Nos attributs correspondaient aux attentes et aux goûts de l’autre. Ses gémissements multiples encourageaient les étapes à venir. Des ébats brefs et intenses.
Le pouvoir d’une communion charnelle était tel que nous ressortîmes détendus, sereins et décidés à profiter de cette première soirée raisonnablement chaude.
Nous avions remarqué notre différence à peu près au même âge. Mais comment y mettre des mots alors que l’ignorance prédominait ?
Il avait tout comme moi ressenti l’émergence d’un certain émoi pour une fille de sa classe, plus par mimétisme que par réelle envie. Nous évoluions dans cet univers de la famille à construire, d’une femme et des enfants, de l’homme qui rapporte majoritairement l’argent au foyer. Nous nous étions ainsi convaincus que telle était notre destinée.
Puis étaient venus les doutes, les regards qui se posaient sur un camarade de classe. L’attrait pour un corps masculin. Le désintéressement progressif du charme féminin. Le trouble naissant nous avait propulsés dans cette continuité, longue et impossible, des questionnements, des déchirures, des inquiétudes et surtout de cette conviction profonde que nous étions des déviants, des êtres interdits et que ces secrets devaient rester enfouis.
Le cœur parlait. Nos deux cœurs étaient à l’unisson. Il n’y avait rien à expliquer. Nous n’encouragions pas cet élan. Nous nous sommes tout simplement laissés guider par lui. Après tout, oser verbaliser ce que notre cœur lutte à exprimer est exutoire.
Je ne t’ai pas dit ces mots comme l’amoureux transi d’une autre histoire. Je t’aimais d’un amour véritable. D’un amour qui n’avait pas de frontières. D’un amour qui refusait de se limiter aux simples démonstrations physiques, ou aux déclarations mielleuses. D’un amour englobant ce qu’il y a de plus fort en chacune des deux personnes impliquées. D’un amour qui m’a fait découvrir ce qu’est un cœur anéanti et brisé. D’un amour qui n’avait aucune équivalence. D’un amour qui transcendait les carcans d’une société étriquée. D’un amour qui dépassait toute explication, justification ou description trop fade. D’un amour simple et total. Sincère et complet.
Le cœur ne se contrôle pas toujours. On a beau savoir qu’une voie sans issue se profile à l’horizon, il arrive que nous persistions bien malgré nous à croire qu’une ouverture reste accessible et envisageable. Une erreur de jugement et d’appréciation qui n’apporte que de la souffrance pour le garçon en attente que j’étais.
Après tout, l’annonce d’évènements tragiques, sérieux ou insignifiants, devait se faire. Autant montrer une vue lisse et aseptisée. Le commun des mortels devant son poste de télévision pouvait ainsi être comme hypnotisé et recevoir les annonces comme de simples banalités qui le feraient revenir chaque jour et rentrer dans cet audimat fidèle tant chéri par les producteurs de ces programmes.
Les rêves et les espoirs de l’étudiant que j’étais ne pouvaient qu’être comblés. Un contrat si rapidement acquis alors que je savais que mes camarades de classe mettraient un temps impossible à en décrocher un. Alors, j’avais signé. J’avais répondu oui avec empressement. Une décision non pas regrettée, mais l’enthousiasme des débuts avait vite tendu vers une pesante lassitude.
La séparation n’est jamais chose aisée. Mais en ce qui nous concernait, elle n’avait rien de dramatique, de blessant. Elle n’était que la suite logique qui mûrissait depuis toujours. Ce sentiment que j’avais bien ancré dans mon esprit, que nous n’étions qu’une jolie transition l’un pour l’autre, sans projection, et sans l’envie réelle d’une construction ensemble.
Nous n’avions pas pris le temps d’échanger de longues phrases… Le chemin de la chambre à coucher avait très vite été trouvé, et les draps nous avaient accueillis dans un tourbillon frénétique. Du sexe peu délicat, plus bestial qu’attentionné. Notre compatibilité à ce niveau n’aurait pas eu à être remise en question. Nous avions ce que l’autre désirait.
La couleur gris-vert de ses iris, la luminosité de son regard que le flash de l’appareil utilisé soulignait à la perfection. Un regard qui vous sonde, vous transperce, vous traverse et vous laisse totalement démuni. Comment un simple cliché tiré de la toile pouvait-il entraîner une réaction aussi intense chez moi ? Je ne comprenais pas mon attitude.
J’avais cette sensation de tourner en rond, de ne pas faire ce pour quoi j’étais, me semblait-il, destiné. Je ne pensais pas avoir la prétention des jeunes débutants imbus de leur personne, à l’égo surdimensionné. Mais j’avais des espoirs d’un journalisme plus grand, plus enthousiasmant. Un journalisme dans lequel ma plume serait libre et sublimée.