Dans "Abolir la prison", le lecteur est en présence des motifs par lesquels il y a lieu d’appeler à mettre en œuvre une réforme, à la fois ambitieuse, efficace et réaliste, visant une véritable rupture avec le principe de l’enfermement comme référence pénale principale et massive, aussi bien en milieu fermé qu’en milieu ouvert.
Il importe de distinguer la pantopie du panoptique. La pantopie caractérise le processus par lequel un phénomène ou un état tend à déborder le cadre spatial pour lequel il était initialement conçu ou fait. […] Elle reflète la tendance à l’élargissement des espaces carcéraux, voire pénaux, aux territoires de la société civile.
La particularité des mesures pénales du milieu libre tient moins à la différence qui séparerait l’espace clos de l’espace ouvert qu’à la « différance », avec un « a », au sens utilisé par Jacques Derrida d’un délai, d’un détour ou d’un perpétuel acte de différer, qui caractérise les sanctions exécutées dans la communauté, au regard du poids des interdictions et des obligations afférentes et compte tenu de la menace latente d’une révocation et du chantage primordial à l’incarcération. Autant dire que les pénalités aujourd’hui se distribuent au sein d’un milieu mixte qui tend à être de plus en plus homogène, et qui conjugue la fermeture à l’ouverture, le statique au dynamique.
De même qu'il est impropre de parler d'une virtualité de l'enfermement à propos du placement sous surveillance électronique, de même il est pour le moins ambigu d'insister sur le caractère dématérialisé de ce type d'enfermement.
Le civil tend aujourd'hui à se conformer au pénal.
Un lieu de vie familiale, relationnelle, confidentielle et intime, l'habitation, comme espace incessible et inaliénable garanti par les droits de l'homme et le droit civil, est devenu la succursale du contrôle, l'antichambre de la prison.
Il est frappant de constater que la liberté des condamnés s’éprouve sous la constante modalité de la relativité ou de la conditionnalité, par cela seul qu’ils doivent répondre, même en dehors des espaces clos des prisons, aux fonctions carcérales d’un suivi adossé aux exigences de la punition, de la correction, de la normalisation.
Le point crucial qu’il sied de mettre en exergue ici, c’est le fait que le moi véritable ou authentique est soumis aux règles du moi apparent ou social. Qu’on le veuille ou non, la personnalité est nécessairement médiatisée et (sur-) investie par le regard des autres, par l’opinion commune, par les valeurs sociales. On a beau se retrancher dans son intériorité, tenter de conserver son moi privé à l’abri de l’influence des autres ou de l’ascendance de la communauté, il n’en reste pas moins que la définition de la personnalité n’a d’objectivité que sociale, elle résulte de la manière dont on subit la fixation du regard commun sur soi et des logiques de l’étiquetage collectif (cf., "Abolir la prison").
Nous sommes tous des placés sous surveillance électronique en puissance.
C'est que la peine de prison est toujours dite nécessaire seulement pour les autres, en tout cas essentiellement pour cette frange spécifique de la population que les Anciens nommaient la plèbe