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Critiques de Shigeru Mizuki (145)
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Vie de Mizuki, Tome 1 : L'enfant

J'ai pris vraiment beaucoup de plaisir à retrouver le graphique de Shigeru Mizuki. Ici, il s'agit d'un ouvrage autobiographique. Le fait que cela soit sous la forme de manga m'a beaucoup plu, j'ai aimé voir plus que lire la progression de cet enfant, dans son village natal puis dans les villes voisines afin de trouver un emploi. C'est le premier tome donc nous nous arrêtons au moment où Shigeru fut appelé par les troupes japonaises durant la Seconde Guerre Mondiale, il se retrouve sur une île et donc tombe bien en quelque sorte. Nous découvrons avec tout autant de poésie via le dessin la difficile vie de ce mangaka. Nous réalisons que naître au Japon en 1922 n'a pas dû être si agréable que ça. Ayant lu il y a quelque temps Non-Non Bâ, j'ai retrouvé les différents personnages de ce manga ainsi que les Yokaï, les jeux des enfants du villages, les passes temps de Shigeru, les problèmes rencontrés par ses parents et les divers lieux et paysages. J'ai admirer chaque détails qui me renvoyaient à ce tome précédent. Il y a aussi un aspect historique très important dans Vie de Mizuki car, certes c'est un manga autobiographique mais il est aussi témoin de cette époque.

Cet ouvrage est à savourer tout autant que tous ceux signés par ce mangaka.
Lien : http://steambook.blogspot.fr..
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Vie de Mizuki, Tome 1 : L'enfant

il y a des longueurs et certains passages sont trop répétitifs ou ennuyeux. […] Le rendu graphique est si particulier qu’il risquera malheureusement d’en repousser plus d’un. Si ce premier volume n’est donc pas extraordinaire, il a le mérite de présenter et d’expliquer les influences majeures du mangaka.
Lien : http://www.bodoi.info/critiq..
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Vie de Mizuki, Tome 1 : L'enfant

«Vie de Mizuki» est un récit autobiographique en trois volumes de l'un des pionniers du manga, Shigeru Mizuki (1922-2015). Ce volume, «L’enfant», retrace les premières années de Shigeru, dit Gégé. On partage son quotidien d’enfant libre et heureux dans une petite ville côtière, provinciale et tranquille du sud-ouest du Japon. Mizuki décrit avec talent les préoccupations du jeune garçon qu’il était. Il aborde aussi avec simplicité les superstitions populaires rurales et les légendes mystiques du Japon animiste de l’époque. C’est touchant, nostalgique, tendre et souvent drôle. En toile de fond, se dessine la chronique de la famille Mizuki juste avant que ne commence la mutation d’un monde.



Mizuki intègre à sa biographie des extraits tirés de ses mangas antérieurs. Quelques pages (une vingtaine sur les 350 du bouquin) sont déjà présentes in extenso et sans aménagement dans NônNônBa.

Si on a lu NônNônBa, ce que je recommande vivement, il est amusant de chercher à les repérer. Car Shigeru Mizuki nous désigne ainsi ce qui était «sincère» (selon sa propre expression) dans ses ouvrages précédents, quand il utilisait ses souvenirs, sans pour autant chercher à donner un caractère autobiographique. Et en négatif, on comprend ce qui relevait alors de la fiction. C’est donc la question souvent débattue de la vérité des autobiographies qui est posée ici.



Mizuki a visiblement pris plaisir à mettre sa biographie en mangas et ce plaisir est partagé.

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Vie de Mizuki, Tome 1 : L'enfant

Excellent comme toujours avec Mizuki. Dessins magnifiques, tendresse des personnages, récit où se mêlent lucidité et tendresse.
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Vie de Mizuki, Tome 1 : L'enfant

Comme le titre laisse présager, « La vie de Mizuki » est une oeuvre autobiographique. Si Shigeru Mizuki (Opération mort) s’est souvent mis en scène lors de ses précédents ouvrages, ceux-ci étaient chaque fois en partie romancés. A travers cette saga prévue en trois volumes le nonagénaire décide de nous raconter toute sa vie. Ce premier volet, sous-titré L’enfant, démarre à la naissance du mangaka en 1922 dans la préfecture de Tottori et se termine sur le front alors qu’il vient d’être appelé pour participer à la Seconde Guerre Mondiale.



L’auteur revient avec beaucoup d’humour et de réalisme sur son enfance passée dans la petite ville côtière de Sakaiminato avant de partager ses déboires sur le marché de l’emploi. Outre sa vie personnelle et ses relations familiales, cet album témoigne également de l’une des périodes les plus intéressantes de l’histoire du Japon. Véritable témoignage de l’histoire de l’Ère Showa (1926-1989), ce récit dépeint avec brio la société japonaise de l’époque. L’auteur, qui a perdu le bras gauche durant la Seconde Guerre mondiale et a dû apprendre à dessiner de la main droite pour pouvoir témoigner de son histoire personnelle et de celle de son pays, propose donc une oeuvre à la fois personnelle et didactique.



Cet album permet également au lecteur de retrouver la vieille NonNonbâ (découverte dans le récit éponyme, qui a d’ailleurs reçu le prix du meilleur album à Angoulême en 2007) et ses histoires de Yokaï. L’auteur recycle d’ailleurs plusieurs pages de ses œuvres précédentes, faisant ainsi le lien avec ces ouvrages romancés. Visuellement le lecteur retrouve le dessin typique de l’auteur, avec un dessin plus réaliste lors des scènes de combats.



Indispensable si vous aimez Mizuki ou si vous avez apprécié Une vie dans les marges.
Lien : http://brusselsboy.wordpress..
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Vie de Mizuki, Tome 1 : L'enfant

Maître du Manga, Shigueru Mizuki nous livre dans ce premier tome la mémoire de son enfance jusqu'au souvenir de son incorporation dans l'armée nippone lors de la seconde guerre mondiale. C'est un récit complet des évènements politiques que nous adresse Mizuki.

Par la voix de l' enfant, à travers ses dessins l'auteur nous permet de vivre le quotidien d'une société japonaise traversée par le 20e siècle. Moi, qui ne suis pas une aficionado des mangas, je me suis laissée happer par le récit.



