- Oh. C'est la N.
Je hausse un sourcil. Se rend-il compte de son impolitesse ? Mon stress laisse place à une grogne gutturale. Ce bonhomme ne me connaît pas, mais il va apprendre de quel bois je me chauffe. J'émets un borborygme incompréhensible et lève bien haut ma paume afin qu'elle soit visible de tous :
- C'est ça, c'est moi la N, ..., j'aimerais bien voir le conseil de l'Exode.
- Non ! Je vous rappelle que je me suis porté volontaire avant vous, parce que je considère que je peux me montrer utile autant qu'un N, et que les non-fertiles ne doivent pas être seuls à risquer leur vie.
Je n'ai pas été formée à ça. Je n'ai pas été formée à me protéger.
Vous croyez vraiment que les vies du millier de N sont moins importantes que celles des F? Soyez honnête, vous sacrifierez vous pour des crétins qui se moquent de votre existence?
𝑳𝒆 𝒉𝒂𝒔𝒂𝒓𝒅 𝒏𝒆 𝒑𝒆𝒖𝒕 𝒇𝒂𝒊𝒓𝒆 𝒂𝒖𝒔𝒔𝒊 𝒃𝒊𝒆𝒏 𝒍𝒆𝒔 𝒄𝒉𝒐𝒔𝒆𝒔. 𝑱𝒆 𝒏'𝒚 𝒄𝒓𝒐𝒊𝒔 𝒑𝒂𝒔. 𝑵𝒐𝒖𝒔 𝒔𝒐𝒎𝒎𝒆𝒔 𝒖𝒏 𝒕𝒐𝒖𝒕 𝒅𝒂𝒏𝒔 𝒄𝒆𝒕 𝒖𝒏𝒊𝒗𝒆𝒓𝒔, 𝒔𝒊 𝒍𝒆𝒔 𝒆𝒗𝒆𝒏𝒆𝒎𝒆𝒏𝒕𝒔 𝒂𝒓𝒓𝒊𝒗𝒆𝒏𝒕, 𝒄'𝒆𝒔𝒕 𝒒𝒖𝒆 𝒄𝒆𝒍𝒂 𝒅𝒆𝒗𝒂𝒊𝒕 𝒆𝒕𝒓𝒆.
𝑱’𝒂𝒊𝒎𝒆 𝒎𝒆𝒔 𝒏𝒆𝒗𝒆𝒖𝒙. 𝑴𝒂𝒊𝒔 𝒊𝒍𝒔 𝒔𝒐𝒏𝒕 𝒍𝒆 𝒔𝒚𝒎𝒃𝒐𝒍𝒆 𝒅𝒆 𝒄𝒆 𝒒𝒖𝒆 𝒋’𝒂𝒖𝒓𝒂𝒊𝒔 𝒗𝒐𝒖𝒍𝒖 𝒆𝒕𝒓𝒆 𝒆𝒕 𝒅𝒆 𝒄𝒆 𝒔𝒖𝒓 𝒒𝒖𝒐𝒊 𝒋’𝒂𝒊 𝒅𝒖 𝒇𝒂𝒊𝒓𝒆 𝒖𝒏 𝒅𝒆𝒖𝒊𝒍
Louis me montra un arc et des flèches:
- Je te l'avais promis!
J'étais gênée. J'avais oublié cette histoire. J'avais été intéressée lorsqu'il m'avait parlé de m'enseigner le tir à l'arc, mais je n'avais aucune expérience, et j'allais me ridiculiser devant lui. Il s'esclaffa, devenant mes pensées:
- Je vais te montrer!
Il se saisit des armes et visa. Il réussit son tir et me tendit l'arc que j'empoignai en pensant à mon épaule. Pouvais-je refuser ? En observant sa joie, je n'étais pas capable de m'y résoudre. Tendant le bras gauche en avant, je glissai la corde dans le pli de mon index. Louis, sans se départir de son sourire, guida mon bras:
- Plus haut... Non, tu ne t'y prends pas bien.
Il se glissa derrière moi, saisit d'une main ferme ma hanche et m'attira contre lui. Mon cœur s'accéléra. Je sentis son ventre gonflé au rythme de sa respiration lente et calme. Avions-nous déjà été si proches ? Il colla son visage au mien et murmura à mon oreille:
- Tu dois visualiser la cible.
