Samuel R. Delany

J'étais à la fois furieuse et bouleversée, car j'avais devant moi le problème de l'incommunicabilité qui dresse entre les êtres des barrières infranchissables. Je sentais bien que c'était à moi de le résoudre en l'expliquant, mais pourtant j'en étais incapable.
(ed. Mnémos, p. 42)

L'une des thématiques récurrentes est la fameuse théorie de Sapir-Whorf qui présente le langage non pas comme un simple vecteur de communication, mais bien comme un moyen effectif - et très efficace - de contrôler les représentations mentales des individus. La façon dont un individu perçoit le monde s'avère dépendante des catégories linguistiques dont il dispose.
(postface d'Olivier Bérenval)

Le thème du langage comme moyen d'oppression, d'arme ultime, ou au contraire de déclencheur d'une épiphanie fondatrice, d'une vision absolue de la réalité, est donc toujours d'actualité et continuera à susciter des expériences de pensée orchestrées par les auteurs de science-fiction.
(postface d'Olivier Bérenval)

Le Dragon d’argent fit son entrée, déployant ses ailes dans la fumée environnante ; ses plumes argentées s’entrecroisant comme des épées, ses écailles frémissant sur ses énormes flancs. Ses trois mètres de corps se déroulèrent, puis se tordirent dans le champ antigravitationnel. Les lèvres vertes grimacèrent avec une cruauté anticipée et les paupières argentées battirent de leurs cils sur des yeux glauques.
« Mais c’est une femme ! » s’exclama le Guilde dans un souffle.

— Ce serait normal. Mais vous ne connaissez vraiment aucun d'entre nous, n'est-ce pas ? Comme ces jeunes gens brillants qui viennent ici avec une imagination débordante et ne pensent qu'à une chose tout au long de la journée : inventer des moyens de tuer. C'est une société terriblement amorphe, et cela s'explique simplement : toute son agressivité trouve un exutoire idéal de neuf heures à dix-sept heures. Malgré tout, je suis persuadée que nos esprits en sont perturbés. L'imagination devrait servir à autre chose qu'à méditer sur les meilleures façons de se massacrer, n'êtes-vous pas de mon avis ?

— Et aujourd'hui, sur les mondes de cinq galaxies, les gens cherchent à interpréter vos métaphores poétiques, à en pénétrer le sens pour résoudre l'éternel mystère de la splendeur humaine, de l'amour et de la solitude.

Elle appela l’équipe des Sensoriels.
-Le Nez, quelle odeur à l’extérieur ?
-ça s’annonce mal, ça pue. Rien du tout à proximité, on est en plein coaltar.
-L’Oreille, entends tu quelque chose ?
-Pas le moindre murmure, Capitaine. Tous les courants de stase dans cette zone sont à l’arrêt. Nous sommes encore trop près d’une large masse gravitationnelle. Il y a bien un très faible courant éthérique à environ cinquante spectres en direction du secteur-K ; mais il y a peu de chances qu’il puisse nous entrainer ailleurs que dans une trajectoire circulaire. Nous continuons grâce à l’inertie de la dernière poussée de la mangosphère terrestre.
-et toi, l’Œil, qu’aperçois tu ?
-Rien. On se croirait dans une soute à charbon. Je ne sais pas ce qui s’est produit, mais en tous cas, ça s’est passé en plein dans une zone blanche. Si j’en crois ma propre perception, ce courant de fond semble un peu plus fort et pourrait nous aider à atteindre une autre marée plus favorable.

- C’est ce qu’elle disait : que les cartes appartenaient d’abord aux Gitans, lesquels savaient que c’était baratin et compagnie. Et qu’il ne fallait surtout pas y croire.

- Quelle théorie romantique ! sourit Katin. Je la caresse parfois moi-même : l’idée que tout ce symbolisme tamisé par cinq mille ans de mythologie n’a strictement aucun sens, aucune influence ni sur la pensée ni sur les actions des hommes fait vibrer une petite corde nihiliste tout au fond de moi. Hélas ! je le connais trop bien pour accepter cette hypothèse. 

