Les mots n'existent pas par eux-mêmes, indépendamment les uns des autres. Les choses n'existent pas indépendamment des mots. L'homme n'existe pas sans le langage. En conséquence la réalité pour l'être humain passe par l'intrication des mots les uns avec les autres qui sont en rapport avec les choses : des histoires - celles qu'il se raconte, celles qu'on lui raconte, celles dans lesquelles il se glisse toujours à la fin et qui remplissent sa vie puisqu'elles lui permettent, sans qu'il ait d'autres choix, de la problématiser : l'être humain, quoi qu'il en ait, est « empêtré » dans des histoires.
Schapp esquisse alors les structures d'une nomenclature visant à faire de l'empêtrement la notion première de la réalité à partir de laquelle se déclinent ses objets selon la place qu'ils tiennent dans les histoires.
C'est original mais un peu « rhapsodique » et fastidieux pour la première partie, définitoire, et qui ne laisse pas clairement saisir à quoi elle entend mener. Plus on avance vers la fin et mieux c'est / il manquerait toutefois, pour faire de ce texte une « vraie » histoire, une scène d'entrée plus marquante et davantage de suspens :-)
On reste par ailleurs un peu sur sa fin, qui aborde la question de l'histoire universelle : Schapp conclut vite à son impossibilité au prétexte que l'histoire se raconte entre êtres humains où ceux-ci interviennent et qui ne saurait en conséquence faire de l'humanité son personnage unique : les plus « grandes » histoires, celles capables de mettre le Moi en lien avec le plus grand « Nous » sont donc nationales. Pourtant, on se dit qu'en creusant un peu, on aurait pu trouver une réponse différente et, sans doute, le secret de « toute histoire »... chuuut...
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D’extrapolation en extrapolation, on sera finalement conduit à s’interroger sur la légitimité d’une formule du type : « nous autres humains ». [...] Comment alors définir la nature de l’empêtrement qui sous-tend cette expression ? [...] Pour qu’à ce niveau ultime on puisse parler d’un véritable empêtrement et en ce sens également d’une « histoire » fondant une identité narrative collective, il faut que, d’une manière ou d’une autre, on puisse dire comment on « entre » et comment on « sort » de cette histoire universelle, c’est-à-dire qu’il faut pouvoir lui assigner une intrigue.
Jean Greisch (traducteur)
Quand nous disons : « Si nous avions su il y a 10 ans ce que nous savons aujourd’hui, nous aurions fait bien des choses autrement », ce regret n’a pas grand sens. Nos partenaires et nos adversaires auraient alors fait également bien des choses autrement. On peut dire avec le même droit relativement au passé que, si nous étions de nouveau empêtré dans les mêmes histoires sans les expériences faites au cours des 10 dernières années, ces histoires se dérouleraient de nouveau exactement de la même manière qu’elles l’on fait en réalité.
Personne ne peut répondre à la question de savoir s’il est réellement triste ou joyeux, si en outre il aime ou hait réellement, s’il croit ou doute réellement. [...] Il peut seulement renvoyer à des histoires dans lesquelles il est empêtré et l’être particulier de cette histoire dans laquelle il faut chercher le fondement de la notion de ces motions et d’où les motions ne peuvent pas être prélevées, à la manière de préparations de laboratoire ; pas plus qu’on aurait quelqu’un intérêt à vouloir cerner l’amour du jeune Werther en tant que motion psychique en dehors de son histoire, en dehors de toute histoire, de son histoire intégrale et de sa pré-histoire.
L’expression « accès » ne doit pas être emprunté au-dehors, c’est pourquoi il est préférable de remplacer « accès » par l’expression être co–empêtré, en présupposant que tout empêtrement d’autrui, même l’empêtrement des animaux et des plantes, surgit seulement en tant que co–empêtrement, sur la base du co-empêtrement.
L’unique accès à nous-mêmes passe par les histoires dans lesquelles nous sommes empêtrés. L’accès à autrui passe par les histoires dans lesquelles les autres sont empêtrés, l’accès aux animaux passe par leurs histoires et de manière analogue l’accès aux plantes passe par leurs histoires.