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Citations de Stephen Greenblatt (139)


Au milieu du VIe siècle, au cours de la guerre des Goths et dans la période plus sombre qui suivit, les derniers ateliers de fabrication de livres fermèrent et ce qui restait du marché du livre périclita. Tout commerce avec les fabricants de papyrus d'Egypte avait cessé depuis longtemps, et en l'absence d'un marché commercial de livres, les ateliers de parcheminerie, où les peaux d'animaux étaient transformées en supports d'écriture, étaient tombés en désuétude. Les moines durent alors apprendre l'art difficile de restaurer le parchemin existant et d'en fabriquer de nouveaux. Leur objectif n'était pas d'imiter les élites païennes en plaçant les livres ou l'écriture au centre de la société, ni d'affirmer l'importance de la rhétorique ou de la grammaire, ni de valoriser l'érudition ou le débat, mais de fait ils devinrent les principaux lecteurs, bibliothécaires, producteurs et conservateurs des livres dans le monde occidental.
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La réapparition d'un livre perdu est rarement un événement palpitant, mais celle-ci a pour toile de fond l'arrestation et l'emprisonnement d'un pape, la condamnation d'hérétiques au bûcher et une vague d'intérêt exceptionnelle pour l'Antiquité païenne. En soi, cette découverte assouvissait la folle passion d'un brillant bibliophile. Sans jamais le vouloir ni le savoir, ce bibliophile est devenu le maïeuticien de la modernité.
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Quand j'étais étudiant, je passais souvent à la coopérative de Yale, à la fin de l'année universitaire, pour trouver de quoi lire pendant l'été. J'avais très peu d'argent, mais la librairie bradait régulièrement ses invendus qui s'entassaient pêle-mêle dans des caisses que je fouillais, sans idée préconçue, attendant qu'un titre attire mon attention. Lors d'une ce ces explorations j'ai été frappé par la couverture extrêmement étrange d'un livre de poche, illustré par le détail d'un tableau su peintre surréaliste Max Ernst. Sous un croissant de lune, très haut au-dessus de la Terre, deux paires de jambes - les corps manquaient - étaient engagés dans ce qui ressemblait à un coït céleste. L'ouvrage - une traduction en prose du poème de Lucrèce, De la nature (De rerum natura), vieux de deux mille ans - coûtait dix cents. Je l'ai acheté, je l'avoue, autant pour la couverture que pour l'exposé classique qu'il contenait sur le matérialisme de l'Univers.
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Le Pogge n'aimait pas les moines. Il connaissait pourtant des frères remarquables, des hommes érudits et d'une grande rectitude morale, mais de manière générale, il les trouvait superstitieux, ignorants et d'une paresse désespérante. Pour lui, les monastères étaient des repaires d'individus inaptes à la vie dans le monde. Les nobles y envoyaient les fils qu'ils jugeaient inadaptés, trop frêles ou bons à rien ; les marchands y envoyaient leurs enfants attardés ou paralytiques ; et les paysans, des bouches impossibles à nourrir. Les plus robustes avaient au moins l'avantage de pouvoir exploiter les jardins ou les champs adjacents, mais pour la plupart, pensait le Pogge, c'était un ramassis de fainéants. Derrière les murs épais des cloîtres, ils marmonnaient leurs prières et vivaient des revenus de ceux qui exploitaient les vastes terres de leur monastère.
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Il s'agit de souligner un fait plus surprenant, l'impression, évidente à chaque page de De la nature, que la vision scientifique du monde - celle d'atomes se déplaçant au hasard dans un univers sans bornes - a, à l'origine, été inspirée par l'émerveillement d'un poète. Cet émerveillement ne doit rien à des dieux ou des démons, ni au rêve d'une vie après la mort ; chez Lucrèce, il vient de la prise de conscience que nous sommes faits de la même matière que les étoiles, les océans et de tout ce qui est. Ce qui, d'après lui, doit déterminer la façon dont nous menons notre vie.