Astrid Shriqui Garain



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Vie de Mizuki, Tome 1 : L'enfant

Manga. Noir et blanc. Certains dessins sublimes de finesse comme des photos. Une biographie de l'auteur né en 1922 au Japon. Comme le XX siècle qu'il traverse : plat et calme. Long aussi.Un siècle quoi. Et rien à bouffer.
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Vie de Mizuki, tome 2 : Le survivant

Un manga autobiographique en 3 tomes. Voilà un programme de lecture attirant et je ne fus pas déçue ; j’ai avalé ces 3 gros livres - à lire de droite à gauche - d’une seule traite ; il m’a donc semblé plus naturel de chroniquer de la même façon ces trois tomes : d’une seule traite.



Avant d’être un grand mangaka Sigheru Mizuki de son vrai nom Mura Sigheru fut un petit garçon curieux et vif, vivant dans le Japon semi-rural d’avant la guerre de quarante. Rizières, bord de mer sauvage, bol de riz, baguettes, respect des aînés et bagarres de garçons dans les rues, rythment le quotidien du petit Mura. Dans cet univers ce qui le marquera durablement ce sont les histoires que lui raconte Nonnonbâ une sorte de mémé qui s’occupe de la maison et qui vit entourée de paranormal. Pour Nonnonbâ chaque manifestation désagréable dans le réel (maladie, cauchemar, chute...) est le fait d’un Yokaï, une créature surnaturelle du folklore et l’imaginaire japonais. Un mélange d’esprit, démon, fantôme qui prend des apparences monstrueuses et qui demande pour disparaître des rituels ou des postures adaptées. Ces passages sont de délicieux moments de rêverie et de découverte pour le petit garçon. Adulte, il fera de ces esprits les personnages principaux de ses mangas, le plus célèbre sera Kitaro le repoussant.

Peu enclin à l’obéissance, il fera une scolarité plutôt calamiteuse et c’est désolant de constater à quel point aucun enseignant ne captera son talent. Pourtant, le jeune Shigeru continue sa voie dans le dessin, sans savoir vraiment ce qu’il en fera. Flegmatique il suit sa route sans anxiété aucune et étrangement fini toujours par s’en sortir.



1942, il a 20 ans, il est enrôlé dans l’armée impériale et est envoyé en Nouvelle Guinée à Rabaul. Le sud ! Cela fera l’objet de multiples planches et c’est assez traumatisant. Les privations, la malaria, la violence des supérieurs -vraiment l’éducation à la japonaise n’a rien d’attirant, tout est transmis à l’aide de gifles et de punition, école, armée, entreprise même style détestable - et surtout la faim omniprésente seront son quotidien calamiteux. Sighéru échappera plusieurs fois à la mort de façon parfois ahurissante. Il y laissera toutefois un bras, le droit ! S’il ne s’étale pas sur ce fait, j’ai appris en farfouillant sur internet qu’il avait dû vraiment s’accrocher pour redessiner de la main gauche. Avec son seul bras, on le voit découper des Yokaïs, constituer de gros classeurs (300 à la fin de sa vie) et surtout faire du vélo pour se détendre. Le plus étonnant de cette période est la proximité qu’il va nouer avec les « hommes de la forêt », une tribu locale qui le considère comme l’un des siens et qui lui offre un morceau de terre pour s’installer. Il les quittera à contre coeur à la fin de la guerre mais finira pas leur rendre visite plusieurs fois avant sa mort.



De retour de la guerre, il laisse la vie s’écouler mais ses parents ne l’entendent pas de la sorte et lui trouvent une épouse. Douce et docile, elle s’occupe de leur foyer alors qu’il gagne à peine de quoi vivre avec ses dessins. Si le succès tarde à venir, il arrive quand même. On découvre dans le dernier tome le début de cette forme de narration, l’émergence de maîtres du manga vivant souvent comme des « clochards célestes ». Et puis les années passant, le Sud tribal qu’il a connu en Nouvelle Guinée viendra le hanter à nouveau comme un paradis perdu au milieu de la folie des hommes. Les parents vieillissent et meurent, les frères reviennent eux-aussi de la guerre, les enfants grandissent et Sigheru devient une célébrité. Le Japon quand à lui après des années de misère post-guerre, joue de ses habilités politiques, de sa rigueur morale, de sa solidité sociétale, pour devenir une puissance économique et culturelle à la fois redoutée et enviée.



A lire absolument.
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Vie de Mizuki, tome 2 : Le survivant

LE TEMPS ÉLASTIQUE







Retour, après un délai bien trop long, à la monumentale autobiographie en bande dessinée de Mizuki Shigeru, la Vie de Mizuki, publiée dans une édition absolument superbe chez Cornélius ; j’avais été bluffé par l’excellentissime premier tome, L’Enfant, et voici donc maintenant le deuxième, Le Survivant (en attendant le troisième et dernier, L’Apprenti).







Encore un fort volume, qui pèse son poids avec ses 500 pages d’un excellent papier sous couverture rigide à jaquette, et, même si l’éditeur prend soin d’expliquer pourquoi certaines planches (une cinquantaine) ont un rendu « inférieur », à savoir que les originaux ont disparu, le résultat est encore une fois de toute beauté, à la hauteur de l’œuvre, et, rien qu’à feuilleter la chose, on se délecte du style graphique immédiatement identifiable de Mizuki Shigeru, avec son côté un peu « ligne claire » mêlant des personnages aux traits caricaturaux, simplistes, expressionnistes, dans des décors extrêmement soignés, et alternant avec une impression photographique pour nombre de scènes historiques – qui ont leur part ici, essentielle : après tout Mizuki nous parle en long et en large de son expérience de la guerre de l’Asie-Pacifique…







D’où un volume qui distingue deux périodes (je suppose que le découpage en trois tomes est arbitraire, de toute façon) : sur les 350 premières pages en gros, Mizuki raconte la guerre et comment il l’a vécue – prenant le relais du tome 1 qui avait déjà assez longuement introduit cette thématique dans ses derniers temps. Après quoi, sur 150 pages environ, Mizuki parle de son retour au Japon, de ses multiples galères, enfin de ses débuts en tant que mangaka après être passé par la case kamishibai. Le ton est forcément différent, même si, non sans ironie, la thématique de la survie, offerte par le titre de ce tome 2, peut très bien concerner les deux périodes.







