AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Thibault Marconnet (83)


Qu'il est doux d'aimer cette poésie
Du ruisseau qui siffle indolent,
Du blé qui tend son frêle épi :
Les mots sont impuissants.

(extrait des Vitraux de lumière, p. 29)
Commenter  J’apprécie          491
L'enfant a dit à l'arbre :
" Tu es un géant silencieux
Quand tu respires;
Apprends-moi à grandir " ...

L'enfant a dit à la terre :
" Tu es allongée, douce et chaude
Comme une femme qui va accoucher;
Apprends-moi donc à aimer " ...
Commenter  J’apprécie          300
L'enfant a dit à la fontaine :
" Tu es un ruisseau enfermé
Mais ton eau est toute pureté;
Apprends-moi la liberté " ...

L'enfant a dit au vent :
" Tu es doux et violent
Comme un homme désarmé;
*Apprends-moi à chanter " ...
Commenter  J’apprécie          265
Thibault Marconnet
Soleil sur la neige rose

À ma mère

La neige est rose
Sous la paume du soleil

La peine se métamorphose
En oiseau cuivré

Endors la nuit
Dans ta bouche d’or
Soleil de charité

Dans les yeux morts
Fais luire ta clarté

Bougent les statues de sel
Sur le ciel en feu

Un enfant appelle
Dans la lumière bleue

Tombent les flocons du prunier
Sur la terre au ventre de femme
Accouchée

Enfin tout repose
Dans le silence retrouvé

La peine se métamorphose
Et l’âme est sauvée

Soleil sur la neige rose

© Thibault Marconnet
Le 28 février 2014
Commenter  J’apprécie          240
Thibault Marconnet
Thibault Marconnet - Le trésor

Nous avons cherché
Cherché de l’or
Nous avons marché
Encore et encore
Nous avons perdu
Perdu le nord
Nous étions si nus
Face à la mort
Que nous n’avons pas cru
Atteindre l’aurore

Refrain :
Mais si demain je respire encore
J’aurai trouvé un trésor
Je n’aurai plus peur de la nuit
Je pourrais être qui je suis

Nous avons pleuré
Dans la poussière
Nous nous sommes égarés
Dans un cimetière
Et la vie a tourné
Tourné à l’envers
Nous nous sommes cognés
Dans le décor
Nous nous sommes baignés
Dans les remords

Refrain

Nous nous sommes cachés
Face au soleil
Nous avons brûlé
Toutes nos merveilles
Et nous sommes partis
Dans le désert
Laver nos corps meurtris
Dans la lumière
Nos mains ont creusé
Creusé la terre
Et nous sommes nés
Dans le tonnerre

Refrain

Composition de Thibault Marconnet.
Alto : Marine Debauge
Guitare / Chant : Thibault Marconnet
Guitare / Chant : Adeline Richard
Percussions : Jiss Dantas

Joué dans un petit concert, fin décembre 2012

https://www.youtube.com/watch?v=0lbUM715bnM
Commenter  J’apprécie          170
Bouche cousue

Le cœur des êtres sensibles est une maison en flammes.

Les hommes ont des visages de craie
Qui inscrivent le silence
Sur le noir profond de l'inconnu.

Les mots sont des baleines blanches
Hors de portée de leurs filets
Et de leurs harpons.

Ils errent, la bouche cousue
Par un fil d'Ariane.
Et le verbe est un Minotaure.
Commenter  J’apprécie          160
Terre

À mon grand-père, Pierre Marconnet

« Celui qui a été ne peut plus désormais ne pas avoir été : désormais ce fait mystérieux et profondément obscur d’avoir vécu est son viatique pour l’éternité. »
Vladimir Jankélévitch (in "L’Irréversible et la Nostalgie")

J’allais chaussé de blés et de lilas,
et mes vertèbres en glycine
me portaient.

Et je marchais,
frottant mon âme
à la glaise des chemins,
à la recherche de l’autre ;
au milieu de cette création
d’où le silence tiré sa fluidité marine.

Un puits me fait face
et toujours mon regard
est tressé de cordeaux
et de poulies.

