un banc dort
tête posée sur l'épaule
d'un homme assoupi
un chien ne cesse d'aboyer
deux garçons jouent à cache-cache
sieste en plein air
une chanson d'automne
réveil au frais du jour qui se couche.
Aline Recoura
pendant soixante ans
nous nous sommes écrit
cette écriture
sur les enveloppes
j'entends l'écho
de la voix
qui s'est tue.
Christian Garaud
C'est vrai
on ne nous apprend pas
à retrouver le ciel
sous un tas de brindille
ni la mémoire séchée
entre les pages d'un herbier
c'est ainsi
on ne nous dit pas
d'aller voir
du côté des cailloux
leur nature véritable
dissimule une promesse d'étendue
personne ne nous révèle
les secrets bien gardés
à l'ombre des pâquerettes.
Yves Ellien (petits riens et minuscules)
D'autres poèmes continueront
de s'accrocher à mes jours
à mes nuits
Comme sur le quai d'un simple point d'arrêt
à quelques kilomètres de la grande gare
quand j'ai cru apercevoir u soir
descendant du train
- et regardant dans ma direction-
la poursuite de ma vie.
"Prendre la main"
François De Cornière
J'ai chaussé doucement les souliers de brouillard
et j'ai cueilli les fleurs de ta sueur, noires et moirées,
et la danse! et ces épaules là!
Et la musique têtue de ton pas...
Rougeur déjà,
Sonnailles de cet automne
J'allume tous les matins le feu de ton absence,
Je poudroie toute chose d'escarbilles vivantes,
J'irai encore étinceler le ciel.
Anne-Sophie Houry Haquette
Vous voilà traversé d'étranges
oiseaux migrateurs,
vous donnez le change,
vous serrez la vis
à ce qui menace de tomber,
vous avez encore quelques outils
à votre disposition,
cela passera inaperçu.
Retour
extrait 2
Nous ne faisons pas, ou nous faisons, mais en défaisant sur les
ruines de nos certitudes, de nos pertes, de nos abandons.
Et nous changeons alors de sommeil en nous exilant sur autre
port de la nuit tombante où nous persistons à faire patienter
nos bateaux et nos horizons, nos clameurs et nos silences ;
fermant les yeux sur nous-mêmes et sur cette mer qui nous
submerge, nous écrase de ses songes et de ses absences ;
rides creusant obstinément, nous laissant aller malgré tout
ou précieusement à cause de tout a des échos d’une époque
d’avant mémoire, à des chœurs d’un autre pays, d’un autre
continent, appels inintelligibles, couleurs grisonnantes, sons
vacillants, qu’emporte déjà le reflux des vagues.
// Salah Oudahar
Gloire de l’eau
J’ai cloué ma hure dans le sol par ses défenses. Le temps
longtemps passant, j'ai retrouvé ma nacre.
Je suis née de la dernière pluie. Sanglier dans la hase,
j'inventorie les tiges de l'hémisphère nord.
Serve de l'eau, je brasse les têtards métalliques de l'aube.
L'aile du lac se défroisse et se lève. L'éphémère tend son
asile de soie, ma tige se courbe de ce poids d'ombre.
La houe secoue l'eau comme un linge, claque de peau mouillée
qui fait le bruit des bouches.
Le vent lance ses pierres sur mon échine. Même dans le sac du
pêcheur, mes reins sont solides. Je bouge l'eau ardente dans le
fenil. Sers-moi de jouissance, renarde rauque de la nuit.
// Anne-Marie Beeckman France (24 novembre 1952 -)
Je la seule
Je la seule
Je le seul
Je l'amour avec le vent
Je l'amour avec la lune
Je doux caresse entre mes jambes
Je prends la lune avec le vent
Je la seule au loin fenêtre
Je la seule et qui s'allume
Je la seule avec froissement
les feuilles respirent le vent
Je la Soupire je la divague
Je la conte les étoiles
Inscrites dans le noir
Je la seule les phares au loin
Je les tout près derrière la haie
Je le pas vu Le chat qui passe
Je les Murmures qui gonflent
Je les épaules qui cherchent appui
Je le ciel la voûte la nuit
Je minuit douce à l'ombre
les cuisses ouvertes
Je souffle l'été
Les jambes posées
Au bord la nuit
Je la seule
Oh oui encore
Rester dehors
Je la Nuit chaude
Je la Lumière s'éteint
Je la Encore
Demain revient
// Virginie Séba
Les parentés inhumaines (Fugue et variations)
extrait 2
Fins innombrables
que plus nulle matière à mes sens ne rédime
hors la savoir native
insensée qui d’autre en autre s’altère
d’autre en autre
morte ne meurt
Métamorphique infinitude ma fin carcinommée
d’altérité en altérité m’apparente
– animalisation végétalisation squelettisation –
ma grouillante positivité de nourrice nutritive
toute substance molle gloutonnée bondit vers
l’étrange ultime fractalité du minéral
où s’illimite – quantique émanation de ce qui fut vous
de ce qui fut moi –
l’oubli de nos durées perdues
//Françoise Clédat
En cas de pénurie
Considérer
Ce poème minimal
Comme un produit
de première nécessité
Samuel Martin-Boche
De ce monde aussi fugace
qu'un feu d'herbes dans le lointain
venir au jour c'est porter l'aube
à son incandescence
Oser la vivre
Marie Alloy (p.98)
Regarde
Ni retrouvailles ni visite, à dix-sept ans je vais
au pays de mon père
— dernière fois, j'avais quatre ans :
je revois sous le lit moutons et peigne blanc
un jour de sieste où je n'ai pas dormi
Avec cette mémoire primitive
les récits familiaux
sont un pont de cordages au-dessus du ravin
— ni retrouvailles ni visite
je veux voir ce qu'il y a au fond.
// Anna Ayanoglou France (1985 -)
INCIPIT
Je me suis remise en poésie
Il y a quelque chose à enfreindre
Je repars en poésie
Il y a quelque chose à oser
J'écris sur le parapet d'une vie
Nadia Mongin
La vitrine
La pluie tombe violemment. Muriel s’est réfugiée sous les arcanes des traverses marchandes de la Place Ducale. Elle regarde la vitrine : quelques brimborions tape-à-l’œil, savonnettes multicolores, boîtes ovales. Soudain, un visage se superpose aux objets. Un reflet dans la vitrine. Muriel frissonne. Ce visage est si beau ! Son cœur s’emballe. Que la pluie éclate de plus belle et ne s’arrête jamais ! La jeune femme voudrait garder ce reflet près du sien pour toujours. Mais, comment retenir le fantôme du jeune poète à jamais disparu ?
Lydia Padellec (p.157)