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The Lichtenberg Figures

« The Lichtenberg Figures » est un recueil de poèmes de l’américain Ben Lerner (2004, Copper Canyon Press, 96 p.).

Je vais tout de suite mettre les choses au point. C’est un recueil de de 52 « sonnets » de 14 vers libres. Il n’y est pas question d’électrostatique, ni de figures fractales. Ni d’ailleurs de philosophie ou d’aphorismes reprises de Georg Christoph Lichtenberg (1742-1799). C’est un peu comme si vous achetiez « Les Fleurs du Mal » de Charles Baudelaire, comme un livre de recettes phytosanitaires.

A la sortie du livre, Ben Lerner, 25 ans, est le plus jeune poète primé, a recevoir le « Hayden Carruth Award ». Ce prix est au nom du poète (1921-2008) qui a écrit plus de 30 ouvrages de poésie américaine, lorsqu’il enseignait à Syracuse University, pas très loin du lac Ontario dans l’Etat de New York. Le recueil a été nommé l'un des douze meilleurs livres de poésie de l'année. Depuis, il a publié d’autres recueils de poèmes « Angle of Yaw » (2006) et « Mean Free Path » (2010). La traduction allemande « Die Lichtenbergfiguren » par Steffen Popp en 2010, a reçu le « Preis der Stadt Münster für internationale Poesie » en 2011, ce qui en fait le premier Américain à recevoir cet honneur.

Ben Lerner est certainement plus connu par ses romans, dont « Au Départ d’Atocha » (2011) traduit par Jakuta Alikavazovic. (2014, Editions de l’Olivier, 205 p.), « 10:04 »(2014) traduit Jakuta Alikavazovic. (2016, Editions de l’Olivier, 270 p.) et « L’Ecole de Topeka » (2019) traduit par Jakuta Alikavazovic (2022, Christian Bourgois, 409 p.) sur sa jeunesse dans cette ville du Kansas. On y ajoutera son manifeste sur la poésie « La Haine de la Poésie » traduit (The Hatred of Poetry) par Violaine Huisman (2017, Editions Allia, 80 p.).

Pourquoi parler de Ben Lerner et de ses poèmes. Pour moi, ce sont les années du « Clavier Cannibale » de Christophe Claro qui m’ont fait connaitre cet auteur américain, récompensé également par « The Believer Book Award » en 2012 pour son « Leaving the Atocha Station ». La revue « The Believer », qui a connu une éphémère traduction en français, a été une source importante et fiable de titres et d’auteurs américains.

« Au Départ d’Atocha », c’est l’histoire de Adam Gordon, un jeune poète américain en résidence d'écriture à Madrid pour écrire sur l’état du pays dans une ère post-franquiste. C’est ce que fut Ben Lerner en 2003-2005. Adam Gordon écrit peu : il fume, déambule, lit, drague et s'invente une vie. Une vie faite de ses récits ou plutôt de mensonges, avec une mère malade et un père fasciste. Très vite sa fausse existence le fascine. La réalité vient troubler sa fiction lors de l’attentat qui frappe la gare d'Atocha. Peu de réaction émotionnelle pourtant au terrorisme. Au bout, c’est le portrait d'un jeune, soit-disant poète, mais perdu et au talent douteux, en mal de repères. Société essentiellement occidentale post-moderne très individualiste, avec un matérialisme d'une "culture" décadente. L’imposture de Adam finit même par agacer, et même faire pitié. Un peu triste tout cela. Il manque une note d’espoir.

Atocha, pour moi c’est la gare de départ des trains rapides AVE vers le Sud. Je me souviens d’un Madrid-Cordoba en plein été, où il m’a été servi une « rabo de toro » (queue de bœuf) délicieuse. Puis le lendemain, dans la ville où il y avait grande procession. Peut-être était-ce le 15 Août. J’ai recroisé la procession plusieurs fois, et j’en ai profité pour entrer avec elle dans la cathédrale, ancienne mosquée (« Mezquita de Córdoba »). Foule pieuse, et tous qui chantaient. A la sortie un dernier tour dans la « Juderia » et salut à la statue de Maïmonides. Avant de repartir pour Sevilla et huit jours de « pidgin english » à ergoter sur des viscosités de magmas silicatés ou autres rapports isotopiques. Heureusement, il y avait une collègue catalane, avec le prénom d’une diva célèbre, qui m’a permis de rafraichir mon « castellano ».

« Figures de Lichtenberg », maintenant. Non pas comme je l’ai dit ces arborescences fractales, similaires à celles provoquées par la foudre, ou toute autre décharge électrique. Plutôt, une suite de sonnets non conventionnels qui interrogent la relation entre langage et mémoire, violence et forme. Des éclairs d'autobiographie, de comédie et de critique intellectuelle interfèrent avec des bribes d’actualité.

Non pas, non plus, des sonnets dans le sens traditionnel du poème rimé, mais plutôt juste dans le nombre de vers. Ils sont souvent ni numérotés, ni titrés, même si quelques-uns sont dédiés « For Benjamin » qui pourrait être, soit Ben Lerner, soit Ben Franklin. « La sensation se dissout dans le sens à travers cette oiseuse discussion, / dans un sens qui se voit et qui a peur. Pourtant, nous devons finir notre café / et diviser l'épiphanie / en ses erreurs formatrices.../ Allongé sur ma paillasse de camp de détention, / je rêve en hébreu d'une cigarette / qui restitue l'immédiateté dans le domaine théorique ».

