La vie est dure. On vit une drôle d’époque. Trouver un boulot stable en 2019 relève de l’exploit. Quand je regarde le nombre de chômeurs et tous ces sans-abri… Déjà que les emplois existants sont menacés, vous n’avez pas peur que cela soit pire dans cinq ans ? Personne ne peut dire l’avenir. Je crois qu’en vérité, personne ne cherche vraiment à savoir.
Telle la foudre, le malheur peut frapper partout, sans prévenir, impossible à contenir. Jusque dans nos campagnes et en nos institutions les plus respectueuses, le mal sévit de l’intérieur, avec une rage déboussolant tout de nos êtres. Il n’a pas de limites, ni de lois, ni de logique comptable que celle de nous rayer un à un de la surface du globe, après nous avoir fait souffrir de multiples épreuves plus funestes les unes des autres. Arrive cette heure glaçante de tous les dangers qui lacèrent nos plus épais retranchements, nous laissant à la peine échafauder les pires scénarios. L’horreur. Depuis ceux liés aux commerces de gosses, à la pédophilie qu’on redoute et débecte, le sexe luxurieux ou encore la mutilation, le trafic d’organes. Inimaginable est de subir la perte de ce petit corps, ce petit être si jeune et impuissant, l’agonie qui s’accapare l’univers, l’imaginer cantonné dans une geôle insalubre et pisseuse ou bien déjà mort, sacrifié.
Nombreuses sont les nounous ici, au point de rendez-vous. Peu muettes, les dames vont causer de tout et de rien, réparties sur les trois bancs qui entendront se déballer encore des histoires de maris, de vacances, d’anecdotes et de blagues croustillantes. Au jeu des potins, des aventures entendues ci et là, d’exploits moqués de certaines femmes peu farouches, du film d’action de la veille vu avec passion et surtout avec le beau Brad Pitt, entrecoupé de publicités insupportables et d’informations des médias abominables, à briser le moral. Elles aiment partager ces instants de vibrations, c’est comme partir en voyage organisé, un voyage fait de curiosité, d’échanges et d’émotion qui les rendent plus vraies, indispensables et humaines.
Incontrôlables, ils font ce qu’ils ont à faire et s’enfuient après leur invective, sans joie ni tristesse. Ou l’inverse selon où l’on se situe. Qu’on ait l’arme à la main en tant que meurtrier ou l’arme planté en sa chair rouge, dans un compte à rebours. Tous condamnés.
La base de tout est d’être méthodique. Parce qu’il faut s’organiser, se dit-elle. Garder des enfants, c’est comme le vélo. Il faut toujours être en éveil et en équilibre en permanence sinon c’est la chute et on n’imagine pas combien elle peut être douloureuse.
Ce psychopathe commet toujours d’affreuses conneries quand il se sent contrarié. Passionné d’armes blanches, ce gars se fait appeler dans le milieu « l’homme aux couteaux », c’est assez banal, a contrario du monstre qu’il est, un faux prophète auto-proclamé. Peu de gens le connaissent en réalité, les quelques voyous qui roulent pour lui baissent les yeux quand ils le croisent, par crainte de mauvais sort, sauf ces deux-là, ses fidèles acolytes de toujours. Chose rare ici, il n’a jamais été inscrit à l’état civil. Il n’est personne, sauf un marginal qui hante les recoins de nos campagnes et cités, caché nul ne sait où, un mafieux des ténèbres.
Nul n’en démord qu’aujourd’hui, il est impossible de s’en sortir, d’un point de vue financier, avec une seule paie par foyer. À moins de gagner beaucoup plus que la moyenne ou de magouiller, tricher, voler. Ce qui est loin d’être le cas des gens d’ici, d’une classe plus que moyenne, dont l’adjectif agaçant ne veut plus rien signifier, tant la vie est chère et ce pays devient sinistré par les délocalisations successives, les sacrifices des emplois, la réduction en peau de chagrin de tous les services. Et la recrudescence des cambriolages, les vols de voitures et les trafics de drogue en tout genre…
Leurs sourires et les blagues cocasses ne parviennent pas toujours à faire oublier le monde cruel dans lequel l’homme évolue. Voici le temps précieux de leurs premiers pas, exécutés sous des allures de soutiens sportifs, de cérémonie, applaudis, spectacle à immortaliser en photo depuis les téléphones portables dégainés du sac de rechange, illico presto. Elles rient, elles omettent presque qu’elles sont les garantes de la santé et de la sécurité des marmots, pas longtemps, pardi ! Elles savent mieux que quiconque qu’on ne joue pas avec la vie des gens, encore moins avec la fragilité des enfants.
Ici, il fait bon vivre. Aucune tension ne se fait sentir. Tout est calme, trop calme. C’est ce que disent aussi les jeunes, sur un autre ton, un peu frustrés et pyromanes de poubelles à temps perdu, pour tuer le temps les soirs et après-midis de vacances scolaires, une bière à la main à tenter de jouer aux adultes. Ils se moquent de leurs parents à table. Limite à gamberger à mal, quand ils sont privés de console de jeux hyper violents, ou dépossédés de leur téléphone portable devenu vital. Certains sont décidés à vouloir quitter à dix-huit ans ce trou perdu.
Prendre le flambeau à l’endroit précis où les adultes se sont arrêtés de montrer l’exemple, et ne plus nous laisser vivre dans une poubelle, un cimetière sans air. Elle se dit qu’elle les aidera à réparer les actes manqués. Elle se dit que la vie est précieuse, alors le droit à l’erreur n’existe pas. Elle n’ignore pas toutes ces considérations, elle les revendique, entière, humaine et sociable. Elle s’appelle Cathy, elle est nourrice agréée à domicile. Et elle languit de prendre son café chaud pour se réveiller, bon pied bon œil.