Mais il faut ajouter que le temps est élastique, ici. Les années de guerre sont décrites avec un luxe de détails, la Grande Histoire comme la petite – a priori, le tome débute en 1943 (ou au plus tôt fin 1942), et il faudra donc bien 350 pages pour parvenir à la démobilisation de notre héros, après la capitulation du Japon durant l’été 1945. Mais, ensuite, le rapport au temps n’est plus le même : Mizuki, désormais, s’autorise des ellipses parfois conséquentes, et pas toujours très explicites – le résultat, c’est que ces 150 pages qui concluent le volume vont approximativement de 1945 à 1958 ; tout va donc beaucoup plus vite, la densité n’est plus à l’ordre du jour – mais, rassurez-vous, la précipitation pas davantage : c’est de fait le rythme adéquat pour narrer tout cela.







LA PLUS TRAGIQUE DES FARCES







Le plus gros de l’album est donc, sans surprise, consacré à la guerre. Alternant aperçus des événements globaux et scènes plus détaillées impliquant notre héros ou du moins son régiment, le récit est méticuleux, très détaillé – d’aucuns ont d'ailleurs pu avancer que c’était « trop » détaillé. Il est vrai qu’en certaines occasions ce tome 2 (mais dans la continuité du premier) multiplie les références extrêmement précises (merci aux éditions Cornélius pour les nombreuses notes en fin de volume, au passage), presque à la manière, on l’a dit, d’un manuel d’histoire – si le rythme propre à la BD différencie tout de même les deux approches. J’avouerais que, si, à titre personnel, la matière me passionne et j’ai adoré ma lecture, les critiques de ceux qui ont considéré que c’était « trop » me paraissent compréhensibles et légitimes.







Quoi qu’il en soit, le tableau est accablant – et ceci sans même nous attarder pour l’heure sur le sort de Mizuki en personne. On sent dans ces pages, en dépit d’une certaine réserve dans le ton, associée à une certaine « pudeur » (je crois que c’est le mot, même s’il pourrait prêter à confusion – j’y reviendrai), toute la colère de l’auteur à l’encontre de cette farce d’un goût ignoble, et de la bêtise fanatique des officiers nationalistes, dont les mensonges et les fantasmes puérils ont causé la mort horriblement inutile de millions de leurs compatriotes… Les conditions de vie lamentables des soldats peu ou prou voire officiellement abandonnés par leur état-major, la faim et la malaria, la brutalité crasse des « supérieurs » à l’encontre des « cadets » qu’ils dressent à la bêtise à coups de baffes toujours plus nombreuses, toujours plus violentes… L’aveuglement d’une nation entière, du fait de l’aveuglement de ses chefs, prétendant jusqu’à la toute dernière heure, contre l’évidence des faits, que la victoire était sur le point d’être acquise…







Et les missions-suicides, de type « opération mort », auxquelles Mizuki avait déjà consacré un album, plus détaillé encore semble-t-il, sous ce titre précisément. On le comprend : c’est l’illustration la plus terrible des absurdités qu’il a vécues sous l’uniforme, à titre personnel. La différence étant donc, semble-t-il, que cette fois l’auteur affiche et revendique le caractère autobiographique de son récit. Car le drame le plus révoltant, dans cette bande dessinée, est bien celui de ces soldats déclarés morts avec tous les leurs, dans le cadre d’une mission-suicide hâtivement décrétée par un blanc-bec d’officier crétin désireux de partir « glorieux » avant même d’être arrivé où que ce soit ; or certains de ces soldats, dont Mizuki bien sûr, ont en fait survécu du fait de l’intervention autrement sensée d’un courageux et lucide sous-officier autrement au fait des réalités du terrain et des impératifs de la guerre, mais ils constituent dès lors et plus que jamais une « honte » pour un état-major qui n’a que le mot « honneur » à la bouche, et qui réclame sans cesse la mort de ces inacceptables survivants, ces « statistiques » qui ne sauraient tout bonnement être… Quelle misère, quelle folie que cette armée dont l’objectif semble être de mourir plutôt que de vaincre ! Je vous renvoie, une fois de plus, à Morts pour l’empereur, de Takahashi Tetsuya.







MIZUKI DANS LA TOURMENTE







Mizuki, si peu fait pour la vie de soldat à l’évidence – lui qui est un jeune homme distrait, curieux, rêveur, gaffeur, socialement inapte, et rétif à l’autorité pour la bonne et simple raison qu’il n’en comprend même pas le concept –, passe l’essentiel de son temps sous les drapeaux en Nouvelle-Guinée. Son quotidien, avant même que les combats ne soient de la partie, est déjà d’une extrême rudesse, dans la continuité de ce que nous avions vu dans le premier tome : des baffes, des baffes, des baffes. Il faut y insister : même sans les batailles et les détonations, c’est déjà l’enfer, et un enfer mortel.







Et je vais réitérer et approfondir ma remarque de la chronique du tome 1 : tout ceci m’a vraiment ramené à La Condition de l’homme, trilogie cinématographique signée Kobayashi Masaki – au deuxième volet, Le Chemin de l’éternité, où les baffes pleuvaient tout autant, le film insistant tout particulièrement sur ces brimades incessantes, en créant une situation de cauchemar bien avant que les Russes, très tardivement, ne se lancent à l’assaut de la Mandchourie où se déroule l’action, mais aussi, cette fois, au troisième volet, La Prière du soldat, quand les conscrits nippons abandonnés de tous errent sans but dans un environnement plus hostile que jamais, où la faim et la maladie sont aussi à craindre que les balles et les obus ennemis… Ici, on peut aussi penser, et sans doute même le faut-il, à Feux dans la plaine, de Ichikawa Kon, inspiré d’un roman de Ôoka Shôhei qu’il me faudra lire un de ces jours.







En effet, avant même « l’opération mort », concomitante de la débâcle japonaise, le quotidien des troufions est terrible. Mizuki est bientôt atteint de la malaria, qui le fait beaucoup souffrir et, par cycles, semble toujours davantage le menacer de mort. Il s’en tire, pourtant – et conserve tout du long un solide appétit, qui, à vrai dire, ne fait que rendre la faim plus douloureuse : les soldats n’ont littéralement rien à manger, ils ont d’ores et déjà été « oubliés » dans le ravitaillement, et survivent comme ils le peuvent.







