Véronique Genest

Il faut passer à table à heures régulières, même si on n'a pas faim.

Quand elle m'a dit ça la première fois, j'ai pensé : j'ai toujours faim, ma grande, alors pas de souci pour moi. Et là, ça fait cinq jours que je suis là et je pense de moins en moins à manger. Ca a été plus long pour la cigarette. Il m'a fallu près de trois ans pour me la sortir de la tête.

Je continue la visite.
Le Spa est magnifique comme un palais des Mille et Une Nuits.
Un jacuzzi, un sauna, un hammam, des salles de massage et des salles de soin de balnéothérapie : massages sous affusion, baignoires à jets multiples, bains bouillonnants ... Une grande terrasse où des transats bien sagement alignés attendent nos corps alourdis par le sommeil que provoque la douceur des caresses de l'eau. Des alambics où décantent des potions magiques destinées à vous purifier de l'intérieur.

Tout ici est voué au bien-être.

Honnêtement, je ne sais pas si cela va avoir de l'effet sur mon poids, mais sur mon moral, ça c'est sûr.

Depuis que je sais lire j’apprends des poésies, ce sont mes livres de chevet. J’aime particulièrement celles de Victor Hugo qui parlent de sa fille. Elle a l’air de tellement lui manquer et depuis sa mort mon père me manque si cruellement… Je dois faire un transfert.
Pour mon audition, j’ai choisi Le Chat, la Belette et le Petit Lapin, elle permet une interprétation très vive et variée. Je m’exécute.
Qu’après ça, le prof arrive à dire que mon emploi sera les servantes me laisse sans voix. Et pourquoi pas les jeunes premières ? Me voilà donc dans les Dorine, Martine, Fantine et toutes les « ine » du répertoire. C’est vrai que c’est sympa et que ça colle bien avec mon tempérament mais c’est tellement convenu. Tout comme l’enseignement du « maître », d’ailleurs. Si loin de ce que j’imagine, si désuet. Moi je rêve de liberté et il impose des préceptes d’un autre siècle.

- Allez ! Tu as fait un régime de protéines la dernière fois et ça avait bien marché, me rappelle une bonne copine.
- Oui mais le deuxième n'a pas fonctionné et je me suis retrouvée avec trois kilos de plus qu'avant de l'avoir entamé.
- Alors retourne à Quiberon ou dans une thalasso.
- Je n'y crois plus trop, à chaque fois je reprends tout.

Et tout le monde y va du dernier truc à la mode.
"T'as essayé le régime dissocié du Dr Chose ? La soupe du Dr Machin ? La cure de fruits ? Et la cure autonettoyante à base de poisson et d'asperges ? Et ..."

Arrêtez ! Oui, j'ai tout essayé. Et je n'en peux plus de passer ma vie au régime ! C'est trop dur !

D'ailleurs ça devient carrément infernal, plus je suis au régime, plus je grossis. Je déprime trop.

(En cure à Brides)

J'arrive dans une immense salle de restaurant très haute de plafond donnant sur une grande cour. Ce doit être agréable en été quand la terrasse est dressée, mais là c'est assez froid et impersonnel.

Il n'est pas très tard, pourtant toutes les bonnes tables près des fenêtres sont déjà prises.
Il y a quantité de personnes seules, comme moi.
C'est triste de manger seul !

- Peut-on se faire monter le repas dans la chambre le soir ?
- Bien sûr.
Cool ...
On m'apporte la carte.
- Ah bon, ce n'est pas un menu ?
- Oui et non, on doit choisir entre deux entrées, deux plats, et deux desserts.
- Il y a des desserts ? Trop bien !

- Ca dépend, dit le serveur. Vous avez vu la diététicienne ?
Vous êtes à combien ?
- Je suis toute seule.
- Je veux dire combien de Calories ?
J'avais compris, mais j'essayais de faire de l'humour et c'est le bide.
- Je ne sais pas encore, je viens d'arriver !