Il tapota ma cuisse, je déglutis avec difficulté.
- Pieds parallèles, très bien.
Il glissa ses doigts sous mon aisselle et reprit:
- Relève ton épaule, non, ne te voûte pas.
Enfin, lorsqu'il pensa que j'étais prête, il me donna une flèche. Mais il ne s'éloigna pas pour autant. Il était si près que ses cheveux vinrent chatouiller ma nuque. Il fallait que cela cesse: ma flèche s'envola dans le mur. Je baissai l'arme en m'excusant :
- Ne t'en fais pas! c'est normal pour la première !
Alors, il insista. Sa présence contre moi était un frein à la concentration, mais il persista, se blottit, enveloppant mon corps du sien pour que je sente comment je devais m'y prendre. C'était une roue infernale, car plus je perdais, plus il me corrigeait et puis je sentais ses muscles se tendre autour de moi et les miens trembler de peur et d'excitation mêlées.
Mon dernier cours s'est terminé à 20 heures. Je quitte Manue à la faculté pour prendre le bus. Une pluie bretonne est apparue dans la journée. J'ai toujours aimé la pluie, je ne m'abrite donc pas, préférant observer le crachin former de petites perles sur mes cheveux bouclés.
Le martèlement des chaussures se rapproche de nous. Je guette par-dessus l’épaule de ma compagne le bout de la rangée. La fille aux talons surgit.
C’est une grande, fine et belle jeune femme aux boucles brunes. Elle porte un jean moulant sur ses jambes athlétiques, et une veste taillée sur mesure. Elle s’immobilise, tête baissée, ce qui ne me permet pas de distinguer son visage, et est immédiatement rejointe par deux autres étudiantes qui l’imitent en manquant de lui rentrer dedans. La plus petite est vêtue comme une gothique, tout en noir jusqu’aux ongles, avec une
ample jupe qui traîne sur le sol, et elle arbore un teint cadavérique. La deuxième a un style hippie. Sa toison blonde presque blanche est nattée et une couronne de fleurs rappelle les motifs de sa tunique.
Le bruit de pas s’étant arrêté, Manue se retourne pour observer, tout comme moi, les trois jeunes femmes. La première, celle aux talons, dégage une mèche de cheveux derrière son oreille, fronce les sourcils et tourne doucement la tête dans notre direction pour nous contempler comme si nous étions des insectes à écraser. Manue leur fait un signe aimable, mais la fille ne bronche pas. Les dents serrées, elle croise mon regard avec des yeux sombres intrigués. Elle reste bloquée sur moi, et, bientôt, le malaise me gagne. Je tente de ne pas ciller, ce qui me permet de l’examiner, me demandant si je l’ai déjà vue quelque part, dans l’amphithéâtre, peut-être, ou dans mon village du Morbihan. Mais comme son nez droit et ses joues creuses ne me disent rien et que son regard
froid me transperce comme pour déchiffrer mon âme, je finis par lui adresser un sourire amical auquel elle ne répond pas. Au contraire, son visage se durcit davantage. Sa camarade hippie lui murmure soudain quelque chose à l’oreille, alors la jeune femme baisse la tête et repart dans le couloir comme si de rien n’était. Les claquements de talons disparaissent peu à peu, une porte couine et c’est le silence.
Manue me considère :
― Complètement tarée !
— 𝑭𝒖𝒚𝒆𝒛, 𝑺𝒊𝒓𝒆… 𝒎𝒖𝒓𝒎𝒖𝒓𝒂𝒊-𝒋𝒆, 𝒍𝒆𝒔 𝒍𝒂𝒓𝒎𝒆𝒔 𝒂𝒖𝒙 𝒚𝒆𝒖𝒙, 𝒄𝒐𝒏𝒗𝒂𝒊𝒏𝒄𝒖𝒆 𝒅’𝒂𝒗𝒐𝒊𝒓 𝒆𝒄𝒉𝒐𝒖𝒆.
— 𝑷𝒂𝒔 𝒔𝒂𝒏𝒔 𝒕𝒐𝒊