Le drame personnel de Mizuki ira bien plus loin encore : nous le savions, il a perdu un bras à la guerre – le bras gauche (et il était gaucher). Nous voyons comment dans le présent tome. Mais ce qui m’a marqué, à cet égard, c’est combien cet événement que nous serions portés à supposer particulièrement traumatisant (et sans doute l’a-t-il bel et bien été) est traité ici… eh bien, comme le reste, au même niveau, sans plus d’importance.







Je reviens donc sur cette idée de « pudeur ». Rien à voir, bien sûr, avec quelque bête chasteté puritaine, ou quoi que ce soit d’aussi lamentable… Mizuki ne cache rien : la mort, la boue, le sang, la pourriture, la merde, sont essentiels au propos. Ce qui me fait parler de « pudeur », c’est cette tendance, ici particulièrement marquée, à reléguer sur un plan presque secondaire les événements personnels, parfois, même les plus notables, et ceci alors même que nous sommes dans une autobiographie – ce qui pourrait donc être paradoxal. La perte du bras, pourtant cruciale, dans son traitement finalement très distant, m’en paraît une bonne illustration – mais aussi et même surtout la tendance globale à confier la narration au personnage de Nezumi Otoko, tiré de la plus célèbre bande dessinée de l’auteur, Kitarô le repoussant (procédé déjà employé dans le premier tome, mais avec moins d’ampleur, ai-je l’impression) : du coup, Mizuki n’emploie qu’assez rarement le « je », dans cette période tout particulièrement, en confiant à la bestiole semi-yôkai le soin de conter la Grande Histoire comme la sienne propre – et Nezumi Otoko parle donc de Mizuki à la troisième personne. La grammaire japonaise diffère considérablement de la française, aussi ne suis-je pas bien sûr de ce que cela donne dans le texte original, mais, en français du moins, il y a donc une forme de mise à distance, qui ne rend le récit que plus douloureux encore, peut-être.



SURVIVRE







Mizuki, sans bien en avoir conscience j’imagine, est alors engagé dans une lutte impitoyable pour survivre. L’effet est sans doute assez déstabilisant, parce que (eh) nous savons très bien qu’il a survécu, et en même temps nous avons toujours un peu plus l’impression qu’il ne pouvait tout simplement pas survivre – ceci, précisons-le, pas parce que l’auteur en ferait trop, en rajouterait sans cesse, tricherait d’une manière ou d’une autre : le naturel demeure, toujours, et c’est peut-être ce qu’il y a de plus terrifiant dans tout cela. Mais voilà : les soldats japonais ne pouvaient pas survivre, point.







Et certainement pas ce Mizuki, mauvais soldat, souffre-douleur de tous ses supérieurs, affamé, souffrant cruellement de la malaria, perdant un bras – dans un recoin perdu de Nouvelle-Guinée que l’armée et la marine impériales ont laissé à lui-même, sans ravitaillement, sans le moindre espoir de renforts, face à un ennemi peu ou prou invisible mais pas moins mortel. Tout le monde meurt autour de Mizuki. Tout conspire donc à tuer Mizuki.







Il survit, pourtant – mais sans que l’on puisse sans doute en tirer la moindre leçon ; en tout cas, pas le moindre contenu édifiant, à la façon de je ne sais quelle bêtise « motivationnelle » – d’autres moins habiles n’ont pas manqué de tomber dans le piège, je suppose.







Et ceci alors même qu’un élément fondamental du récit aurait pu y inciter ? Mizuki survit peut-être, au moins en partie, en raison du singulier contrepoint qu’il a trouvé à la guerre, comme dans l’œil du cyclone – une tribu « primitive » qui vit dans la jungle, et qu’il se met à côtoyer, puis un peu plus que cela ; quelles qu’aient été ses motivations premières, la relation de Mizuki avec ces Tolai se développe avec un grand naturel – il en est bientôt au stade où, convaincu de sa mort prochaine, il abandonne tous les règlements de la soldatesque pour faire ce qu’il veut, et passer son temps avec les autochtones plutôt qu'avec ses déprimants semblables. La tribu, d’une amabilité presque incompréhensible (peut-être doit-elle quelque chose à ce que Mizuki ne se comporte probablement pas avec eux de la même manière que les autres soldats japonais ?), lui fournit sans rien demander en échange de quoi subvenir à sa faim – et surtout une forme de réconfort psychologique qui hisse le jeune soldat manchot hors des abîmes de la terreur et du cauchemar ; presque au point d’en dériver un nouveau sens à sa vie ? On parle même de mariage, de famille…







La capitulation signée, le retour au Japon devant être envisagé, qui semblait si fondamentalement impossible quelques mois plus tôt à peine, Mizuki se demande ce qu’il doit faire : retourner auprès de sa « vieille » famille au Japon ? Ou rester avec sa « nouvelle » famille dans la jungle de Nouvelle-Guinée… Il décide enfin de rentrer. L’hésitation est signifiante – mais je ne suis pas certain que le choix retenu appelle davantage de commentaires, et, en tout cas, l’auteur s’en abstient.







Quoi qu’il en soit, ces scènes fortes bénéficient du naturel de l’authenticité. Le procédé aurait pu rappeler d’autres œuvres traitant de la Seconde Guerre mondiale avec des plans de coupe dans ce registre (suivez mon regard, si vous le voulez bien, en direction d’une certaine Ligne rouge avec des dauphins dedans), mais le vécu et le naturel produisent un sentiment tout autre, bien plus fort, bien plus juste, parfaitement poignant.







LE RETOUR – SURVIVRE ENCORE ?







Mizuki retourne donc au Japon – et la narration se fait beaucoup moins dense. Le Survivant, comme bien des soldats démobilisés, découvre un Japon en ruines et occupé par les Américains – ces mêmes Américains, cet Ennemi, dont « l’esprit japonais » devait triompher sans coup férir. Mais le Japon a brutalement perdu toutes ses illusions – société anomique par excellence, et entièrement à rebâtir, sans bien être certaine de ce qui pourra resurgir des décombres, à terme.