Les chênes
dans leur solitude de vieillards,
sont teintés de gris, cabossés
par un vent de sabre.

Des chemins de terre
lézardent à l’infini
parmi le charbon des vieux soleils.

Les ombres de la nuit
portent un sein rouge : braise muette
qu’une lumière révèle.
Vois, le feu solaire s’élance
depuis mes doigts.

Du jet de la pierre
à mes pieds de mousse,
féminine,
la terre constamment
résonne.

Et je vais,
plus immortel que mon ombre.

(p. 8-9)
Commenter  J’apprécie          160
J'ai des vitraux de lumière
Sur mon front, sous ma peau;
Des vitraux de lumière
Comme de clairs drapeaux.
Commenter  J’apprécie          150
Thibault Marconnet
Oraison

Une pluie d’or lave mon visage
Des serpents noirs ondulent sur l’eau
Fiancé de la lune, j’ouvre son corsage
Et bois le sel blanc de sa peau

Le sceau rouge du soleil sèche ma bouche
Déjà la nuit va monter du canal
Comme une grande femme se couche –
Robe verte et lèvres pâles

J’entends rugir les lions
Sous le châle d’absinthe
Le frottement des vieux galions
Dans la lumière éteinte

L’encens des algues flotte dans l’air
Au balancement de l’horizon
L’or va s’enfouir dedans la mer
Et la myrrhe apaisera la plaie
De mon oraison.

© Thibault Marconnet
Écrit à Venise, face à la lagune, le long de la Riva degli Schiavoni, le 12 mars 2014.
Commenter  J’apprécie          150
Thibault Marconnet
Grain de sel

La vie a un goût de sel, se disait le vieux pêcheur Yórgos, assis au petit matin dans son caïque qui flottait doucement sur la mer Égée. À quelque distance, l’île d’Hydra resplendissait comme une pierre précieuse sous le feu du soleil levant. La vie a un goût de sel et c’est ça qui lui donne sa saveur, pensait Yórgos en lui-même. Il aimait ces dialogues matinaux avec son âme, lorsqu’il était seul sur l’eau à attendre que les poissons viennent se prendre dans ses filets. Seulement, du sel il n’en faut pas trop, sinon c’est écœurant. C’est comme la vieille Eléni, qui en met toujours beaucoup trop dans ses plats. Ce n’est pas la mer à boire, mais presque ! Pas étonnant qu’on se rince autant le gosier avec le raki de sa taverne, histoire de noyer tout le sel de sa cuisine.
Je me souviens d’un jour où j’étais enfant. C’était en 1941 ou 1942. Mon père, Kostas, avait mis tout son barda sur le dos, pour aller faire la guerre dans les montagnes contre l’envahisseur allemand. Sur le seuil de la porte de notre maison je le regardai intensément qui embrassait ma mère, et lui couvrait le visage des baisers rugueux de sa barbe noire. Ma mère, la belle Ariádni, pleurait tout le sel de son corps en se serrant contre son époux, comme un poulpe étire ses tentacules autour de sa proie. Mon père caressait à pleines mains ses longs cheveux défaits en essayant de la rassurer, ce ne serait pas long, on aurait vite fait de les foutre à l’eau, et puis ensuite la vie reprendrait son cours normal.
Comme il devait rejoindre d’autres partisans qui l’attendaient, il embrassa une dernière fois sa femme en pleurs puis il me regarda du coin de l’œil, moi, son fils unique, le petit Yórgos. Je ne savais pas au juste dans quelle tragédie mon père allait se fourrer mais, au regard grave qu’il me lança, je compris instinctivement qu’il me confiait la tâche d’être le nouveau capitaine de notre embarcation, et me demandait silencieusement de veiller sur ma mère désormais. Un vague sourire se dessina dans sa barbe de charbon, et il se pencha vers moi. Dans sa large paume ouverte, quelques grains de sel blanchissaient la peau brune de sa main. Il m’en tendit un et me dit : « Regarde, Yórgos, ça c’est l’or blanc de la mer, c’est ce qui donne du goût à la vie. Si jamais tu la trouves trop fade, ajoute donc un grain de sel. Mais fais attention, il faut bien savoir mesurer la quantité qu’on en met, autrement ça gâche tout. C’est comme les forces de l’homme et de la femme, il ne faut pas en excéder les limites, car la vie est dure et impitoyable parfois. Et il faut toujours garder de quoi tenir jusqu’au bout de la traversée. » Disant ces mots, il déposa un grain de sel sur ma langue avant de m’embrasser le front et de partir au loin.
Je n’ai jamais revu mon père. Mais j’ai toujours dans la bouche le goût de ce dernier grain de sel, qui fait que je ne l’oublierai jamais. Sois tranquille, Papa, je prends soin de tes filets et de ton caïque. Repose en paix avec Maman auprès de toi, qui t’a rejoint dans la nuit des âmes il y a dix ans de cela. Ton fils est vieux maintenant et je sens que mon voyage prendra bientôt fin. Mais tant qu’il me restera des forces j’irai le plus loin que je peux, avec ton grain de sel dans ma poitrine, comme un petit soleil blanc.

