Citations de Wilhelm Schapp (27)
L’histoire en tout cas ne se laisse pas analyser comme un objet, parce qu’une chose n’est histoire que dans la mesure où je suis empêtré dans l’histoire.
D’extrapolation en extrapolation, on sera finalement conduit à s’interroger sur la légitimité d’une formule du type : « nous autres humains ». [...] Comment alors définir la nature de l’empêtrement qui sous-tend cette expression ? [...] Pour qu’à ce niveau ultime on puisse parler d’un véritable empêtrement et en ce sens également d’une « histoire » fondant une identité narrative collective, il faut que, d’une manière ou d’une autre, on puisse dire comment on « entre » et comment on « sort » de cette histoire universelle, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir lui assigner une intrigue.
Jean Greisch (traducteur)
Quand nous disons : « Si nous avions su il y a 10 ans ce que nous savons aujourd’hui, nous aurions fait bien des choses autrement », ce regret n’a pas grand sens. Nos partenaires et nos adversaires auraient alors fait également bien des choses autrement. On peut dire avec le même droit relativement au passé que, si nous étions de nouveau empêtré dans les mêmes histoires sans les expériences faites au cours des 10 dernières années, ces histoires se dérouleraient de nouveau exactement de la même manière qu’elles l’on fait en réalité.
Dès qu’on veut objectiver joie et tristesse, amour et haine, foi et doute, du point de vue de la réalité, on tient en main quelque chose de très différent de ce qui surgit dans les histoires.
Donner un nom à un enfant, cela veut en effet toujours dire, peu ou prou, lui assigner une place dans une histoire, le faire participer à un empêtrement plus ou moins heureux ou malheureux.
Jean Greisch (traducteur)
On peut dire également qu’être hommes signifie encore désespérément peu de choses.
Personne ne peut répondre à la question de savoir s’il est réellement triste ou joyeux, si en outre il aime ou hait réellement, s’il croit ou doute réellement. [...] Il peut seulement renvoyer à des histoires dans lesquelles il est empêtré et l’être particulier de cette histoire dans laquelle il faut chercher le fondement de la notion de ces motions et d’où les motions ne peuvent pas être prélevées, à la manière de préparations de laboratoire ; pas plus qu’on aurait quelqu’un intérêt à vouloir cerner l’amour du jeune Werther en tant que motion psychique en dehors de son histoire, en dehors de toute histoire, de son histoire intégrale et de sa pré-histoire.
on ne peut pas mesurer de l’extérieur l’histoire d’après les critères de réalité de vérité.
Tant que et pour autant qu’on est empêtré dans l’histoire, elle est vraie.
L’expression « accès » ne doit pas être emprunté au-dehors, c’est pourquoi il est préférable de remplacer « accès » par l’expression être co–empêtré, en présupposant que tout empêtrement d’autrui, même l’empêtrement des animaux et des plantes, surgit seulement en tant que co–empêtrement, sur la base du co-empêtrement.
L’unique accès à nous-mêmes passe par les histoires dans lesquelles nous sommes empêtrés. L’accès à autrui passe par les histoires dans lesquelles les autres sont empêtrés, l’accès aux animaux passe par leurs histoires et de manière analogue l’accès aux plantes passe par leurs histoires.
… nous détenons l’ultime accès possible à l’homme à travers les histoires qui le concernent.
Le problème n’est donc pas de savoir à quoi il faut accorder la priorité dans la constitution d’un savoir du monde : histoires ou états de choses ?, mais ce qui est prioritaire dans l’ordre de sa compréhension.
Le monde n’est pas vraiment compris en sa réalité, tant qu’il n’aura pas été mis en rapport avec une histoire.
Aux yeux de Schapp, le monde n’est pas ce qu’il est pour Wittgenstein, à savoir « tout ce qui est le cas », mais « tout ce qui peut entrer dans une histoire ».
Jean Greisch (traducteur)
Alors que toutes les théories philosophiques de la connaissance et du savoir partent de l’hypothèse que le monde existe indépendamment des histoires et que les histoires et les récits donnent lieu à des propositions fixant des états des choses qui, à leur tour, peuvent entrer dans les histoires sous certaines conditions, Schapp estime que même d’un point de vue « épistémologique », les histoires précèdent les états de choses !
Jean Greisch (traducteur)
Imaginons […] Le cas suivant : celui d’un phénoménologue qui estimerait qu’avant de poser la question (trop) générale : une phénoménologie pure du temps est-elle possible ?, se contenterait d’une question plus restreinte et plus circonscrite : une phénoménologie pure du narratif est-elle possible ?
Jean Greisch (traducteur)
Quand nous parlons d’epires mondiaux, le terme « monde » dans cette constellation a une tout autre signification que dans la constellation « histoire universelle », telle que nous la concevons, parce que dans les prétendus empires mondiaux le Nous englobant n’est pas saisi.
Ce qu’on désigne habituellement comme histoire universelle, l’histoire des peuples et de leurs civilisations, l’histoire des empires mondiaux n’est pas l’histoire universelle et ne conduit pas non plus dans les parages de l’histoire universelle.
De même qu’on ne peut pas fabriquer des histoires en général, il est impossible de fabriquer des histoires universelle.