Mizuki retrouve sa famille, tout particulièrement – qui n’offre plus le même spectacle qu’avant-guerre : les personnages si hauts en couleurs alors semblent d’un coup devenus plus ternes, plus fades ; ceci n’a rien d’une critique, car il s’agit toujours d’illustrer leur authenticité – avec la Défaite, il n’y a rien d’étonnant à ce que ce petit cercle soit affecté par la dépression ambiante… Et sans doute le fait que le frère de Mizuki soit en prison, condamné pour crime de guerre, n’arrange-t-il rien à l’affaire.







Ceci étant, la dépression n’a (ici) qu’un temps – ou elle doit être relativisée : ce n’est tout de même plus la guerre, avec sa menace omniprésente de folie, de souffrance et de mort. Le ton est inévitablement plus léger, voire drôle (y a pas de mal).







Reste que c’est un monde pauvre et perdu – d’une certaine manière, une nouvelle lutte pour la survie se met en place, comment un contrepoint ironique aux horreurs vécues en Nouvelle-Guinée. Ce Japon d’après-guerre, c’est du coup aussi celui des petites magouilles du marché noir, des petits boulots improbables… Mizuki, en Nouvelle-Guinée, a gagné en débrouillardise : il est plus à même de subsister de la sorte qu’il ne l’était avant-guerre, quand sa distraction et son je-m’en-foutisme le faisaient licencier après quelques jours au plus à enchaîner les gaffes. La débrouillardise, le cas échéant, peut aussi passer par la fréquentation de milieux plus interlopes – je suis actuellement en train de relire Les Pornographes, excellent et hilarant roman de Nosaka Akiyuki, et, même s’il se déroule plus tard, à l’aube des années 1960, je ne peux m’empêcher de faire le lien.







DU KAMISHIBAI AU MANGA







Mais Mizuki a bien besoin d’un métier moins aléatoire. Et il ne choisit pas la voie de la facilité… En même temps, il n’était pas dit qu’il en avait beaucoup d’autres, même dans ce Japon à reconstruire, terreau dit-on de toutes les possibilités.







Avant-guerre, nous l’avions découvert passionné de dessin – mais très branleur, aussi, pas du genre à sérieusement étudier les beaux-arts et compagnie… Depuis, il a perdu un bras – et celui avec lequel il dessinait. Qu’importe : il dessinera avec la main droite ! Et, entre deux combines minables, il s’attelle à la tâche.







Une opportunité s’offre à lui, à laquelle il n’avait probablement guère songé jusqu’alors : il se met à dessiner pour le kamishibai, sorte de théâtre populaire où l’histoire est narrée par un conteur se basant sur des illustrations qu’il fait défiler devant les yeux émerveillés de ses spectateurs (et notamment des enfants, à partir des années 1920, avec des « séries » à succès, comme celle narrant les exploits du « super-héros » Ôgon Bat). Le kamishibai était un art ancien (il remonterait au moins au XIIe siècle), mais, dans les années 1950, il connaît une popularité énorme – c’est son âge d’or ! Très éphémère, sans doute : dès les années 1960, la télévision, notamment, y mettrait un terme...







Mizuki ayant un bon coup de crayon, il s’associe donc à des conteurs de kamishibai, et livre des illustrations à un rythme invraisemblable. Ne pas s’y tromper cependant : si cet art connaît un grand succès, les artistes sont loin de rouler sur l’or – en fait, ils sont souvent d’une extrême pauvreté… Ni Mizuki ni ses confrères et associés ne font mentir ce constat.







La pauvreté, et, au bout d’un certain temps, la compréhension de ce que l’âge d’or du kamishibai ne durerait pas éternellement, conduisent cependant Mizuki à explorer une autre voie, qu’il ne semblait pas particulièrement non plus avoir envisagée jusqu’alors, étrangement : celle du manga. Là encore, les cadences sont infernales… Mais les revenus semblent moins aléatoires ? Quoi qu’il en soit, à la fin des années 1950, il publie ses premières bandes dessinées – d’abord un Rocket Man qui n’a rien à voir avec l’andouille Trump, et, bientôt et surtout (pas encore dans ce deuxième tome), Kitarô le repoussant, qui demeure son œuvre la plus populaire (certaines allusions laissent ici entendre que le personnage de Kitarô avait eu l’heur de quelques récits de kamishibai ?). Notre Mizuki deviendra un des plus grands mangakas de l’histoire !







En même temps, c’est ainsi que naît Mizuki – au sens le plus strict : c’est alors qu’on lui impose ce pseudonyme dont il s’accommodera finalement très bien – Mura Shigeru n’est plus, place à Mizuki Shigeru. Une histoire de survivant, vraiment ?







PAS DE LEÇON







Ce tome 2, à mes yeux, n’a sans surprise pas bénéficié de l’effet découverte, qui m’avait saisi à la lecture du premier tome (et m’avait foutu par terre, à vrai dire). C’est normal, et il n’y a rien à en conclure. À l’évidence, Le Survivant est un digne successeur à L’Enfant, et la Vie de Mizuki demeure une vraie merveille, à tous points de vue.







En fait, cette « absence de conclusion », je crois que c’est plus globalement quelque chose qui me séduit dans cette bande dessinée : alors que l’autobiographie pourrait y être propice, a fortiori avec une vie aussi tumultueuse, et, tout spécialement dans ce deuxième tome, cauchemardesque, l’auteur, tout en s’impliquant à fond dans son récit (ça se sent), semble justement accorder une attention essentielle à ce point : cela ne doit en fait pas être un récit – romancer n’est pas le propos, et, ai-je l’impression, en tirer quelque leçon que ce soit pas davantage, peut-être même encore moins. Un ton qui me parle énormément.







La suite un de ces jours, avec le tome 3, L’Apprenti (forcément tout autre chose). Après quoi il me faudra poursuivre, avec des choses comme NonNonBâ ou Opération mort, bien sûr, mais aussi, j’imagine, avec Kitarô le repoussant – histoire de prendre toute la mesure du grand mangaka, dans sa diversité, dans sa richesse.
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
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Vie de Mizuki, tome 2 : Le survivant

Deuxième partie de l'autobiographie de Mizuki.