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Une fois le poème de Lucrèce revenu à la lumière, les vers de ce poète visionnaire, si près de l'expérience humaine, se mirent à résonner dans les oeuvres des artistes et des écrivains de la Renaissance, dont beaucoup se considéraient comme des fidèles chrétiens. Pour les autorités, les échos de cette rencontre étaient beaucoup moins inquiétants quand ils apparaissaient dans la peinture ou dans le roman épique, plutôt que dans les écrits scientifiques ou philosophiques. La police ecclésiastique de la pensée était rarement sollicitée pour examiner des oeuvres d'art soupçonnées de véhiculer des idées hérétiques.
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Si l'homme parvient à garder en tête cette simple vérité — les atomes, le vide et rien d'autre, les atomes, le vide et rien d'autre —, sa vie peut changer. Il n'aura plus peur de la colère de Zeus au moindre grondement de tonnerre, ni de celle d'Apollon à la moindre épidémie de grippe. Il sera libéré de cette affection terrible que Hamlet, des siècles plus tard, nommera « la terreur de quelque chose après la mort, / Contrée inexplorée dont, la borne franchie, / Nul voyageur ne revient ».
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"De la nature" n'est pas une lecture facile. Le poème est composé de sept mille quatre cents hexamètres non rimés, la forme choisie par les poètes latins Virgile et Ovide, lesquels imitaient Homère. Divisé en six livres dépourvus de titres, il alterne des passages d'une impressionnante beauté lyrique avec des méditations philosophiques sur la religion, le plaisir et la mort, des réflexions complexes sur le monde physique, l'évolution des sociétés humaines, les dangers et les joies du sexe, et la nature de la maladie. La langue est souvent difficile, la syntaxe complexe, et l'ambition intellectuelle considérable.
Il en fallait davantage pour décourager le Pogge et ses savants amis. Ces hommes maîtrisaient parfaitement le latin, ils étaient prêts à résoudre toutes sortes d'énigmes textuelles et s'aventuraient avec plaisir et curiosité dans les arcanes plus impénétrables encore de la théologie patrisque. Un unique coup d'oeil aux premières pages du manuscrit de Lucrèce suffit sûrement à convaincre le Pogge qu'il avait découvert un ouvrage remarquable.
Mais sans doute ne comprit-il alors que cette oeuvre menaçait tout son univers mental. S'il avait perçu la menace, il aurait peut-être remis le poème en circulation malgré tout : retrouver les traces perdues du monde antique était son but suprême, le seul principe - ou presque - qui échappât à la désillusion et au rire cynique. Ce faisant, il aurait pu prononcer ces mots murmurés par Freud, dit-on, à l'oreille de Jung, alors qu'ils pénétraient dans le port de New York pour recevoir l'accolade de leurs admirateurs américains : "Ne savent-ils pas que nous leur apportons la peste?"
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Dans la Rome païenne, le paroxysme de cette recherche du plaisir se jouait dans l'arène des gladiateurs, où elle croisait le paroxysme de la douleur infligée et endurée. Si Lucrèce proposait une version moralisée et purifiée du principe romain de plaisir, le christianisme proposait une version moralisée et purifiée du principe romain de la douleur. Les premiers chrétiens, méditant sur les souffrances du Sauveur, les péchés de l'homme et la colère d'un Père juste, jugeaient absurde et dangereuse l'idée de cultiver le plaisir. Au mieux, le plaisir était une distraction sans intérêt, au pire, un piège démoniaque, représenté par ces femmes séduisantes sous les robes desquelles on aperçoit des pattes griffues dans l'art médiéval. La seule vie digne d'être imitée, celle de Jésus, témoignait largement de la présence inévitable de la douleur et de la tristesse dans l'existence mortelle, mais pas de celle du plaisir. Les premières représentations picturales de Jésus partagent une même sobriété mélancolique. Comme le savait tout lecteur pieux de l'Evangile de Luc, Jésus pleure, mais aucun verset ne le montre riant ou souriant, encore moins à la recherche d'un quelconque plaisir.
