Créatine est le récit d'un jeune homme qui, végétant dans une misère affective et sociale, découvre un jour au cinéma un film avec
Arnold Schwarzenegger et décide de tout abandonner pour se consacrer à la musculation. Dans ce monologue effréné et essoufflant,
Victor Malzac examine les injonctions à la virilité, les mécanismes qui font la norme, et en montre les dérives. La langue poétique et inventive de l'auteur crée un rythme et une énergie presque burlesque, mais aussi effrayante.
Victor Malzac, accompagné de Charly Michaux, proposera une lecture performée de son texte, sous forme d'improvisation de sons et ponctuée de pauses sportives.
Victor Malzac est poète. Au cours de ses études de lettres, il écrit pour de nombreuses revues littéraires (Les Cahiers Tristan Corbière, Arpa, Recours au poème). Il fonde la revue Point de chute au printemps 2020, afin de créer un espace d'écriture en pleine pandémie. Son premier recueil,
Respire, est paru en 2020 aux éditions de la Crypte.
Créatine est son premier roman.
Charly Michaux est musicien. Il vit en Belgique.
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les touristes par dizaines…
les touristes par dizaines de milliers, les voitures, les
hôtels deux étoiles, les digues, le béton, le tramway
bleu jusqu’à la plage, les travaux, les grues, la Grande-
Motte et Carnon plage, les cartes postales, mes amantes
et mes amants partout, mon humour, le vin rosé, les
lunettes, les frites, les plaisanteries, le cul et les rencontres,
Tinder sur tous les téléphones, les attractions de bord de
mer, les oiseaux, les poissons, les corps et tous les genres
dans la gueule, les fornications dans la dune, en cachette
ou devant tout le monde, les gens, les gens vivants et les
orgies tout près des tas, des piles, des canots, du mazout
et des morts de la noyade, des déchets, des poubelles,
des gisements, des canalisations, des bâtiments rouillés,
la mer est lourde, la mer est vraiment stérile, je regarde,
j’aime, je suis là.
Je deviens qui je dois devenir, la nature, la mue du serpent en crocodile je disais (...), je dois tuer tout le monde, je dois tuer l'enfant en moi, je dois m'étouffer moi-même et devenir meilleur, je racontais à mon professeur ça, ne lui disais qu'il faut toujours se dépasser dans la vie et chercher comment tuer l'enfant qui pleure en toi, l'enfant gâté qui couine dans le nid de sa mère, tout ça, les larmes, c'est pour les fragiles, il faut se dépasser et s'étrangler pour être le meilleur de sa génération et c'est ça mon objectif, je veux être le meilleur maintenant, et donc souvent je fais de la boxe avec mon père.
mes années folles
mes années folles, ma jeunesse
dans un bain d’herbe
tombale un bain de terre
torride, où me laver le ventre le nombril aussi la tête
un peu ma pauvre, oui, ma pauvre tête
comme une pomme
trop mûre. j’attends, bonjour,
j’attends le calme – ne vient pas, en attendant je,
je fais de la musique
par terre avec un bâton, et je récite les psaumes,
les psaumes les leçons d’école les ruminations
de mon papa
les insomnies, et quand j’aurai fini,
j’entonnerai,
…
caresser l’herbe molle et la mâcher
caresser l’herbe molle et la mâcher,
brouter ce parc, manger
cette verdure
mince et morne où je m’oublie je tombe, où je me,
où je rumine comme un mouton
gentil. ou je remâche quelques brèves paroles
venant
de mes galets
de ventre,
où j’apprends à digérer ma jeunesse
aride, oui, à tout tenir à tout porter – et comme ça
j’avancerai
dans mes années
…
je regarde la mer, les vagues, les déchets, les bactéries, les
crabes morts, les méduses, les algues, les poissons,
le plastique, les gens, les couples, je regarde tout, c'est devant moi, c'est dans le sable et les palmiers, je
regarde la trace de ma main, Sète au bout de la digue
mon nom.
Mais ma mère, moi ma mère, ma mère elle était fade comme un plat de la cantine.
ce que j’ai vu…
ce que j’ai vu ça m’a tué, c’est là, c’est ma demeure,
mon remède, je suis prophète en mon pays, la
Méditerranée c’est le feu, la dinguerie, le territoire
brûle et pleure en pleine canicule, c’est le lieu d’une
maladie grave, d’un aveu, ça vaut bien mon déluge,
mon navire, ma barque et mon école en sacrifice,
et tout le reste est noir, je veux mon corps et sa
pulpe, sa sève dans le nez, je veux son courant fou,
sa profondeur, sa sécheresse et son torrent, oui,
oui j’aime cet endroit et ses décombres, j’aime les
carcasses au fond de l’eau, les poubelles, les risques,
j’aime les trajets, la jouissance et la musculature de
mes camarades, j’ai dix-huit ans depuis lundi.
j’entonnerai deux trois comptines
j’entonnerai deux trois comptines
oui je dirai les,
les comptines maladroites de ma maman
qui me lavait, me rappelant,
me rappelant tous les matins,
les râles
de mon papa
papa qui me lavait me réveillait, papa,
qui me, qui me brûlait
la peau, qui frottait fort au savon jaune
oui mon père,
tordu, tordu de dos, marmonnant
la nuit, dix ans de chômage depuis,
(...)
Je regardais les combats mythiques de la boxe, je regardais Fight Club et Schwarzenegger et Stallone à fond (...) et je m'inspirais de toute la vengeance que je pouvais voir sur YouTube c'était le début de YouTube. Je regardais les combats mythiques des grands noms (...), je connaissais leur vie par cœur grâce à Wikipédia, je savais tout, je voulais tout savoir d'eux et je voulais la même vie qu'eux (...) Ils avaient tout c'étaient des hommes, de vrais hommes comme on en faisait peu, je voulais ça.
Tu vas te dépasser, te conquérir, tu vas avoir un objectif et devenir quelqu'un (...) C'est ta nécessité, c'est ta mission, et alors je me disais ça tu seras un tueur, une machine, tu sur passeras tous les hommes et tu feras l'amour plein de fois, tu seras là machine de guerre que les hommes voudront toutes dans les magazines.
J'ai commencé à prendre ma vie en main comme ça et c'est comme ça oui, c'est ce jour-là que je suis devenu un homme.