Citations de Sébastien Vidal (157)
Le hurlement de la bise qui se prend dans les gouttières et les branches dépouillées agresse les tympans, la lumière donne l'impression de mourir.
Le vent forcit, ce n'est déjà plus vraiment du vent, ça prend l'ampleur du blizzard et les cimes des arbres lâchent une complainte lugubre.
La vallée est bouchée, les cols obstrués, un socle écru et gris s'est couché sur la montagne.
Appuyé sur le parapet, il avait admiré le torrent jalonné de blocs de granit chenus sous le déluge, il s'était régalé des stalactites pendues aux berges froides, comme si la rivière montrait les crocs.
— C’est quelque chose de tuer un homme. On prend tout ce qu’il a et tout ce qu’il n’aura jamais, lâcha-t-il songeur. (p. 107.)
Et alors, il lui fallait trouver une autre cible, une occasion pour se libérer de ce symbiote impalpable et immanent, ce fantôme très dangereux ; la face nord et noire immarcescible de son être. Parfois, dans cet instant onirique où il était libéré et pas encore reconquis, une certaine lucidité l’effleurait. Il s’entrevoyait alors comme un homme dilacéré et déliquescent. (p. 93.)
Ils entrèrent dans la chambre. L’homme dormait. Perfusé et branché à une machine qui poinçonnait le silence en bipant avec une régularité de robot. (p. 76.)
Ils regardèrent encore un peu les traces, silencieux, mesurant dans leur intimité la différence entre être en vie et ne plus l’être. Quelques centimètres, quelques secondes de décalage, une infime dissonance dans l’incroyable horlogerie de l’univers. (p. 38.)
Tu vois mon garçon, j'aime les étoiles. Que nous soyons puissants ou faibles, elles nous mettent tous à égalité. Nous sommes insignifiants sous leur lumière, cette idée me plaît.
C’est étrange, tous ces pays qui nous réclament, ces populations en danger, ils ont tous du pétrole ou d’autres richesses dans leur sol.
Pour créer, tu dois avoir quelque chose à dire. Ça doit te tenailler très fort pour prendre forme en dehors de toi.
Le ciel se consumait sur notre gauche, des chapelets de petits nuages se suivaient en une procession lente, le chant des oiseaux prenait de l'ampleur pour accompagner la chute du soleil. Les insectes bourdonnaient avec audace, des nuées de moucherons stationnaient à un mètre au- dessus du bitume et nous aimions les traverser en fermant les yeux et la bouche. Comme chaque soir d'été, le monde refluait dans sa tiédeur, la tonitruance se mettait en veilleuse pour nous laisser savourer les sons du crépuscule qui s'annonçait, ces bruits de rien qui donnaient à eux seuls l'envie de revivre une autre journée sur terre.
Elle émit un crissement semblable à celui des pas sur la neige fraîche. Une pluie de miettes tomba sur le parquet exsangue aux interstices calfatés par de la crasse inexpugnable et malgré tout éclairci par des heures passées à cet endroit.
Elle n’avait pas été scandalisée par son licenciement, elle l’avait pris comme une fatalité, accepté dans l’instant. « C’est comme ça » qu’elle avait dit. Tout ce qu’elle réclame, au lieu d’exiger la justice sociale et la reconnaissance aux riches patrons et aux actionnaires qui ont vendu sa pauvre peau sans une seconde d’hésitation, c’est que son propre fils revienne la queue entre les jambes et quémande le pardon pour s’être si mal comporté. Une vie à ramper plutôt que l’opprobre. Ça lui est insupportable. Cet appel vient de trancher net l’ultime lien qui le raccordait encore à sa vie d’avant.
Tuer un convoyeur c’est une chose grave, mais tirer sur des gendarmes ou des policiers, c’est passer dans une autre catégorie. Une image passe, fugace. Celle du panneau indicateur qui signalait, des heures plus tôt, Fleury-Mérogis.
Vous avez quel âge d’ailleurs ?
– Quinze ans, m’sieur, dis-je.
– Moi j’ai un an de plus, ajouta Franck. J’ai repiqué ma troisième, fit-il avec une moue contrariée.
– T’en fais pas va, la seule chose qui compte, c’est la vie qu’on a, et aucune de ces années-là ne se redouble. Même s’il y en a certaines que j’aurais aimé vivre deux fois.
- Je crois que le passé, c'est simplement des morceaux de présent qu'avancent moins vite que nous. Le passé, c'est comme le coureur qu'est lâché du peloton. À un moment, il disparaît de la vue, mais il est toujours là. Et bien apres que t'as franchi la ligne d'arrivée, t'es peinard, tu bois un coup tu récupères, t'as oublié ce fichu coureur, mais il arrive quand même, il coupe la ligne et vient jusqu'à toi.
Chacun se repassa en silence des scénes précieuses des quatre années qui venaient de filer comme du sable entre nos doigts.
- Tu crois que le monde va nous rattraper ? demanda Vincent.
- Tu crois qu'il finit toujours par y arriver. Mais si on court assez longtemps et assez vite, peut-etre qu'à un moment, on aura vécu assez de choses et que ce ne sera pas si grave qu'il y parvienne.
Tu es si différent des autres adultes qu'on connaît, nos conversations n'ont rien à voir avec celles qu'on peut avoir avec eux, pour le peu qu'on leur parle.
- Que veux-tu dire ?
- Ben, j'sais pas, j'ai l'impression qu'ils nous parlent un peu par réflexe, mais c'est comme si on existait pas vraiment, comme si on était un peu transparents. Ils ne nous prennent pas vraiment au sérieux. Le monde des enfants, celui des ados, j'ai pas l'impression qu'il se voit quand on est une grande personne.
- Je vois ce que tu veux dire. Mais tu sais, certaines grandes personnes parviennent à garder ce côté enfantin, ce regard particulier, il n'y a pas de fatalité, il faut juste être vigilant. igilant.
- Mais j'ai peur de ne pas m'en apercevoir, que ça file et file qu'un jour, je sois comme tous ces gens, accaparé par des choses futiles, un travail qui prend tellement de place que ceux qui vivent avec toi finissent par moins compter.
Beaucoup de feuilles sont deja au sol, peignant un tableau qu'aucun peintre ne pourrait imiter. Les taches jaunes soudées aux taches rouges, les auréoles marron cousues aux auréoles ocre, les flaques auburn scellées aux flaques orange. Elles constituent un tapis tissé avec patience, et ce voile épouse les talus et le rivage qui recueille l'étang en son creux comme les mains jointes retiennent l'eau coulant d'une fontaine. Le ciel d'un gris dur écrase mes épaules. Les nuages sont compactés et fondus en un océan morne et immobile. Ces feuilles qui gisent au sol sont la seule source de couleurs, une bouffée d'oxygène.