© Thibault Marconnet
Écrit le 8 septembre 2017

http://le-semaphore.blogspot.com/2017/09/grain-de-sel.html?m=1
Commenter  J’apprécie          156
Thibault Marconnet
"Dormir"

Ce soir
Je veux dormir
Dans l’oubli de mon nom
Dans l’oubli de tous les noms
Dans l’oubli du langage même
Dormir comme avant la Création.

© Thibault Marconnet
Le 21 avril 2014
Commenter  J’apprécie          130
Thibault Marconnet
Réconciliation

Sur le tapis bleu du ciel
Danse et tournoie la confrérie des oiseaux
Derviches tourneurs aux robes emplumées
Qui picorent le pain jaune du soleil

Chaque olivier murmure dans le vent
Des paroles de soutien et d'amour
Pour le cœur de l'homme solitaire
Jeté à l'abandon sur la vaste terre

Où sont allés les compagnons d'hier
Et quand viendront les amis de demain ?

Au creux de la voix tremble un appel
Et les dieux de l'Olympe
Grandes momies desséchées
N'entendent plus que la ruine de leur esprit

Quelle tâche incombe encore à l'homme ?
Celle de ne pas mourir
Avant d'avoir dit une parole qui soit vraie
Comme le blé que l'on sème

Qui entendra nos voix mangées par la mort ?
Quel aède exaltera la trace fugitive
De nos petites vies que nous croyons si grandes ?

Au crépuscule le passeur viendra sur sa barque
Habillé d'ombre et de brouillard
Récolter les fleurs fanées que nous serons
Allongées dessus l'herbe immémoriale

Accomplis donc ton office, ami des fantômes
Et conduis-nous où bon te semble

Il suffit que l'olivier chante des mots verts
Pour que l'âme humaine refleurisse
Au sein du monde retrouvé
Dans le temple de sable et de cendres
Où la lumière et la nuit sont réconciliées

© Thibault Marconnet
Écrit à Nafplio, en Grèce, le 29 août 2017
Commenter  J’apprécie          130
Thibault Marconnet
Les choses qui durent

C’est dans un geste instinctif, comme venu du fond des âges, que ma main s’est posée sur le vieux mur qui ceignait une tour faisant face au massif de la Grande Chartreuse ; et ce contact m’a procuré de l’apaisement. Vieilles églises, châteaux, pierres, eau limpide des torrents, terres grasses ou sèches, herbes, feuillages, troncs noueux et puissants des arbres centenaires… Il faut s’imprégner par le plat de la paume de toutes ces matières, tendre l’oreille à leurs rumeurs aux accents d’éternité, vibrer au travers de leur pulsation secrète. Dans un monde qui cultive la matière stérile du faux et de l’oubli, il faut toucher les choses qui durent, ces mains qui se tendent pour nous arracher au vide.

