L'écrivain américain Richard Krawiec lit un extrait de son roman "Paria", paru en 2020 aux éditions Tusitala, et traduit de l'anglais par Charles Recoursé.
http://www.editions-tusitala.org/
Les adolescents croient tout savoir parce qu’ils ressentent tout avec une intensité extrême; l’émotion est un savoir, et comme personne n’éprouve les émotions avec autant de puissance, personne ne peut les comprendre aussi bien qu’eux.
Peut-être qu'elle essayait de s'extraire de la trajectoire implacable de nos vies. De ma vie. De la sienne. Une vie d'immigrée dans une ville d'immigrés guettant sans cesse le prochain paria.
L'univers, lui, ne juge pas. Il donne les thèmes. Nous les concrétisons, les explorons, opérons des variations, des changements, des reconfigurations en fonction des tenants du pouvoir, de ceux qui déterminent ce qui est bien et mal, qui sont les gentils et qui sont les méchants. Qui est accepté. Qui est un paria.
Même si l’auteur s’adresse à vous comme à un vieil ami, vous restez tout de même à sa merci. Vous devez penser ce qu’il vous dit de penser, suivre les pistes qu’il dessine, soupeser les indices qu’il vous présente, sans savoir quels indices, quelles pistes, quels points de vue sont peut-être cachés, effacés, niés. Vous devez croire en l’honnêteté de l’auteur. Vous devez croire qu’il est aussi bien intentionné que vous.
Les événements ne changent pas, mais nous, oui.
J'appartiens à la dernière génération d'enfants qui pouvaient encore avoir peur des histoires de leurs parents.
Quand mon père s'en allait sans un regard en arrière, ma peau se fendait, se creusait, s'enfonçait, prête à s'effondrer sur la béance que je cachais en moi.
Je savais que, si je continuais à sourire et avoir de bonnes notes, personne ne soupçonnerait jamais la vérité - que j'étais une chose fragile et cristalline, dépourvue de colonne vertébrale et de muscles, une surface gonflée dissimulant un abîme.
Je suis convaincu que le savoir est semblable à l’arbre qui tombe dans la forêt ; la question n’est pas de savoir si l’arbre fait du bruit quand personne n’est là pour l’entendre. Bien sûr, il fait du bruit. Il se déchire, il crie en arrachant les branches des autres arbres, en écrasant la végétation.
Non ,la question n’est pas l’existence de ce bruit, ni ma capacité à le percevoir. Ce qui compte, c’est l’effet que produit la chute de cet arbre sur ce qui l’entoure. Ce qui compte, ce sont les dégâts, et ce qui en résulte. Le processus de décomposition et de croissance que nous ne parvenons pas à relier à la chute de l’arbre.
Masha Kuzincki ? Sortez les violons, allumez des bougies, jouez des morceaux ringards - tous les clichés que vous voulez. Mais pendant l'automne 1967, elle a été ma petite amie secrète, le premier et le seul véritable amour de ma vie.
Quant à Emmett Turner, il croyait bêtement que j'étais son meilleur ami blanc.
D'après le dictionnaire, un paria est un marginal, une personne d'une catégorie sociale déconsidérée ou méprisée, de basse extraction ou de piètre qualité. A l'origine, ce terme renvoie aux membres d'une caste "inférieure" du sud de l'Inde qui, à en croire les premières archives écrites, étaient jugés plus malfaisants que le diable. Ils étaient tellement mis au ban de la société qu'ils n'avaient même pas le droit de participer aux cérémonies en l'honneur des dieux. Selon certaines sources, seules les castes de lessiveurs et de cordonniers étaient en dessous des parias.