Le narrateur est toujours aussi minable. Il ne sait pas comment se comporter dans la vie, limite autiste. Malheureusement, si dans la vie civile cela marche, le héros est enrolé dans l'amée. Là il souffre, battu par ses supérieurs, ses camarades de régiment ou n'importe qui. Mais certains de ses persécuteurs, conscients de sa différence (ou de son indifférence), cherchent à le protéger.





Alors que la campagne des Japonaie en Nouvelle-Guinée se transforme en désastre, que leurs troupes sont isolées et affamées, Mizuki trouve refuge auprès des populations indigènes. Là, il y a des scènes formidables d'amitié sincère (et d'egoisme pur, mais franc, de la part du héros envers ses compagnons d'armes). Pourtant, au moment de la paix, Mizuki décide de renter au Japon, malgré les pleurs des Papous.





L'auteur décrit l'opération suicide à laquelle il a du participer, mais avec beaucoup plus de modération que dans "Opération Mort". Il insiste ainsi beaucoup sur l'action des officiers inférieurs pour éviter aux soldats une mort suicidaire.





Après la réddition, il survit dans différents commerces, avant d'essayer de percer dans le Kamishibai, avec autant d'insuccès.



Il faut insiter sur l'humour constant de l'ouvrage, même dans les situations horribles (surtout dans les situations les plus désespérantes ou les plus humiliantes).
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Vie de Mizuki, tome 2 : Le survivant

Si, par souci d'exactitude, Mizuki verse parfois dans le manuel d'histoire, le récit de ses aventures n'a cependant rien perdu de la verve picaresque et savoureuse que nous avons tant appréciée dans NonNonBâ.
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Vie de Mizuki, tome 2 : Le survivant

Je salue l’œuvre colossale ! Le jem’enfoutisme de Mizuki lui a causé beaucoup d’ennuis mais l’a également sauvé. Ce deuxième tome montre un jeune homme qui n’est pas militariste pour un sou et qui se retrouve mobilisé dans le Pacifique sud. La somme de souffrances qu’il a dû endurer est colossale, pendant et après la guerre. Le point de vue d’un artiste, un rêveur et non un fanatique nous offre une autre vision du Japon.
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Vie de Mizuki, tome 2 : Le survivant

Toujours aussi bien.
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Vie de Mizuki, tome 2 : Le survivant

Il y a du lyrisme, du romanesque, de l'humour, du détail qui se mêle à la grandeur des événements; il y a surtout un point de vue adopté par Mizuki, qui lui permet de s'extraire de son petit nombril pour croquer, à la fois, les coulisses du conflit et la reconstruction du pays. Une oeuvre historique, pas moins.


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Vie de Mizuki, tome 2 : Le survivant

Shigeru Mizuki (1922-2015) est l’un des pionniers du manga. Dans «Vie de Mizuki» il nous propose un récit autobiographique en trois volumes. Après les années d’enfance, ce deuxième volume «Le survivant» retrace les années de guerre.



Le jeune Shigeru n’a pas encore vingt ans lorsqu’il est enrôlé dans l’armée impériale du Japon en pleine guerre du Pacifique. Il est envoyé en Nouvelle-Guinée pour se battre contre les américains, en pleine jungle. Cette période de guerre se révèle cauchemardesque : très vite la faim insupportable le torture ; son caractère nonchalant lui créé de vrais problèmes dans cet environnement militaire ; la discipline rigide et les ordres ineptes, les brimades des anciens envers les nouvelles recrues ; la vie dans la jungle, saturée d’humidité et de chaleur ; la malaria qu’il contracte très vite et qui ne va pas cesser de le diminuer ; les bombardements ; la mort de ses camarades autour de lui ; le bras qu’il perd, amputé à la suite d’une blessure.



Seuls moments d’oublis, les liens d’amitié qu’il a su tisser avec une tribu locale. Les indigènes vont finalement le sauver de la faim, de la maladie et même d’une certaine folie.



Vie de Mizuki est une fresque romanesque qui s’inscrit dans une période de chaos. Le monde est entraîné dans l'horreur et on assiste au basculement du destin d'un homme simple et ordinaire.



Le récit des aventures de Shigeru n'a rien perdu de la verve savoureuse que j’avais tant aimée dans NonNonBâ. Pourtant, par moments, Mizuki s’éloigne de son récit autobiographique pour resituer le déroulement des combats de la guerre du Pacifique. Il a alors tendance, sans doute par souci d'exactitude, à verser un peu trop dans le manuel d'histoire, ce que je regrette.
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Vie de Mizuki, Tome 3 : L'apprenti

Déjà fini...

Je sais Shigéru, l'art est difficile et ta retraite amplement méritée, mais n'arrête jamais de dessiner!
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Vie de Mizuki, Tome 3 : L'apprenti

Nous y arrivons : L’Apprenti est le troisième et dernier tome de la monumentale Vie de Mizuki, autobiographie en BD du grand mangaka Mizuki Shigeru. Un sacré boulot… Le premier tome, L’Enfant, m’avait collé une immense baffe : indépendamment, c’était un chef-d’œuvre. Le deuxième tome, Le Survivant, m’avait sans doute un petit peu moins parlé, bizarrement car les événements qu’il narre, horribles, sont la meilleure occasion de l’ensemble de mêler la grande et la petite histoire, au travers d’un vécu très légitimement traumatique – cela restait une excellente BD, toutefois. Et L’Apprenti ? J’avais lu pas mal de retours le situant encore un cran en dessous, même si toujours plus que recommandable… Après avoir tourné la dernière page, je ne suis pas vraiment de cet avis : c’est au moins au niveau du tome 2.







Finalement, c’est à se demander si l’expérience tellement terrible de la Deuxième Guerre mondiale, avec ce qu’elle implique tout à la fois d’intimité et de distance, dans le cadre plus global d’une évocation très détaillée, très documentaire, parfois, des horreurs du conflit, expérience par nature au cœur de cette BD autobiographique, n’était donc pas celle qui s’accommodait le moins bien d’un traitement manga ? Ce qui à la fois tombe sous le sens... et ne veut rien dire. C’est peut-être un peu bête de présenter les choses ainsi – et cela nécessiterait du moins quelques développements supplémentaires ; mais à vrai dire je ne sais pas comment gérer cet aspect… Le rapport de Mizuki lui-même à ce qu'il raconte prohibe forcément toute critique qui se prétendrait « objective », ici.