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Les bibliothèques monastiques du Moyen Âge les plus célèbres étaient petites par rapport aux bibliothèques antiques ou celles qui existaient à Bagdad ou au Caire. Avant l'invention de l'imprimerie, pour rassembler un nombre modeste d'ouvrages, il fallait créer ce qu'on appelait des scriptoria, ces ateliers où les moines restaient assis des heures durant pour exécuter les copies. Au début, cette tâche s'effectuait dans un endroit du monastère jouissant d'une bonne lumière, même si le froid engourdissait parfois les doigts. Avec le temps, des pièces spéciales furent aménagées ou construites à dessein. Dans les grands monastères, ceux qui cherchaient à rassembler de prestigieuses collections de livres, il s'agissait de vastes salles pourvues de fenêtres en verre transparent sous lesquelles les moines, dont le nombre pouvait aller jusqu'à trente, s'installaient face à des pupitres individuels parfois séparés par des cloisons.
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(Car) si un chasseur de manuscrits pouvait atteindre un monastère, passer la porte aux lourds barreaux, pénétrer dans la bibliothèque et découvrir un manuscrit intéressant, encore lui fallait-il pouvoir en faire usage.
Les livres étaient rares et de grande valeur. Ils conféraient du prestige au monastère qui les possédait, et les moines étaient peu enclins à les laisser sans surveillance, surtout s'ils avaient déjà eu affaire à des humanistes italiens peu scrupuleux. Certains monastères allaient d'ailleurs jusqu'à protéger leurs précieux manuscrits en les entourant de sorts. Ainsi l'avertissement adressé à "celui qui vole ce livre ou qui l'emprunte à son propriétaire et oublie de le rendre" :

Que le livre se transforme en serpent dans sa main et le morde. Qu'il soit atteint de paralysie et que tous ses membres soient brisés. Qu'il dépérisse de douleur et implore miséricorde à pleine voix, et qu'il ne soit pas mis fin à son agonie avant qu'il soit anéanti. Que les vers rongent ses entrailles, au nom du Ver qui ne meurt point, et quand enfin il ira à son châtiment dernier, que les flammes de l'enfer le consument à jamais.
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Si Lucrèce et tant d'autres ont célébré la sagesse et le courage d'Épicure, ce n'est évidemment pas pour ses origines sociales, mais pour le pouvoir salvateur de sa pensée, dont l'essence peut se résumer à une idée lumineuse : tout ce qui a jamais existé et tout ce qui existera jamais est un assemblage d'éléments de taille infinitésimale et en nombre infini. Les Grecs avaient un mot pour désigner ces éléments invisibles, qui, tels qu'ils les concevaient, ne pouvaient être divisés davantage : les atomes.
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L'oeuvre doit cette survie à une série d'hommes et de femmes qui, à des époques différentes, dans des milieux différents et pour des raisons largement contingentes, sont tombés sur l'objet matériel - le papyrus, le parchemin ou le papier, avec ses inscriptions à l'encre attribuées à Titus Lucretius Carus - et en ont fait leur propre copie.
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Le principal matériau utilisé pour la fabrique des livres consistait en peaux d'animaux — vaches, moutons, chèvres et parfois cerfs —, puisqu'on ne pouvait plus se procurer de papyrus et que l'usage du papier ne s'est pas généralisé avant le XIVᵉ siècle. Ces peaux devant être lissées, le bibliothécaire distribuait de la pierre ponce qui servait à éliminer les poils restants, les bosses et autres imperfections. Une tâche pénible attendait le scribe à qui était attribué un parchemin de mauvaise qualité. Les marges de certains manuscrits monastiques ont parfois conservé des témoignages de leur détresse : « Le parchemin est velu » ; « Encre diluée, mauvais parchemin, texte difficile » ; « Dieu merci, il fera bientôt nuit ». « Qu'il soit permis au copiste de mettre un terme à son labeur », écrivit un moine épuisé sous son nom, précisant la date et le lieu où il travaillait. « J'ai fini, avouait un autre, pour l'amour du ciel donnez-moi à boire. »
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Plantée au sommet, au-dessus de la Grande Porte,(The Great Stone Gate, située deux arches avant l'extrémité sud du pont), se trouvait une rangée de têtes décapitées, certaines réduites à des crânes, d'autres comme momifiées mais encore identifiables. Non pas les têtes de voleurs ou de meurtriers ordinaires, de ceux que l'on pendait par centaines aux gibets des faubourgs, mais celles de gentilshommes et d'aristocrates condamnés pour haute trahison, comme on ne manquait pas d'en informer les voyageurs fraichement arrivés. Un étranger de passage à Londres en 1592 en dénombra trente-quatre.
