Citations de Yvon Le Men (248)
L’alphabet
Quand tu apprends l’alphabet
Ne laisse pas tomber une lettre
Car si elle se blesse
Tu ne trouveras plus le mot pour appeler
Quand tu apprends l’alphabet
Et que le Z te paraît bien loin du A
Demande ta maman une chanson
Pour finir le chemin
Quand tu apprends l’alphabet
N’oublie pas le W
Car même s’il est le plus costaud
Il ne sort pas souvent et se sent un peu triste
Quand tu apprends l’alphabet
Rappelle-toi qu’avec vingt-six lettres
On pet faire beaucoup de mots
Et tu pourras les partager
Avec tes parents, tes amis, tes secrets.
deux roses encore
l'une promet
l'autre l'attend
à trop les contempler
je ne vois plus le chemin
P36
à qui pôle Emploi donne du travail ?
aux employés de Pôle Emploi
d'abord
qui ont peur de leur directeur
qui fait peur aux chômeurs
qui a peur des chômeurs ?
qui se voient dans leurs yeux
de chiens battus
même sans collier
d'enfants perdus
au bout de leur vie
d'enfance perdue
en Bretagne
et ailleurs. (p.34)
Les saltimbanques
sans banque
sur qui compter
pour continuer
à conter
des contes
à ceux qui comptent
pour eux
sur eux
pour vivre sans compter
pas sans conter. (p.71)
Enez Aval
Il est des lieux
qui nous rencontrent
sans nous chercher
des lieux où voyageaient
ces bancs de lumière
parmi les eaux et les arbres
entre ta main et la mienne que tu pris
soudain
comme la flamme prend dans dans la branche
l'éclaircie prend dans le ciel
Il est des lieux
que les mots ont envie de garder
comme un prénom protège un enfant de la foule
un petit nom préserve un amour de l'oubli
et qui surgissent de ta mémoire
comme l'odeur de l'herbe
toujours
s'échappe de la pluie
... à n'importe quel âge de la vie, si ta vie s'endort, risque-la.
(extrait d'un poème de Jean Malrieu, cité par Yvon Le Men.)
JE T'AIME
voilà
c'est dit.
Mais qu'ai-je dit
en te disant je t'aime ?
J'ai dit je
j'ai dit tu
j'ai dit aime.
Mais le chemin entre les deux
l'ai-je parcouru
avec toi ?
Je t'aime
mais qu'ai-je fait pour ce verbe
trop grand pour moi
comme des habits de fête
qui ne sortent pas le dimanche
des chants
qui raclent au fond de la gorge
des pas qui trébuchent
aux frontières de la danse ?
Je t'aime
et je suis là
le verbe ballant au bout des bras
ne sachant plus que faire de mes mains
ni où les mener.
"La Première feuille "
C'est peut- être
La première feuille
Que je vois
Se tromper
De saison
Cette année
Elle manque de lumière
Comme nous
Les êtres humains
Un peu végétaux
Un peu divins
Beaucoup mortels .
Éditions "Bruno "Doucey"
La main verte
Ma bibliothèque
n'est pas rangée
par pays
par genres
par noms
prénoms
elle est rangée
par le hasard
de ma main
verte
parfois
qui trouve le bon livre
au bon moment (...)
Il faut du silence
aux mots
pour ne pas rayer le chagrin
il faut du silence
autour des morts
pour entendre leur vie
Le soleil griffait les tuiles...
Le soleil
Griffait les tuiles
Nous dormions
Entre deux cils de lumière
Et tes mots
Avaient la douceur des mains
Ton rêve est le mien
N’étaient qu’un seul fruit
Sur nos lèvres
L’après-midi
S’ouvrait jusqu’à la mer
Trop tard déjà
Pour arrêter le temps
Quand j’ouvris les yeux
Je la vis
Une voile passa
Pour te dérober
Mon regard.
//Hélène Cadou (1922 – 2014)
La main qui m’ouvre le chemin
dans ce pays où je me perds
m’est plus proche
que celle qui menace
dans mon pays où l’on se perd
dès que de l’autre côté de la route
qui relie nos villages
nos quartiers
dans notre ville
de notre pays
ils font de l’inconnu
un étranger.
Pourquoi cette feuille ?
A un détail près
le monde n'a pas changé
en si peu de temps
A un détail près
ce matin est une réplique
grisaille à l'appui
du précédent
A un détail près
le poids écrasant la poitrine
ne s'est pas allégé d'un iota
A un détail près
l'on se sent toujours vivant
un peu plus
un peu moins
Le même équilibre
fragile ou non
A un détail près
celui de cette petite question entêtante :
Pourquoi cette feuille
ni plus jaune ni plus verte que les autres
est-elle tombée de l'arbre ?
Abdellatif Laâbi, "Ecris la vie", La Différence, 2005
Intersigne
Vague à l'âme
ce désir
de prendre par la mer
se confier au vent
se jeter dans la mer
de mélanger le bleu avec le bleu
vague à l'âme
ce désir d'en finir avec le corps
Cap Fréhel, automne
À force de tourner autour de ma maison
J’ai tracé un chemin autour de ma maison
Un chemin de prières
Par mes pas
Par leurs sons sur les graviers
Qui à force de marcher au pas trouvent leur rythme
Leur poème
Dont le sens
Comme un mantra
Vérifie ma vie par le bruit qu’elle fait
En tournant autour de ma maison
Saint-Michel de Brasparts
Ils taillèrent dans le roc
pour tenir la prière
contenir le mot dans la pierre
nul besoin de preuve
au bleu du vent, à la bruyère
à la brume par qui le mont
monte jusqu’au Mont
mais ce furent des hommes
ce sont des morts
dont les yeux écoutaient
des images
et voyaient
des mots
dans la lumière
des images refermées
Il est vrai
sûrement
il est juste
sans doute
sans aucun doute
qu'un crime de sang
est moins grave
qu'un crime de case
de ne pas être dans la bonne case
du statut d'intermittent du spectacle vivant
intermittent
l'inter de mi-temps
quel drôle de mot
rien que de l'écrire
on se sent comme un
trois-petits-points
qui sautent moutons et mutent
mes rêves en cauchemars
je me réveille à l'abattoir (p.46)
Il faut que je te laisse partir
pour que tu reviennes
reviennes
viennes
comme la première
des premières fois
quand dans ta voix
j’ai voulu rester.
Il faisait beau
c’était dimanche
ou peut-être samedi
tu m’as dit
en ce temps-là
à demain
ou peut-être à bientôt.
En ce temps-là
ce n’était pas grave
de ne pas savoir
si c’était demain
ou après-demain
que tu reviendrais.
Quand nous débarquons à Sarajevo, nous recevons la guerre en pleine gueule.
(...) Tout à l'heure je vais revoir Izet, sa grandeur et son chagrin. En m'approchant du centre-ville, je m'approche de ses poèmes, de son Livre des Adieux où il se dit prêt à mourir.
Mais il vit. Il est là, ici, dans mes bras. Nous nous sourions, nous nous reconnaissons. Je reste longtemps enfermé dans ses larges épaules. Nos corps se parlent, nos vestes se frôlent, nos peu de souvenirs communs colorent nos visages, y dessinent des lumières. Le poème remplace la langue. p 104
Jeanne a eu une attaque. Elle s'en est tirée par miracle. Mais depuis qu'elle a failli mourir, elle a envie de mourir, de prendre la ligne directe. Elle voudrait traverser les réponses sans passer par le temps des questions.