Mais les épisodes antérieurs et postérieurs à la guerre bénéficient bien d’une relative légèreté, même s’il y a des moments très durs malgré tout. Surtout dans le premier tome, je suppose – avec le déluge de baffes ; ce troisième volume ne manque cependant pas de notes plus graves, fournissant son arrière-plan historique – ce qui inclut le tremblement de terre de Kobe, ou les attentats au gaz sarin par la secte Aum Shinrikyô, d’ailleurs contemporains ; mais Mizuki évoque aussi les Jeux Olympiques de Tôkyô, la « fin supposée » de l’hégémonie du PLD, etc. Cette relative légèreté autorise peut-être une lecture plus sereine – là où les séquences militaires, cauchemardesques, demandent davantage à être « digérées ». En fait, je tends à croire qu’il serait pertinent d’y revenir un de ces jours, maintenant que j’ai lu l’ensemble…







La gravité n’est donc pas absente de ce troisième tome, mais le ton demeure plus léger, oui – sans surprise : la situation précaire des mangakas comporte son lot de moments pénibles, mais qu’il est difficile de mettre sur le même plan que le cauchemar de la guerre de l’Asie-Pacifique, ses millions de morts ou la perte d’un bras… Mais, surtout, ce troisième tome a recours à une temporalité plus flexible que le tome 2, qui se montrait parfois extrêmement pointilleux dans l’évocation du déroulé de la guerre, presque jour par jour parfois : cette fois, mécanisme certes initié dans les dernières séquences du tome précédent, les ellipses sont nombreuses, et parfois très longues – car, si l’on débute en gros là où le tome 2 s’était arrêté, approximativement vers 1960, la BD s’achève dans les premières années du XXIe siècle (la dernière date explicitement citée est 2001, la BD est parue en 2005).







Ce qui a une autre conséquence. Ce troisième tome s’intitule L’Apprenti ? Mais Mizuki est bien loin de n’être qu’un apprenti tout du long – à moins bien sûr d’y associer un contenu métaphorique, ce qui se tiendrait, je suppose. Dans les premières pages, nous retrouvons notre mangaka, de moins en moins jeune (il a bien la quarantaine quand il commence à percer, ses collègues sont souvent bien moins âgés), et qui galère auprès des éditeurs de mangas, d’abord ceux du système des librairies de prêt, ensuite ceux des magazines. Mizuki s’étend (mais avec pertinence) sur sa situation très précaire, ni plus ni moins que celle de ses collègues cela dit : le travail acharné et qui paye mal, les commandes exigeantes qui ne sont finalement pas payées ni publiées, l’économie improbable de ces différents réseaux et l’absence d’une véritable protection juridique pour les forçats de la planche… À ce stade, Mizuki est encore L’Apprenti au sens le plus « strict ».







Mais ça ne dure pas éternellement : vers le milieu des années 1960, la situation de Mizuki change, car il se met à percer (notamment avec Kitaro le Repoussant). Sans transition aucune, l’apprenti mangaka devient le Maître Mizuki ! Le travail, pourtant, à l’en croire, n’en est pas moins dur et aliénant : Mizuki doit toujours bosser autant – dans les années 1990 encore il s’en plaindra ! Mais, s’il ne souffre plus, heureusement, de la précarité de ses années de galère, il doit faire face à d’autres difficultés – essentiellement la responsabilité à l’égard de ses assistants. Parmi lesquels quelques noms « célèbres », du moins pour qui s’y connaît véritablement en mangas, ce qui n’est hélas pas mon cas – mais il y a beaucoup de développements intéressants sur l’histoire de la BD japonaise, ce qui va au-delà de l’évocation de ces seuls artistes : Mizuki parle de l’édition, des débuts de la revue Garo, ce genre de choses. Là encore, il me faudra y revenir quand j’aurai davantage de bagage… Quoi qu’il en soit, d’une certaine manière, les assistants font partie de la famille du Maître : durant ses années de galère, nous l’avons vu se marier, puis avoir des enfants… Sans s’y étendre, ce n’était pas le propos : en fait, on a vraiment l’impression que la situation de ses assistants le préoccupait bien davantage !







C’est que Mizuki, comme dans les deux premiers tomes, ne livre pas exactement un autoportrait flatteur. Avec sa famille tout particulièrement (sa femme surtout, nulle romance dans toute cette histoire), mais parfois aussi avec ses assistants, il se comporte régulièrement en vrai connard. Mais, en même temps, demeure cette idée marquante du tome 1 que cela tient peut-être avant tout à ce qu’il était totalement inadapté socialement : Mizuki n’est pas méchant, mais insouciant au point du manque d’empathie… Apparent ? C'est ainsi qu’il se décrit, mais c’est peut-être pour partie un biais : comment quelqu’un d'aussi dénué d’empathie pourrait-il livrer une œuvre pareille ?







Cette ambivalence sera d’une certaine manière au cœur de la dernière partie de la BD. Car Maître Mizuki est désormais davantage en mesure de gérer son emploi du temps… Et il a la bougeotte. D’abord, il fait ce qu’il aurait dû faire depuis bien longtemps : il retourne, après plusieurs décennies, en Nouvelle-Guinée, d’abord accompagné de survivants japonais comme lui – des pages très fortes où l’on pèse tout le poids du traumatisme de la guerre ; mais il s’agissait surtout de retrouver la tribu qui lui avait sauvé la vie, sur la fin du conflit, alors qu’il se croyait condamné par la perte de son bras et par la malaria… Les liens persistent, les amis sont toujours là – et les voyages se multiplieront. Avec la tentation de fuir définitivement le Japon ?