Je finis par me taire, tremblante et terrorisée. Il ne répondait rien, se contentant d'osciller, là devant moi. Je pus articuler :
« Qu'est-ce que tu es ? »
Et plus doucement, comme s'il l'entendait à un niveau plus profond, il répéta :
« Je ne sais pas. »
J'eus alors l'inspiration de demander :
« D'où viens-tu ? »
- De dehors, de l'extérieur de la Cité. J'existe dans le … le sable, comme vous appelez cela, dans les champs de mésons qui entourent les vaisseaux.

Depuis sa première publication il y a près de deux décennies, "Racisme et science-fiction" est devenu un classique pour les spécialistes comme pour les autres. Après s'être vu demander s'il y a quoi que ce soit qu'il rajouterait ou modifierait aujourd'hui (2017), l'auteur a répondu :

Pas vraiment. J'ai dit dans cet essai que lorsque le nombre d'écrivain.e.s noir.e.s, d'écrivaines, d'écrivains gays, d'écrivain.e.s asiatiques, atteindrait une proportion reconnaissable assez importante pour commencer à avoir un poids économique, alors il y aurait des divisions sociales le long de ces lignes sociales. Et maintenant c'est le cas. Ce n'est pas sorcier, comme on dit. (144)

-Que cherches-tu ,Prince?
-A ce que les choses demeurent en l'état .
-L'immobilisme ,c'est la mort .
-Mais il est moins destructeur que tes manoeuvres délirantes.

Le squelette gisait au début de la section suivante de lampadaires allumés. La cage thoracique dessinait des lignes nettes sur la chaussée. Les mains reposaient au-dessus de la tête, et une jambe était repliée par-dessus l'autre tout de travers.
- "Sapristi, qu'est ce que c'est que ça ?" s'exclama Urson. "Et comment est-ce venu là ?"
- "Il a tout l'air d'y être depuis pas mal de temps," commenta Iimmi.
- "Est-ce que nous rebroussons chemin à présent ?" demanda Urson.
- "Un squelette ne peut rien nous faire," dit Geo.
- "Mais la vivante qu'on a vu ?" rétorqua Urson.
- " … La voici justement," chuchota Geo.

Les soixante-dix-huit cartes du tarot représentent les symboles et les figures mythologiques que l'on retrouve tout au long des quarante-cinq siècles de l'histoire humaine. Qui comprend ce symbolisme est capable d'organiser dialectiquement une situation quelconque. Il n'y a pas de superstition là-dedans.

Ceux qui travaillaient en chute libre à bord des navires cabotant de planète en planète voyaient les orteils d'un de leurs pieds au moins développer une agilité qui finissait par rivaliser avec la dextérité des mains chez les rampants et, dès lors, ils gardaient ce pied nu.

— Allez, fais-toi placer quelques douilles. Tu finiras bien par t'en faire greffer un jour ou l'autre : autant apprendre à les utiliser pour quelque chose d'autre qu'un emploi d'usine. Tu aimes les voyages. Mieux vaut naviguer entre les étoiles que conduire une benne à ordure.

Chapitre premier

Une cité portuaire…
… au ciel corrodé par des vapeurs couleur de rouille, pensait le général. C'était l'heure de la grisaille crépusculaire que les fumées d'usines fardaient d'une touche d'orange, de rose saumon et de violet à dominante rouge, tandis qu'à l'ouest les navettes avec leur cargaison à destination des centres stellaires lacéraient les nuages de leur incessant va-et-vient. Une cité qui suintait aussi la misère par tous ses pores, songeait-il encore en tournant un coin de rue jonché d'ordures.

- Il suffit que je désespère des jeunes générations, pour qu'arrive un gosse comme toi qui me prouve que j'ai tort. Même en admettant que tu sois un psychopathe, tu es quelqu'un de bien mieux que nombre de tes aînés.

- J'estime que les adultes devraient se contenter de laisser les enfants tranquilles, de leur foutre la paix, et de s'occuper d'autre chose !

Un psychiatre intoxiqué de quinze ans ? Même genre de précocité que celle qui produit des romanciers de treize ans. Il faut s'y faire.

- Après deux divorces, ma mère disparut avec un représentant de commerce et me laissa, ainsi que mes quatre frères et sœurs, aux bons soins d'une tante alcoolique pendant un an. Ouais, ils pratiquent encore le divorce, le mariage monogamique. Comme je l'ai déjà dit, c'est plutôt primitif.