© Thibault Marconnet
Texte écrit en 2008 ou 2009

http://le-semaphore.blogspot.com/2014/10/les-choses-qui-durent.html?m=0
Commenter  J’apprécie          120
Thibault Marconnet
Serpent rouge

Un serpent rouge est logé dans le cœur
Lorsque sera venu le moment du trépas
Comme une flamme vive pleine de fureur
Ses crocs saisiront la mort et il la mordra

© Thibault Marconnet
Le 20 novembre 2022
Commenter  J’apprécie          110
Thibault Marconnet
Figuier

« En vérité, je tète le soleil »
Saint-Pol-Roux ("Le Soleil")

Sperme rouge
le feu jaillit de mon sexe
dans la chambre noire
de ton ventre

et des grains de rosée
— collier scintillant au cou de l’herbe —
sortent de ta peau émue
en étoiles d’eau

Mon couteau brandi
dans la nuit blanche
de tes cuisses nues
inaugure les noces de la chair

Ton fruit se fendille
ainsi qu’une figue mûre
et je bois à longs traits
ce jus de soleil cette encre marine
au goût de lumière et d’algues vertes

À ta bouche un lait céleste
me relie à l’extase volcanique
de l’ici-bas transfiguré

Chair du monde
que nous mangeons ensemble
chant du sel que nous célébrons
jusqu’à l’ivresse

Dans le cendrier du ciel
rougeoient encore
quelques braises de cigarettes
des nébuleuses de tabac

Comme la terre accueille l’arbre
laisse-moi prier en toi
ainsi qu’un totem sans tabou

Dans la nuit qui reflue
dans l’ombre jaune de la fièvre
la vigne éclate au pressoir charnel

Et le vin du figuier baptême de notre nudité
tantôt douce et cruelle

© Thibault Marconnet
Le 12 mars 2015
Commenter  J’apprécie          110
Thibault Marconnet
Sicile

Les orangers perlent des gouttes de soleil
dans cette île où les dieux firent escale
comme Ulysse est retourné à Ithaque
au bout de sa longue et périlleuse odyssée

Ici, le soleil est un citron
qui passe sans se presser
dans l’acidité bleue du ciel

Les poissons ont la saveur des épopées
le vin, la chaleur de l’Etna
et les hommes et femmes
ont le cœur à portée de la main :

et ce ne sont pas des miettes qu’ils donnent
mais toutes les larmes de leur pain

© Thibault Marconnet
Écrit à Agrigente, dans la Valle dei Templi, le 26 avril 2017
Commenter  J’apprécie          112
Thibault Marconnet
Le parfum des noms

Giuseppe Baldoni avait vu bien des mers et des continents au cours de sa longue vie de marin. Ses yeux conservaient encore l’éclat des diverses lumières et couleurs dont ils s’étaient abreuvés. À présent sédentaire, le vieil homme menait une fin de vie paisible à Venise. La plupart de ses amis étaient aujourd’hui disparus, comme la marée dissout les châteaux de sable que les enfants façonnent sur la plage.
Mais Giuseppe ne cultivait pas de tristesse dans son cœur : chaque fois qu’il voulait réveiller un de ses amis du sommeil des morts, il lui suffisait de se remémorer les belles choses qu’ils avaient vécues ensemble. Et celles-ci ne manquaient pas.
Durant sa vie sur les différentes terres et océans du globe, Giuseppe avait amassé une grande quantité de bocaux en verre, qui s’accumulaient dans son petit appartement au milieu de plantes exotiques, de livres, de dessins et de divers coquillages. Ce qui pouvait sembler étrange, c’est que ces bocaux de verre étaient tous vides.
Giuseppe n’avait jamais fondé de famille : il n’en avait jamais éprouvé le besoin. Et puis, sa vie de marin bien occupée ne se prêtait guère à la vie familiale. Toujours est-il que le vieux Baldoni entretenait une relation quasi filiale avec un jeune étudiant qui lui faisait ses courses et cuisinait pour lui de temps en temps. Ce jeune homme s’appelait Mario Baldassari.
Très curieux de nature, l’étudiant interrogeait souvent le vieil homme sur ses différentes pérégrinations autour du globe, lequel répondait fort volontiers et ne tarissait pas de détails sur les pays visités : évoquant tour à tour les musiques, les sons des langues étrangères, les formes de végétation, la nourriture, les climats, la faune et la flore, les couleurs de l’aurore et celles du couchant. Un jour, Mario demanda à son hôte pourquoi il possédait tant de bocaux en verre vides.
« Eh bien, Mario, tu poses là une très bonne question. Vois-tu, ces bocaux semblent vides, mais en apparence seulement.
- Mais que peuvent-ils contenir ? demanda le jeune homme intrigué.
- Dans chacun de ses bocaux se trouve l’odeur de mes voyages, cette chose impalpable comme le vent mais qui survit dans ma mémoire, répondit Giuseppe.
- Mais alors pourquoi les gardez-vous, fit remarquer l’étudiant, si vous avez toutes ces odeurs en tête ?
- Je les garde pour me rappeler que rien n’est plus insaisissable que le parfum de la vie. Sur ces bocaux, tu verras des noms : Shanghai, Tokyo, Calcutta, San Francisco, New York, Buenos Aires, Rio de Janeiro, Londres, Hambourg, Tanger, Bordeaux, Alger, Lisbonne, Athènes, Le Caire, Istanbul et tant d’autres. C’est derrière l’évocation de ces noms que se trouve leur parfum. Si tu ouvres les bocaux, tu ne sentiras rien de plus qu’une légère odeur de renfermé.
- Et leur présence ne vous encombre pas ? demanda Mario.
- Pas le moins du monde. J’aime bien amasser le vent, c’est ma part de rêve, répondit le vieux Giuseppe. »
À la mort du vieil homme, Mario Baldassari hérita de ces bocaux et, dans son propre appartement, il les ouvrit l’un après l’autre pour en laisser s’échapper l’odeur des voyages du vieil homme. Ainsi le vent retournait au vent. Mais le parfum des noms subsisterait longtemps encore dans l’esprit du jeune homme.

