Citations de Stanislas Dehaene (133)
- Lorsqu'il y a environ un milliard et demi d'années, les cellules se sont dotées d'un noyau et ont inventé la sexualité qui a multiplié les capacités d'adaptation des espèces, c'était déjà une manifestation d'intelligence ?- Un deuxième degré venait alors d'être atteint : le comportement social. Il s'agissait d'une adaptation aux autres formes de vie, aux autres organismes environnants. Le vivant devenait le principal environnement du vivant. A partir de là ont pu se développer diverses formes de coopération - ce qui constitue un moteur très important de l'évolution - mais aussi de compétition.
Il y eut donc des prédateurs et il y eut des proies. Leurs nécessités, à la fois opposées et complémentaires, les ont fait évoluer considérablement, les uns comme les autres, vers plus d'intelligence - on peut parler d'une escalade dans la guerre de l'intelligence.
En fait, une certaine intelligence, minimale, s'est manifestée très tôt dans l'évolution. On peut presque dire : dès que la vie est apparue, puisque les organismes ne pouvaient survivre qu'en s'adaptant aux différentes caractéristiques de leur environnement.
C'est le directeur de NeuroSpin, Stanislas Dehaene, qui, dans la première partie de cet ouvrage, va nous conter l'histoire de l'intelligence. Non pas l'histoire de l'idée que les humains s'en sont faites, mais la vraie histoire, celle de l'évolution étonnante du monde des cellules nerveuses et de son impact sur les comportement des êtres vivants.
Comme un prolongement de la querelle des anciens et des modernes, celle de l'inné et de l'acquis est devenue, contre tout bon sens, emblématique d'un affrontement droite-gauche, comme si les deux aspects, inné et acquis, ne se retrouvaient pas dans chaque individu.
L'un des exemples les plus caricaturaux de cette nouvelle dictature exercée par les idéologies fut l'histoire de Trofim Lyssenko, qui réfuta les lois de Mendel, qualifiées de "bourgeoises", et appliqua la dialectique marxiste aux sciences de la nature. Staline fit de lui un héros de l'Union soviétique et la plaisanterie coûta à la Russie plus d'un demi-siècle de retard en génétique.
... chercher une définition de cette différence agaçante entre humains et animaux. Dans Le Capital, Karl Marx touchait au but : "Ce qui distingue le plus mauvais architecte de l'abeille la plus habile, c'est que le premier a construit la cellule dans sa tête avant de la réaliser dans la cire." Une analyse que ne contredisent pas les chercheurs contemporains.
Il ne faut pas que l'Homme croie qu'il est égal aux bêtes, ni aux anges, ni qu'il ignore l'un et l'autre, mais qu'il sache l'un et l'autre. L'Homme n'est nu ange ni bête et le malheur veut que qui veut faire l'ange fait la bête." [Pascal]
Pour un humain de [l'époque de Descartes], avoir des points communs avec une huître était encore trop dur à avaler.
... leur arme absolue, c'était la parole, ce logos que les Grecs allaient associer à l'une des intelligences. Sur ce terrain-là, ils ne craignaient personne : ils étaient capables d'embobiner les dieux eux-mêmes. Il faudra bien, un jour, que l'humanité rende l'hommage qu'il mérite au marchand de tapis, parangon de civilisation.
Pour nos très lointains prédécesseurs, l'intelligence des animaux n'était même pas une question. A force de les observer, ils les connaissent au moins aussi bien que n'importe quel éthologue contemporain ; leur survie en dépendait.
Les animaux n'enterrent pas leurs morts.
Ni les dieux, bien sûr, puisqu'ils sont immortels.
C'est d'ailleurs ce qui les caractérise.
Seuls les Européens et les Asiatiques ont conservé, sous la forme de deux ou trois pour cent de gènes intégrés à leur ADN, un petit souvenir de Néandertal, cet autre humain, un peu mystérieux puisque étranger et proche, côtoyé durant cent soixante mille ans.
On sait aujourd'hui que, chez les humains, une différence de quelques centimètres cube de cervelle ne détermine pas plus un niveau d'intelligence que quelques dizaines de grammes de muscles n'influent sur la force physique. Mais, tout de même, le développement de cet organe a coïncidé avec la progression des humains.
Dans le domaine du sens, l'humilité est de mise car personne, pour l'instant, ne peut prétendre avoir un modèle neurologique précis de ce mystérieux éclair de compréhension qui fait que l'activité d'un réseau de neurones, à un instant, "fait sens".
Notre arbre généalogique, qui ne s'appuie parfois que sur quelques tibias, deux ou trois molaires, des morceaux de crâne et des fragments d'ADN, a déjà été maintes fois révisé.
La curiosité est cette détermination qui pousse les animaux à sortir de leur zone de confort pour acquérir du savoir. Dans un monde incertain, toute information possède de la valeur dans la monnaie même de Darwin : la survie.
Notre succès planétaire, nous le devons, au moins en partie, à une évolution spécifique : notre capacité à partager l’attention avec les autres. La plupart des informations que nous apprenons, nous les devons aux autres plutôt qu’à notre expérience personnelle. Ainsi, la culture collective de l’espèce humaine s’élève bien au-delà de ce que chacun peut découvrir seul.
Nous apprenons bien sûr pendant la veille, mais l’activité nocturne de notre cerveau démultiplie notre potentiel.
La quantité d’apprentissage varie directement en fonction de la durée de sommeil, et surtout de sa profondeur.
Chaque nuit, nos idées flottantes de la journée se rejouent des centaines de fois, à un rythme accéléré, ce qui multiplie les chances que notre cortex y découvre des règles qui fassent sens.
Notre inconscient regorge d'informations insoupçonnées qui attendent d'être déchiffrées.
Il n'y a pas de plus belle leçon d'humilité que de prendre conscience que le flux de notre conscience, tout ce flot d'images et de mots qui surgit en nous et forme la texture même de notre vie mentale, provient des décharges aléatoires de nos neurones corticaux, sculptés par les trillions de synapses que des années de maturation cérébrale et d'éducation ont inscrites en nous.
Il n'existe aucun « moi » qui contemple le théâtre de la conscience : c'est le théâtre lui-même qui constitue le mécanisme du « moi ».