D’autres font référence à des séjours du poète en d’autres lieux. « Nous pensions qu'en arrangeant les mots au hasard, / nous pourrions éviter l'idéologie. Nous avions raison. / Ensuite, nous avions terriblement tort. Telle est la nature de la Californie ». ou encore sur son métier. « Au début des années 000s [2000], mon intérêt pour l'abstraction / a culminé dans une série d'exhaltations publiques. / J'ai été félicité pour mon utilisation de la répétition. Mais, hélas, / mon travail a été compris // C’est alors que les tours sont tombées / Et les missiles antimissiles rayèrent / le ciel nocturne avec des ellipses ».

Une certaine fraicheur dans ces poèmes, qui change, à la fois de l‘apathie que l’on peut ressentir dans « Au Départ d’Atocha », ou le mépris dans « La Haine de la Poésie ». Maintenant qu’il est devenu un poète reconnu et récompensé, voire même « écrivain charismatique » comme cela a été écrit dans le « New York Times ». Il reste cependant tétanisé, et il l’avoue une quinzaine d’années après, devant « Poésie » de Marianne Moore (1887-1972) qu’il avait lui-même choisi, pour le réciter au collège « Poésie Complète » traduit par Thierry Gillyboeuf (2004, José Corti, 336 p.). Et qu’il a bredouillé à trois reprises. Dans ce pamphlet, Ben Lerner en profite pour tirer à boulets rouges sur certains des poètes contemporains. Contre eux, il défend sa vision d'une poésie comme étant une quête d'universalité et d'authenticité.

Comment être poète ? Qu'est-ce que la poésie ? Un véritable imbroglio de contradictions entoure encore cette discipline. Ben Lerner avoue qu’il est le premier à faire les frais. « Par exemple, chez le dentiste, quand il s’agit de répondre la bouche grande ouverte, à la question quasi létale : "Que faites-vous dans la vie ?" »…

Pour celles et ceux qui voudraient en connaitre plus sur Lichtenberg, il y a bien sûr ses aphorismes, qui sont au second degré une bonne leçon de culture, tolérance, indépendance, sans oublier l’humour. Le meilleur volume reste « Le Miroir de l’âme » de Georg Christoph Lichtenberg, traduit et préfacé par Charles Le Blanc (1997, José Corti, Domaine Romantique, 619 p.), republié depuis. C’est le plus complet, et le mieux expliqué. L’ouvrage examine 12 « Cahier », « Mélanges » et 3 « Matériaux » qui vont de 1765 à 1799. Il en est tiré un florilège de 2100 pensées, soit l’anthologie la plus importante traduite, avec une longue introduction de près de 90 pages, une bibliographie et un index thématique d’une trentaine de pages. « Eveiller la méfiance envers les oracles : tel est mon but ». C’est une belle illustration de l’esprit anticlérical et universitaire de l’« Aufklärung » qui « combat pour la science contre l’érudition



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Braided Creek: A Conversation in Poetry

Pas simple de se dire, "ah ben là, je vais me faire un recueil de poésie!" Qui n'a pas de souvenirs atroces de mois entiers à étudier des classiques de la poésie française au lycée... Même les littéraires devraient admettre que pour la majorité d'entre nous, "Le Lac" par Lamartine ou "Nuit du Walpurgis Classique" de Verlaine (ne me demandez pas comment je peux me souvenir de titres de poèmes étudiés il y a une vingtaine d'années et don le contenu a complètement disparu de mon petit cerveau) reste un nœud terrifiant de rimes, rythmes et pieds traduisant des images obscures de sentiments pas plus clairs.



Tout ça pour en arriver au fait: si je vais me lancer dans la lecture d'un recueil de poésie, il va être contemporain (ou vraiment pas loin), pas inutilement alambiqué, et de préférence court et original.

Ce qui est le cas de cette petite merveille de correspondance par poème entre Ted Kooser et son ami, bien plus connu que lui, du moins en France, Jim Harrison.

Correspondance? Comme l'indique le petit "blurb" au dos du livre, les deux hommes s'écrivent depuis des années et glissent quelques poèmes dans leurs lettres. Et ce, jusqu'à ce Kooser tombe malade et les échanges se réduisent presque uniquement aux poèmes.



Ce qui est absolument génial, c'est qu'on ne sait pas qui a écrit quoi, on ne sait pas non plus si les poèmes ont été réorganisés, et que certains thèmes, images ou "protagonistes" sont récurrents.

Parmi mes thèmes préférés, vieillir avec humour, toujours, notamment à travers les femmes, quelques références aux chiens, compagnons drôles et tendres, mais aussi à des colocataires inattendus, comme la maman serpent (maman, j'en sais rien en fait) qui passe du placard sous l'évier au tas de vêtements où, tel un chien, elle s'installe confortablement, ou divers animaux sauvages faisant écho aux humeurs des deux amis... et toujours la nature, décrite avec subtilité et amour. Des petits cours de pinceau entre deux syllabes qui ajoutent à la poésie, aux courts poèmes, qui ne font pas moins de deux vers ni plus de quatre, chaque vers lui-même très court. Extraordinaire de finesse.



Malheureusement pas traduit en français, mais heureusement très accessible en anglais! Rien de compliqué dans le mot, et des images qui parlent pour elles-mêmes... à mettre (je crois que je finis toutes mes critiques comme ça, va falloir trouver une alternative...) entre toutes les mains!
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