Car il y aura aussi bien d’autres voyages ! Au Mexique, au Bhoutan, en Australie… Ce qui motive ces excursions ? Le désir fanatique d’en apprendre toujours davantage sur les yôkai ! Mizuki se présente comme quelqu’un qui croit sincèrement à ces créatures qu’il a contribué à populariser. Pour lui, il va de soi que les yôkai ne se trouvent pas qu’au Japon – il parcourt le monde en ethnographe, et ramène de ses voyages statuettes, masques, enregistrements sonores, qui l’immergent toujours un peu plus dans le monde des esprits…







Du lard ou du cochon, dans tous ces récits ? À l’étranger comme au Japon, les années plus sereines de Maître Mizuki, qui a pu remiser de côté la souffrance et la galère de la première moitié de sa vie, sont aussi et peut-être surtout l’occasion de raconter quantité de petites histoires souvent très drôles, et qui n'ont clairement pas grand-chose voire rien d'autobiographique : l’assurance garantissant l’accès au paradis (qui débouche sur une histoire de doppelgänger), la gestion rationnelle de l’adultère, les funérailles de son tigre de mère – mais aussi, donc, la possession par un yôkai affamé (la femme de notre auteur craignant qu’il ne la mange !), ou encore une excursion dans les pyramides aztèques après avoir dégusté des champignons… Tout cela est très drôle, oui – décousu, sans doute, la fin de la BD n’a peut-être pas la cohérence de ce qui précède, mais le résultat est très enthousiasmant, et tire le volume vers le haut. Jusqu'à ces dernières planches où l'auteur vieillissant sent la mort approcher, raison de plus de se renseigner sur les yôkai de par le monde...







Un troisième tome à la hauteur, donc – avec son ton spécifique, finalement. Même s’il y a des hauts et des bas sur les trois volumes, le fait demeure : Vie de Mizuki est une BD extraordinaire – et il me faudra lire sous peu d’autres œuvres du grand mangaka Mizuki Shigeru.
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Vie de Mizuki, Tome 3 : L'apprenti

Un manga autobiographique en 3 tomes. Voilà un programme de lecture attirant et je ne fus pas déçue ; j’ai avalé ces 3 gros livres - à lire de droite à gauche - d’une seule traite ; il m’a donc semblé plus naturel de chroniquer de la même façon ces trois tomes : d’une seule traite.



Avant d’être un grand mangaka Sigheru Mizuki de son vrai nom Mura Sigheru fut un petit garçon curieux et vif, vivant dans le Japon semi-rural d’avant la guerre de quarante. Rizières, bord de mer sauvage, bol de riz, baguettes, respect des aînés et bagarres de garçons dans les rues, rythment le quotidien du petit Mura. Dans cet univers ce qui le marquera durablement ce sont les histoires que lui raconte Nonnonbâ une sorte de mémé qui s’occupe de la maison et qui vit entourée de paranormal. Pour Nonnonbâ chaque manifestation désagréable dans le réel (maladie, cauchemar, chute...) est le fait d’un Yokaï, une créature surnaturelle du folklore et l’imaginaire japonais. Un mélange d’esprit, démon, fantôme qui prend des apparences monstrueuses et qui demande pour disparaître des rituels ou des postures adaptées. Ces passages sont de délicieux moments de rêverie et de découverte pour le petit garçon. Adulte, il fera de ces esprits les personnages principaux de ses mangas, le plus célèbre sera Kitaro le repoussant.

Peu enclin à l’obéissance, il fera une scolarité plutôt calamiteuse et c’est désolant de constater à quel point aucun enseignant ne captera son talent. Pourtant, le jeune Shigeru continue sa voie dans le dessin, sans savoir vraiment ce qu’il en fera. Flegmatique il suit sa route sans anxiété aucune et étrangement fini toujours par s’en sortir.



1942, il a 20 ans, il est enrôlé dans l’armée impériale et est envoyé en Nouvelle Guinée à Rabaul. Le sud ! Cela fera l’objet de multiples planches et c’est assez traumatisant. Les privations, la malaria, la violence des supérieurs -vraiment l’éducation à la japonaise n’a rien d’attirant, tout est transmis à l’aide de gifles et de punition, école, armée, entreprise même style détestable - et surtout la faim omniprésente seront son quotidien calamiteux. Sighéru échappera plusieurs fois à la mort de façon parfois ahurissante. Il y laissera toutefois un bras, le droit ! S’il ne s’étale pas sur ce fait, j’ai appris en farfouillant sur internet qu’il avait dû vraiment s’accrocher pour redessiner de la main gauche. Avec son seul bras, on le voit découper des Yokaïs, constituer de gros classeurs (300 à la fin de sa vie) et surtout faire du vélo pour se détendre. Le plus étonnant de cette période est la proximité qu’il va nouer avec les « hommes de la forêt », une tribu locale qui le considère comme l’un des siens et qui lui offre un morceau de terre pour s’installer. Il les quittera à contre coeur à la fin de la guerre mais finira pas leur rendre visite plusieurs fois avant sa mort.



De retour de la guerre, il laisse la vie s’écouler mais ses parents ne l’entendent pas de la sorte et lui trouvent une épouse. Douce et docile, elle s’occupe de leur foyer alors qu’il gagne à peine de quoi vivre avec ses dessins. Si le succès tarde à venir, il arrive quand même. On découvre dans le dernier tome le début de cette forme de narration, l’émergence de maîtres du manga vivant souvent comme des « clochards célestes ». Et puis les années passant, le Sud tribal qu’il a connu en Nouvelle Guinée viendra le hanter à nouveau comme un paradis perdu au milieu de la folie des hommes. Les parents vieillissent et meurent, les frères reviennent eux-aussi de la guerre, les enfants grandissent et Sigheru devient une célébrité. Le Japon quand à lui après des années de misère post-guerre, joue de ses habilités politiques, de sa rigueur morale, de sa solidité sociétale, pour devenir une puissance économique et culturelle à la fois redoutée et enviée.



A lire absolument.
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Yokai

Livre très complet sur les yokai avec des illustrations et l'histoire de chacun. Il permet d'approfondir les connaissances des différents fantômes ou créatures que l'on peut rencontrer dans les mangas et dans les romans traitant du Japon. Je le recommande vivement à tous les amateurs de la culture japonaise, car c'est selon moi un livre incontournable sur le sujet.
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Yokai

Véritable merveille, il s’agit là plus d’un livre d’art que d’une bande dessinée, ce que son prix - 38,50 euros - fait comprendre.
Lien : http://www.actuabd.com/Yokai..
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