© Thibault Marconnet
le 20 décembre 2018
Commenter  J’apprécie          112
Thibault Marconnet
Verlaine

Verlaine, Verlaine le mystique,
Et sa bouche comme un encrier ;
Pour saluer les jours antiques,
Pour naître, jouir et crier.

Vieil hibou des temps modernes,
Au violent et doux battement de plumes ;
Verlaine, qui crache au front des badernes
Le vin vieux de ses vers
Comme un feu qui s'allume.

Verlaine, ange et démon,
Qui a mordu dans la chair
Comme dans un pain blond,
Pour laisser filer son foutre,
Son foutre clair.

© Thibault Marconnet
le 31 mars 2013

http://le-semaphore.blogspot.com/2014/02/verlaine.html?m=0
Commenter  J’apprécie          110
Thibault Marconnet
L'union

Louise, une jeune femme d’une trentaine d’années, marchait dans une épaisse forêt, le souffle court, oppressée par l’atmosphère qu’elle sentait émaner autour d’elle et en soi.
Depuis trop longtemps la nuit avait pris possession de son âme comme un gros ballon de colle noire. Son ombre ne la suivait plus, elle s’était fondue en elle pour prendre toute la place. Le ciel était gris comme la ferraille d’une tôle ondulée et Louise se sentait prisonnière de sa propre peau. Comme elle aurait voulu pouvoir muer ! arracher ce tissu qui l’étouffait et l’abandonner derrière elle ainsi qu’un serpent fait de sa peau morte.
Lorsqu’elle déboucha dans une clairière, le soleil lui sauta au visage ainsi qu’un chat qui, pris de fureur, griffe et mord jusqu’au sang. Où cacher son corps à présent qu’une lumière verte avait envahi toute l’herbe ?
Malgré les javelots d’or du soleil et le chant matinal des oiseaux, tout lui semblait pénétré de mort jusqu’aux plus intimes racines de sa chair. Un fantôme : voilà comment elle imaginait son être, un feu follet dont la lumière blafarde est avalée et mastiquée inlassablement par la bouche morte du ciel. Louise aurait voulu serrer un homme contre elle, se couvrir de ce corps masculin comme d’un manteau protecteur. Alors seulement, peut-être, se sentirait-elle revivre à nouveau, baignée dans la chaleur d’une peau qui aime.
Elle regarda les stèles en bois des arbres muets. Il fallait fuir ce cimetière, s’échapper, courir jusqu’à sentir l’air lui brûler la poitrine, cracher sa mort, pleurer tout le sel de ses yeux, regagner le seuil de la vie. Elle repensa aux nuits d’amour. Cela était-il donc bien fini ? Non ! Il lui fallait d’abord se réconcilier avec ses forces vives, ouvrir son sein pour y laisser entrer la lumière fauve et animale d’un corps qui désire de toute son âme.
Elle sentit la terre chaude à ses pieds, couchée comme une immense femme, lui communiquer le feu ardent de son magma souterrain. Elle allait aimer jusqu’à plus souffle les fleurs, la sève des arbres, l’eau dorée des rivières ; elle allait reprendre vie.
Louise ouvrit son être à toute la beauté vivante qui palpitait autour d’elle. Une vague de pitié la traversa tout entière : elle pleura sur elle-même et ses larmes furent douces. L’amour redevenait peu à peu maître de sa peau de même qu’un renard regagne la paix de son terrier.
Louise faisait enfin corps avec soi. Pour ne rien perdre de cette union solaire retrouvée, elle rentra en elle-même et elle ferma la porte.

