Le journal intime de Marie reposait sur la table, ouvert en son milieu, la pointe du stylo semblant désigner mon délit, au sommet d'une page dont trois lignes étaient noircies. Ma femme le laissait traîner régulièrement, de manière insidieuse ; se débrouillant toujours pour que je le reçoive comme une gifle commandée à l'avance, différée, dont elle prendrait plaisir à distance, m'imaginant le lire pour prendre de plein fouet ce qui serait la vérité. Je ne supportais pas de voir cet objet un peu partout, me narguant aux entournures. Lorsque je le trouvais, je me contentais de le refermer et de le consigner là où j'avais décidé qu'il devait se trouver, c'est-à-dire dans le tiroir consacré à la collection de Marie.
(p. 69)
Le mot était important. Il fallait que ce soit le bon au risque de voir disparaître le sens. Trouver des coquilles, c'était aller à la pêche, voilà le sentiment que j'avais de mon métier. Et la pêche pouvait être plus ou moins bonne selon les jours. Ces derniers temps, il me semblait que des coquilles vicieuses venaient accrocher le ver pourri de ma canne.
Un battement, telle une série de soufflets, cogna ma tête, puis mes joues, avant de venir se répandre jusque dans mon cou. J'étais estomaqué. Je me levai et me dirigeai vers le buffet. Après avoir extrait du tiroir un feutre, je revins rapidement à ma place et fit glisser le Post-it plus près de moi. Je biffai nerveusement le vocable veux et écrivis à sa suite : je n'en peux plus. Puis je décollai le papillon et le refixai sur le journal. J'attendis quelques instants que la pression retombe. Le battement semble s'éloigner, les intervalles se faisaient maintenant plus lents. J'ouvris une autre canette. Je réfléchis en buvant de grandes gorgées. Comment était-il possible que Marie m'ait laissé une coquille comme dernier adieu ? L'avait-elle fait délibérément, comme une ultime brimade à mon encontre ?
Marie aurait fait une mère épouvantable. Quand elle s'adressait à moi, je voyais la patience de façade, médiocre et dégueulasse, qu'affichaient souvent les mères qui au fond bouillonnaient de l'intérieur. Je les voyais faire au parc, à genoux devant l'enfant, le visage contracté, les yeux fixant un horizon lointain, et la voix bizarrement mielleuse, explicative, trop douce. Je trouvais leur attitude criminelle. Autant crier une bonne fois pour toutes, l'enfant comprendrait.
Après un moment de réflexion, elle me demanda si j'avais jamais entendu parler de culotte glacière. Je la regardais, ébahi, incapable de formuler une quelconque réponse. Moi non plus, décréta-t-elle en levant les bras au ciel. Et pourtant vous y faites allusion à la fin de l'article.
Je me lève et viens me blottir dans ses bras. Je voudrais lui demander qui est Violette mais je n’ose pas. Nous restons serrées. Contre moi, son corps frêle. Je pense au moineau gazouillant au creux de sa paume et je tremble comme une feuille. Il me semble que d’un mouvement trop brusque, je pourrais casser ses derniers rameaux. Ainsi enlacées, deux demi personnes deviennent forcément plus fortes sinon la vie ne vaut rien.
Le mot était important. Il fallait que ce soit le bon au risque de voir disparaître le sens. Trouver des coquilles, c'était aller à la pêche, voilà le sentiment que j'avais de mon métier. Et la pêche pouvait être plus ou moins bonne selon les jours. Ces derniers temps, il me semblait que des coquilles vicieuses venaient accrocher le ver pourri de ma canne.
« Vivre avec Ivar, c’est continuer à vivre dans le Norrland. Ses cheveux sentent le bois flotté de nos rivières, sa peau me rappelle la farine d’écorce de bouleau et il a le poil creux d’un cervidé, comme s’il cherchait à se protéger du froid. Il ressemble à un vieux renne sauvage, bas au garrot, portant un pelage grisâtre de neige sale et fondue à la fin de l’hiver. Et puis il y a sa manière fruste de tenir sa fourchette, qui tout de suite m’a saisi et rappelé nos tournures, sa rudesse à lacer ses chaussures aussi, et sa façon rustre de couper notre pain à l’épeautre, avant de l’enfourner gauchement dans sa bouche. Tout cela respire nos allures emmanchées, à jamais figées dans un climat trop rugueux. »
« Trace ta ligne. Entrelace-là à d’autres. Avec les mots qui seuls délivrent. Sois une pierre qui roule au monde. »
« Plus le temps passe, plus je pense aux choses de la vie. Ces choses que l’on oublie, abandonne ou remplace, plus ou moins facilement. Tous ces petits riens qui pèsent ; ces poids dont on refuse d’être chargé à nouveau et dont on se délaisse subrepticement. Tout compte fait, finis-je pas convenir un jour en faisant tourner dans ma main le bracelet de ma mère, les objets sont perdus à dessein, tels des larcins dont on voudrait se soulager. »