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Dans ces années précédant l'assassinat de Jules César, philosopher n'était pas la seule réponse à la tension sociale, loin de là. Les cultes religieux originaires de la Perse, de la Syrie ou de la Palestine commençaient à s'imposer dans la capitale, suscitant des peurs et des espoirs fous, en particulier parmi la plèbe. Une poignée de l'élite — les plus anxieux ou les plus curieux — prêtaient sans doute l'oreille à ces prophéties annonçant la venue d'un sauveur de modeste ascendance, destiné à être humilié et à souffrir, mais qui finirait par triompher. La plupart devaient cependant considérer ces histoires comme les fantasmes fiévreux d'une secte de juifs arrogants.
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En 1417, il y avait près d'un siècle que les Italiens étaient férus de vieux manuscrits. La vogue avait été lancée dans les années 1330 par Pétrarque, poète et érudit qui s'était couvert de gloire en reconstituant la monumentale Histoire de Rome de Tite-Live et en retrouvant des chefs-d'oeuvre oubliés, notamment de Cicéron et de Properce. L'exploit de Pétrarque en avait incité d'autres à rechercher des classiques qui n'étaient plus lus depuis des siècles. Les textes retrouvés étaient copiés, édités, commentés et passaient de main en main, conférant du prestige à ceux qui les avaient découverts et fondant ce qui devint "l'étude des humanités".
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C'était au cours de l'hiver 1417. Le Pogge chevauchait à travers les collines et les vallées boisées du sud de l'Allemagne, en route vers sa lointaine destination, un monastère réputé pour posséder une réserve de vieux manuscrits. Les villageois qui le regardaient de la porte de leur masure devait savoir qu'il s'agissait d'un étranger. Frêle, le visage glabre, il était sans doute vêtu d'une tunique et d'une cape simples mais de qualité. Ce n'était pas un homme de la campagne, mais il ne devait ressembler ni aux citadins ni aux gens de cour que les autochtones voyaient passer de temps en temps. Ce n'était pas non plus un chevalier teutonique, puisqu'il n'avait ni arme ni armure - un bon coup de gourdin d'un manant efflanqué aurait suffi à le désarçonner. Il n'était pas pauvre mais n'arborait pas non plus les signes traditionnels de la richesse et du rang : ce n'était pas un courtisan, aux magnifiques vêtements et aux boucles de cheveux parfumées, ni un noble parti chasser au faucon. Comme l'indiquaient ses vêtements et sa coupe de cheveux, ce n'était pas non plus un prêtre ou un moine.
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Les volumes que les Romains accumulaient dans leurs bibliothèques étaient plus petits que les livres d'aujourd'hui : la plupart étaient écrits sur des rouleaux de papyrus. (Le mot « volume » vient du latin volumen, désignant une chose enroulée.) Ces rouleaux de papyrus – la plante dont le nom a donné notre mot « papier » – étaient fabriqués à partir de longs roseaux qui poussaient dans la région marécageuse du delta du Nil, en basse Égypte45. Leurs tiges étaient coupées, puis débitées en bandes très fines, que l'on disposait les unes à côté des autres, de façon qu'elles se chevauchent légèrement. On plaçait ensuite une autre couche par-dessus, à la perpendiculaire, et l'on martelait délicatement la feuille avec un maillet. La sève qui s'en échappait permettait aux fibres d'adhérer les unes aux autres. Les feuilles ainsi fabriquées étaient ensuite collées pour former des rouleaux.
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Le principal objectif de la vie humaine est l'augmentation du plaisir et la réduction de la douleur. La vie devrait être mise au service de la poursuite du bonheur. Il n'est pas d'éthique plus digne que de faciliter cette quête pour soi-même et ses semblables.
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