© Thibault Marconnet
le 24 juillet 2015

http://le-semaphore.blogspot.com/2020/12/lunion.html?m=1
Commenter  J’apprécie          113
Thibault Marconnet
L’homme amoureux

L’homme amoureux
est plus nu
que nouveau-né
en son berceau

Il voudrait deviner
cette angoisse qui le tue
savoir où fuit cette eau
dans son impénétrable silence

Car vois-tu homme au cœur lourd
les femmes ne sont pas des noix
dont on peut concasser le mystère
entre ses doigts

L’amour est un incendie
qui nous brûle les yeux
et que ferons-nous alors
de notre pauvre cendre ?

Dispersé aux quatre vents
l’amoureux est une barque
en pleine mer
qui n’a ni port où accoster
ni sein de mère
où verser l’eau salée de ses yeux

Vois vieil enfant blessé
le secret bien caché
dans la bouche
de celle que tu aimes
c’est un fruit de pierre
et ses lèvres aimées
sont les barreaux
où tu poses ta tête
de prisonnier

Car la femme qui brûle en ton cœur
ne te laissera pas boire son âme
mais tout juste son ombre rouge
ou sa silhouette de buée
et de cela seul homme assoiffé
tu devras te satisfaire

Dans ta nuit de solitude
tu peux bien crier
comme un chat qui souffre
seule la lune
t’accordera son blanc regard

Amoureux tu as peur de voir
ton rêve s’écrouler
ainsi qu’un château de sable
sous les vagues de la désillusion

C’est qu’un matin
tu t’es levé
avec une dague dans la poitrine
de plus en plus enfoncée

C’est qu’innocent du mystère
tu n’as voulu aimer
qu’à condition que ton amante
se montre dans son entière nudité –
mais c’est une amande fermée
sur laquelle tes dents se brisent

C’est qu’un feu vert s’est allumé
dans les yeux d’une femme
et ce baiser t’a consumé
sans jamais dévoiler son âme

Ça n’est pas écrit
sur le visage
c’est juste un peu d’écume
qui sèche sur le rivage

Dans l’étreinte
tu as cru trouver la clef
mais c’était une feinte –
elle n’est pas à toi cette éternité

Ce n’est pas ta faute
et personne n’y peut rien
l’essence d’une rose
n’est pas son parfum
l’Infini n’est pas contenu
dans le creux des reins

À la fin la fleur est fanée
mais son âme ne reste pas
comme une poudre de pétales froissés
qui embaume les mains

Homme errant qui mendies tout le Ciel
contente-toi de sa rosée
le feu se nourrit de bois
et non de fumée

© Thibault Marconnet
Le 15 juillet 2014
Commenter  J’apprécie          100



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Thibault Marconnet (6)Voir plus

Quiz Voir plus

Contrefaçon de titres

Roman de Yasmina Khadra

Ce que le jour doit à la nuit
Ce que la nuit doit au jour

15 questions
19 lecteurs ont répondu
Thèmes : roman , films , titres , originauxCréer un quiz sur cet auteur

{* *}