- Alors j’avais raison, murmura-t-elle, c’est elle, c’est elle depuis le début.
Faïz leva les yeux au ciel pour fixer le plafond puis ferma les yeux, avouant à voix basse ce qu’il redoutait le plus :
- Oui, c’est elle depuis le début.
Je devais enfin me présenter à ma énième assistante. Je fis légèrement pivoter ma tête et me débarrassai de mon verre auprès de Cooper, puis me retournai.
La surprise fut telle que je dus m’appuyer sur la grande baie vitrée derrière moi afin de ne rien laisser paraître de mon étonnement. Seigneur ! Je n’avais jamais vu une femme aussi mal vêtue dans mon club et surtout aussi désagréable à regarder que miss Jimenez. Vingt-cinq ans, m’avait dit Cooper, pourtant elle paraissait en avoir seize à tout casser. Son corps de petite taille, d’un mètre cinquante-cinq ou cinquante-huit, disparaissait derrière des vêtements très amples qui l’engloutissaient tout entière. Ses mains tremblaient le long de son pantalon. Aucune manucure, des ongles rongés à l’extrême.
Mon regard se porta sur son visage. Encore une fois, je dus fournir un effort pour ne pas détourner les yeux tant le spectacle était étonnant et invraisemblable. Pas de trace de maquillage pour relever ce teint livide, ni pour cacher ces petites cicatrices sur sa joue que je devinais causées par une acné sévère lors de son adolescence. Ses lunettes aux verres épais comme des loupes lui prenaient toute la face et cachaient ses épais sourcils. Je remarquai un léger strabisme sur son œil droit, à peine visible, mais bien là. J’en conclus que miss Jimenez avait eu, pendant une bonne partie de son enfance, une frange en biais qui avait rendu cet œil paresseux. Sa tignasse brune embroussaillée était relevée en une sorte de boule sans forme au-dessus de son crâne. Cette gamine avait plus l’air d’un épouvantail que d’un être humain et son nez particulièrement allongé, brusqué, n’arrangeait pas les choses.
Desya, comment pouvez-vous espérer un jour être heureux ? Vous avez besoin d’aide. Personne ne vient au monde en appartenant à une race. Vous avez grandi avec comme référence l’anthropologie raciale alors qu’en vérité, elle n’existe pas. Enfin, classer des êtres humains sur la base de critères physiques c’est insensé!
Ma vie devait sembler bien triste vue de l’extérieur, et elle l’était.
Nous avons tous des choses à cacher, des secrets inavoués. J’aime fouiller dans la vie des personnes qui m’entourent et qui me conseillent dans mon travail. Je dépoussière les cadavres de leur placard et me sers d’eux pour les renvoyer à la moindre erreur. La médiocrité m’exaspère.
Ses dernières paroles coururent dans mes veines. Je sentais bien, à son ton qu'elles étaient pour moi. Le mot médiocre était pourtant le mot le plus gentil que l'on avait prononcé pour me définir, mais ça monsieur Khan l'ignorait. Pour me blesser, il m'en fallait d'avantage.
— J'aime respecter les règles.
— C'est dommage. Les dépasser, c'est ce qu'il y a de plus excitant.
J'étais marquée au fer rouge par toutes les remarques négatives que j'avais reçues sur mon physique tout au long de ma vie. Ronney la moche, Ronney la maigre, Ronney la bigleuse. Je savais que je ne vendrais jamais du rêve à un homme.
Personne ne se lève le matin en réfléchissant à comment foirer sa vie. Je fais des erreurs comme tout le monde et j’apprends d’elles, mais jusqu’ici, personne n’a réussi à me prouver que mon chemin n’était pas le bon.
Quand elle me sourit, je sais que j’ai fait quelque chose de bien dans ma journée. Quand elle rit, je sais que je suis à ce moment quelqu’un de bien.