Tom Reiss - The Black Count (3 of 3)
« Lev était devenu adulte au moment où l'assimilation devenait un anachronisme, et où la révolution, qu'elle soit allemande ou russe, de droite ou de gauche, forçait les gens à choisir leur camp. […] Le nouveau tribalisme commençait à reconstruire les anciennes murailles du ghetto. Ils [les Juifs] étaient menacés par la chute brutale des anciens régimes impériaux et monarchiques, en dépit du fait que nombre d'entre eux l'avaient souhaitée et encouragée. Les vieux empires et autocraties, même au plus fort de la répression, avaient laissé un espace où les gens pouvaient continuer à vaquer à leurs affaires. Ce n'était pas le cas des systèmes idéologiques totalitaires que Lev connaissait. » (p. 266)
Lev rencontra plus tard certains de ces princes et de ces ministres dans les années 1920 à Berlin, où les restes de la cour de Boukhara étaient venus rejoindre les milliers de Russes blancs qui avaient fait de la ville allemande leur capitale. Lev Nussimbaum, désormais musulman comme eux, était devenu célèbre sous le nom d'Essad Bey en se faisant le chroniqueur de leur splendeur, de leur corruption et de leur chute sans grandeur.
A l'automne 1792, le citoyen Labouret était sans doute l'homme le plus heureux et le plus fier de tout le Nord de la France. Le brillant soldat qui avait séduit sa fille à l'été 1789 était venu réclamer la main de sa fiancée, arborant aux manches de son uniforme non le simple chevron de maréchal des logis d'une quelconque petite unité, mais les barrettes de lieutenant-colonel d'une légion franche. La petite ville avait son héros de la Révolution, et ce serait à l'aubergiste que reviendrait l'insigne honneur de l'avoir pour gendre.
J'entrai donc sans que personne me vît ou me remarquât. Je gagnai une petite chambre où l'on enfermait les armes ; je pris un fusil à un coup qui appartenait à mon père, et que l'on avait souvent promis de me donner quand je serais grand.
Puis, armé de ce fusil, je montai l'escalier.
Au premier étage, je rencontrai ma mère sur le palier.
Elle sortait de la chambre mortuaire... elle était tout en larmes.
- Où vas-tu ? me demanda-t-elle, étonnée de me voir là, quand elle me croyait chez mon oncle.
- Je vais au ciel ! répondis-je.
- Comment, tu vas au ciel ?
- Oui, laisse-moi passer.
- Et qu'y vas-tu faire, au ciel, mon pauvre enfant ?
- J'y vais tuer le bon Dieu, qui a tué papa.
« De retour parmi la communauté flottante des exilés, Lev fut saisi de nostalgie pour "l'Orient" entrevu à Constantinople. Ses sympathies allaient au sultan et à sa cour. Le califat et le sultanat lui paraissaient des institutions éminemment respectables, et il avait eu le sentiment d'avoir trouvé un sens à la vie en contemplant le spectacle des mosquées et des bazars de la grande capitale islamique. […] Tous les révolutionnaires, tous les mouvements politiques extrêmes, et à vrai dire la politique moderne en général, le dégoûtaient et lui faisaient peur, et il se réfugiait dans les institutions permanentes dont les fondations remontaient à un passé lointain. » (p. 160)
« De même que Lev tira l'inspiration de ses livres et de ses articles sur le désert et l'islam de son voyage à travers le Turkestan à dos de chameau, son périple à cheval le long de la frontière entre l'Azerbaïdjan et la Géorgie lui fournit la matière première de ses ouvrages sur le Caucase. Ces deux influences, le désert et la montagne, allaient se fondre et devenir une solution spirituelle de rechange à l'oppression écrasante de la révolution, du totalitarisme et du conflit mondial. » (p. 131)
On pourrait pointer du doigt bien des dysfonctionnements dans la République directoriale dont hérita le Premier Consul, mais elle avait cette immense mérite pour son époque d'offrir à tous ses citoyens les mêmes droits et opportunités, sans distinction de couleur. L'Assemblée législative parisienne, si instable et imparfaite fût-elle, accueillait en outre dans ses rangs des députés noirs et mulâtres.
Dumas n'avait échappé à sa prison que pour retrouver une France révolutionnaire défigurée par des lois infamantes qui le menaçaient maintenant dans son propre pays. Moins d'un an après son retour, il fut contraint d'adresser au gouvernement une demande de dérogation pour pouvoir rester chez lui, Villers-Cotterêts se trouvant dans la zone interdite aux militaires de couleur réformés.
Le héros de guerre en était à présent réduit à faire appel à l'influence de ses anciens compagnons d'armes pour éviter la déportation.
Il mettait tant de fougue au combat, tant d'ardeur à traquer les Autrichiens dans les montagnes enneigées, que ceux-ci, terrorisés par cet infatigable colosse, le surnommaient le "schwartz Teufel" - le diable noir !
Il mettait tant de fougue au combat, tant d'ardeur à traquer les Autrichiens dans les montagnes enneigées, que ceux-ci, terrorisés par cet infatigable colosse, le surnommaient le "schwartz Teufel" - le diable noir !