Wang Dulu a écrit cette romance wuxia dans les années 30.
Elle est devenue célèbre pour les gens comme moi quand Ang Lee a réalisé le film du même nom.
Tigre et Dragon : des hommes qui bondissent sur des toits ou qui tiennent en équilibre sur des bambous qui ploient lentement.
J'ai donc attaqué la lecture de ces deux livres avec une vive avidité : j'avais envie de lire une histoire aussi poétique que le film qui m'avait introduit au wu xia pian.
Comme d'habitude, ma déconvenue est à la hauteur des mes attentes.
Or donc, dans la Chine d'autrefois, un vieux maître de gonfu très sévère interdit à ses disciples de convoiter la femme d'un autre. Mais l'un des disciples se laisse tenter. Le maître se fache et le tue. Le fils du disciple réside un temps avec le vieux maître, mais finit par partir car il est maltraité. Il s'enfuit en se faisant une promesse : il va devenir un grand adepte des arts martiaux et reveneir venger son père.
Bon, c'est de la littérature populaire, datée qui plus est, et issue d'une culture qui m'est étrangère. Mais ma lecture a été douleureuse. Évidemment, les personnages portent des noms assez semblables et difficilement prononçables, du coup je ne savais jamais qui était qui par rapport à qui. Surtout que beaucoup ont des surnoms en plus : "Le Bodhisattva au visage d'or" ou "le Dragon qui aspire l'eau". À la fin du livre, les noms des 115 protagonistes sont récapitulés, mais c'est quand même galère.
Ensuite, il ne se passe pas grand chose. Disons que c'est toujours la même chose. Le héros (Petite Grue) passe deux heures à se demander si son gonfu est plus fort que celui de son prochain. Il hésite, mais finalement, il se dit qu'il va facilement lui casser la gueule. Manque de pot, ça foire, et il fuit le combat... et là il rencontre un nouvel adversaire.
Heureusement, à un moment, il devient super balèze car il rencontre un maître qui lui apprend ses techniques secrètes. Et là, badaboum, Petite Grue peut enfin casser la gueule à tout le monde sans passer par l'interminable discours intérieur et l'incontournable scène de fuite. Il remplace donc ses hésitations par des états d'âme amoureux ou moraux.
Le monde de la chevalerie décrit est entièrement basé sur la réputation : "Si je perds, la honte va rejaillir sur mon école et mon maître". Du coup les personnages passent beaucoup de temps à essayer de se situer dans la pyramide de puissance des adeptes des arts martiaux. Poigne de Fer est plus fort qu'Hirondelle du Printemps qui se pense plus fort que Poigne de Fer. Là dessus, vous pouvez rajouter des alliances qui durent 10 pages : deux clans s'unissent pour casser la gueule à un chevalier, mais finalement s'embrouillent, du coup ils sont adversaires, mais redeviennent alliers autour d'un bon verre d'alcool.
Et tous ces types passent leur temps à changer de région. C'est normal, ils sont tous soit garde du corps, soit voleur de grand chemin, soit chevalier errant. Mais c'est insupportable : ils sont toujours en train de galoper ou de vadrouiller entre deux régions pour rencontrer tel maître mystérieux ou tel allier martial. Et comme ils fuient dès qu'ils perdent un combat pour aller se cacher dans la région d'à côté, l'auteur passe son temps à raconter comment Lance de Bambou a traversé les montagnes du bout du monde pour se faire agresser par des voleurs, en blesser 4 et finalement fuir devant leur nombre.
Évidemment, il y a de la romance. Petite Grue est amoureux de la petite-fille du vieux maître qu'il veut tuer. C'est peut être le truc le plus réussi de l'histoire : ils sont embringués chacun dans des histoires de fidélité, de piété et de promesse, c'est une vraie histoire d'amour impossible. Mais là encore, ça pinaille pendant des plombes à grand coup d'incompréhension mutuelle : dès qu'ils pourraient s'expliquer, il y a un combat, l'un des deux fuit et laisse l'autre avec une fausse impression.
Il faut rajouter à ça un caractère très versatile des personnages. Les gars changent d'avis toutes les 3 pages. "Je vais le tuer". "Non, je vais l'adopter." "Plutôt, je vais le marier avec ma fille." "Laisse tomber, je vais me battre avec lui." "Ah ben non, je vais envoyer mes disciples." "Laisse faire, je vais m'allier avec le premier venu pour lui foutre sur la gueule." "Non, je vais me sacrifier, je vais l'affronter moi-même." "Ouille, il est fort, je vais aller visiter la région voisine." "Merde, il me poursuit, le con. Je vais essayer de m'humilier et lui demander de m'épargner." "Oh et puis merde, on va se battres à l'ancienne." Ad nauseum.
Le style de Wang Dulu est de plus loin d'être transcendant : il décrit les combats avec un rare manque d'imagination et de chorégraphie. Et comme les combats se suivent et se ressemblent, c'est très vite lassant.
Après 2 livres (soit plus de 1 000 pages) je ne trouve absolument pas le moindre rapport avec le film Tigre et Dragon. Je wikipède donc en anglais et découvre que la saga s'étale en fait sur 5 volumes. Les volumes qui ont inspiré le film sont ceux qui viennent après mon expérience. Et je ne me sens pas le courage de me fader encore 1 500 pages aussi répétitives.
Ceci dit, j'imagine aisément qu'un lecteur chinois qui lit Les trois mousquetaires, Vingt ans après et Le Vicomte de Bragelonne doit se dire que c'est bien bavard, que l'auteur s'écoute écrire et que tout ceci est bien démodé.
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