- Dans ce cas, comptez un repas à 1200 Calories et vous verrez avec elle après ! Ou bien je lui dis de passer vous voir tout de suite ?
- Non, non, ne la dérangez surtout pas, je la vois cet après-midi, 1200 Calories ça ira.

C'est déjà pas énorme, pour peu qu'elle me réduise encore, je le saurai bien assez tôt. Je ne suis pas archipressée de commencer, moi.

- En combien de temps et dans quelles conditions se déroulent vos repas ?
Cette question me panique, je sais bien que même avant d'y avoir répondu j'ai déjà zéro.
- Mais je vous jure, j'étais justement en train de changer.
J'ai commencé à mâcher.

(...) l'autre jour, ma copine Nadia avec qui je déjeunais m'a dit une phrase qui a fait tilt dans ma tête. (...) "Il faut boire le solide et manger le liquide." (...)
C'est fort, non ?
Tout devient limpide : il faut que je mâche jusqu'à ce que tout le solide que j'ai mis dans ma bouche devienne liquide. J'essaie.

Mais c'est très agréable, en plus !
Les aliments passent par plusieurs phases de goût et, en se mélangeant à la salive, deviennent plus digestes.
Sans compter que cela ralentit considérablement le rythme du repas et, comme l'estomac met du temps à se rendre compte qu'il est rassasié, on finit par manger moins. (...)

C'est une bonne résolution mais pas facile à tenir car, dans le feu de l'action et le stress, j'oublie vite, et je me remets à faire l'aspirateur, et pas de n'importe quelle marque, du lourd, avec moi il ne reste pas une miette en moins de cinq minutes.

- Bonjour, madame, puis-je vous aider ? me demande la vendeuse en m'approchant dans son 36 fillette.
- Euh ! Oui, je tente sans trop y croire. J'aimerais essayer la petite robe, là.
- Bien sûr, vous faites du combien ?
Le calvaire commence.
- 42 ou 44, ça dépend comment vous taillez.
On n'ose pas dire 46, avec le secret espoir qu'on n'y est pas encore, et on s'entend répondre :
- Désolée, mais on s'arrête au 40.

Je suis trop heureuse, je participe à mon premier film ! Enfin, si on veut, je n’apparais même pas au générique. Ce qui est sûr c’est que c’est ma première grande aventure. J’y côtoie des acteurs et des techniciens que je retrouverai plus tard, qui n’ont même pas idée de ce que je veux faire et à quel point je me nourris de ce qu’ils font, eux. Je ne sais même pas vraiment qui est qui ni si ce film est important. Pour moi c’est le plus important de tous, puisque c’est celui qui confirme que je ne ferai jamais rien d’autre que ça. À ce moment-là, ce n’est plus le métier d’acteur qui compte, c’est cette communion si solennelle de gens qui avancent tous vers le même but, cette fraternité dans la création où même le plus petit est traité en égal.

Qu’est-ce que je peux bien faire de ma vie jusqu’à ma majorité ? Quel métier choisir qui ne me demanderait pas un trop gros investissement, me laisserait du temps libre pour assouvir mes passions ?
Esthéticienne et maquilleuse. Voilà j’ai trouvé !
Je peux sécher presque tous les cours vu que le niveau requis est le brevet. Juste quelques cours de dermatologie à potasser, apprendre à épiler les jambes et à masser un visage. Fastoche ! Les seuls cours auxquels je suis assidue sont le maquillage et les effets spéciaux. Le diplôme en poche, j’attends. Ça me servira, j’en ai la certitude.

Et chez les Italiens, c'est pire, ils vous font du 46 qui correspond à du 42. Vous vous voyez en train de commander du 52 ? (...)
Donc, soit on se cache, soit on maigrit. Ou on essaye ...

Moi, ça fait trente ans que je m'y emploie.
A vingt ans, c'est pas trop dur on perd vite.
A trente, ça va encore, mais passé quarante balais, c'est plus le même topo.
Normal, disent certaines personnes qui ont tôt fait de vous enfermer dans la préménopause.
Alors quand on vieillit, on est forcée de devenir grosse ? J'ai quand même beaucoup de mal à accepter cette idée.