Coquille Bleue avait choisi ce nom elle-même, à la manière des hommes qui célèbrent ou se souviennent. Un nouveau nom à ajouter à ce qui avait été un nom porteur d’un esprit particulier, un nom qui dirait ce qui ne pouvait être dit autrement. Ainsi était-elle désormais Asahmaagikug.
Asahmaagikug — Je suis seule.
(Libre Expression, p.465)
Tu sais que le chagrin ne se contente pas de vriller le cœur, il obscurcit la vision. Seuls les grands sages distinguent le bien sur la terre quand ils sont en deuil.
(Libre Expression, p.50)
Il n'avait jamais aimé la mer mais, au cours de ce long hiver, il s'était surpris à attendre avec impatience les eaux plus calmes de l'été, où un homme pouvait sortir pêcher, loin d'une femme paresseuse qui ne lui accordait jamais de place dans sa couche, l'aguichait en agitant son tablier et en ouvrant les cuisses, mais exigeait fourrures et colliers pour la moindre nuit d'épouse.
Lorsque la boule ronde du soleil s'éleva à son zénith, Chagak trouva Traqueur de phoques.
D'abord elle ne le reconnut pas. Son visage enflé était recouvert du sang d'une blessure à la gorge, son ventre ouvert de la poitrine au sexe, mais quelque chose de profond en elle lui arracha un cri de douleur quand elle regarda le corps.
Traqueur de phoques tenait une lance à la main. Un autre corps gisait à côté de lui ; celui d'un étranger. L'homme portait une blessure sanglante à l'épaule et une autre au milieu de la poitrine. Ses pieds étaient peints en noir. Il portait un parka en fourrure de loutre et de peaux de lamantin, mais il n'était pas décoré à la manière d'une tribu que Chagak connût, ce n'était ni les commerçants appelés les Hommes Morses, ni le peuple de sa mère, les Chasseurs de Baleines. Peut-être faisait-il partie du Peuple des Caribous ? Une tribu lointaine dont parlaient parfois les Chasseurs de Morses. Mais pourquoi les Caribous auraient-ils quitté leur village pour venir dans les îles ? Le Peuple des Caribous ne faisait pas de commerce. Il ne savait rien des ikyan ou des animaux de la mer. De plus ces hommes n'étaient-ils pas grands et de teint clair ? Cet étranger était petit et, même décolorée par la mort, sa peau était sombre.
L'âge venant, un homme comprend les manières des autres. Il apprend à observer les yeux, le jeu de la mâchoire, le mouvement des doigts.
Les femmes doivent travailler plus dur, faire sécher la viande et stocker l'huile afin que nous puissions nous nourrir pendant de nombreux mois. Peut-être l'an prochain n'y aura-t-il plus de baleines.
Un homme ne choisit pas d'être le chef ou non. C'est le peuple qui choisit. Les membres d'une tribu suivent la sagesse d'un homme; ils suivent un chasseur aguerri. Ils sont prêts à te suivre.
Il est... il est comme le vent. Le vent souffle et apporte des vagues qui détruisent un village, ou bien le vent souffle et apporte le corps d'une baleine pour que chacun ait de l'huile. Bienfaisant et malfaisant, les deux, tu vois, et peu lui importe que ce soit l'un ou l'autre.
Elle n'était pas ce que la plupart des hommes attendaient d'une épouse, mais c'était une femme, qui savait coudre et préparer les peaux.
II faut dire que les Chasseurs de Baleines parlaient la même langue que les Premiers Hommes, même si certains mots se prononçaient différemment, avec un rythme plus rapide, comme si, en chassant la baleine, les gens avaient appris à aller plus vite, même dans leur langage.