Zulma est une maison d`édition française fondée en 1991 par Laure Leroy et Serge Safran. Son nom est tiré d`un poème de Tristan Corbière, A la mémoire de Zulma. Les éditions Zulma publient des ouvrages de littérature française contemporaine, et ont choisi dès le départ de publier des ouvrages érotiques de qualité afin de repenser l`érotisme contemporain dans le monde de l`édition.
Le hasard a voulu que j'entame la lecture de “Debout sur le Terre” au moment où des élections législatives se tenaient en Iran (début mars 2024). Je thésaurisais ce roman depuis que mon regard avait été happé par sa couverture kaléidoscopique quelques mois plus tôt.
Nahal Tajadod nous plonge dans deux périodes de turbulences qui ont secoué l’Iran en l’espace d’un demi-siècle, dans les années 1926-1935 et 1976-1980.
La première est marquée par la rupture brutale d’avec le monde tribal et rural pour embrasser à marche forcée la modernité. L’expérience libérale tourna court à cause de multiples facteurs dont le creusement des inégalités et de la pauvreté (cf. les difficultés de subsistance et donc existentielles de Massoud l'électricien, voir le passage ci-dessous *). Une coalition hétéroclite (voir passage ci-dessous **) de contestataires et insatisfaits du régime depuis les masses religieuses guidées par l'ayatollah Khomeiny en exil en Irak jusqu'aux communistes, laïcs et élites cultivées (Ensiyeh, Fereydoun) et englobant toutes les tranches d’âge depuis les jeunes qui étudiaient à Paris mais de retour pour des vacances à Téhéran jusqu’aux vieux nostalgiques précipita la fin du régime sans que les conséquences de celle-ci soient bien mesurées, à l’exception des religieux qui semblaient nourrir un clair dessein (voir passage ci-dessous ***).
Outre l’immersion dans ces époques, la fresque de Nahal Tajadod constitue un enseignement pour l'époque actuelle qui n'est pas moins tourmentée dans nos contrées. Nahal Tajadod montre comment un diffus mouvement populaire peut soudainement créer un tsunami politique, social, économique et culturel laissant libre court aux sentiments les plus vils comme la basse vengeance et les délations. On pourrait considérer aujourd’hui que le double ressort d’un autre “diffus mouvement populaire” tout autant disruptif tient en une combinaison de l’instrumentalisation des réseaux sociaux (les bulles cognitives) et des inquiétudes de la population face à un monde de moins en moins prévisible. J’y vois un message avant les élections qui concernent en 2024 la moitié de la population mondiale, à l’exception - et il y a quelque chose d’ironique ici - de l’Iran. Les élections législatives qualifiées de “ni libres, ni équitables” de ce début mars se sont caractérisées par une abstention record depuis 1979 (41% des Iraniens en âge de voter s'étant déplacés), par le boycott des réformateurs protestant contre la disqualification de nombre d'entre eux et par un renforcement des franges conservatrices et ultraconservatrices, malgré les protestations qui se sont ravivées depuis la mort de Mahsa Amani (Prix Sakharov 2023 à titre posthume) et l’octroi du Nobel de la Paix à Narges Mohammadi (incarcérée à la prison de Téhéran - évoquée dans le livre - pour sa lutte courageuse pour la liberté et les droits humains durant trois décennies).
*”Mais [Massoud] ne désespérait pas, il se répétait : “si Dieu par sa sagesse ferme une porte, il en ouvrira, par sa générosité, une autre.” En attendant l'ouverture de la seconde porte, il observait, le cœur serré, le crayon d'écolière de sa sœur, qui se réduisait chaque jour, qu'il faudrait bientôt remplacer. (...) Il ne pouvait pas davantage fréquenter les hommes qui rencontraient dans le cabaret, ces moustachus corpulents qui vidaient verre après verre les bouteilles de vodka et qui glissaient, une fois la danse de Lobat achevée, un billet de cent toman dans la fente qui palpitait entre ses seins inondés de sueur. Un billet de cent toman, l'équivalent de cinq cent crayons pour sa sœur, enfoui dans les seins d'une danseuse !” (pp.146-147)
** "Enveloppées dans leurs tchadors noirs, un haut-parleur à la main, elles criaient au même rythme : « Indépendance, liberté, République islamique !" Derrière elles, des milliers de femmes répétaient machinalement ces mots, sans même avoir lu un seul des ouvrages de l'ayatollah Khomeyni, le "Guide de la révolution". Privées de parole, les laïques, les communistes et les modjahedins, brandissant qui l'effigie de Mossadegh, qui le portrait de Golsorkhi, qui les photos des frères Rezayi, constataient déjà que le mouvement de protestation leur avait définitivement échappé." (pp.382-383)
*** "Un an auparavant, ces femmes étaient encore des épouses comblées, elles passaient leurs vendredis après-midi à exhiber leurs main ms manucurées, lors d'interminables parties de cartes. Ces mains, qui tiennent aujourd'hui les anses de paniers en matière plastique, ne sont plus ornées d'aucun vernis. Comment pourraient-elles encore curer, brosser, polir, limer et vernir les ongles de leurs mains alors que celles de leurs époux sont ligotées ?" (p.403)
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Je pense que je ne suis pas assez mâture pour ce genre de lecture.
Du début à la fin, je n'ai pas accroché une seule seconde, trop perché peut-être ?
Je ne sais pas si je vais m'en remettre, en tout cas, pour sur c'est un voyage à accomplir non sans difficulté !
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Au crépuscule de sa vie, Bjarni, un éleveur de brebis islandais, écrit une longue lettre-confession à la défunte Helga. C’est l’occasion pour lui de revenir sur l’histoire d’un amour incommensurable mais inassouvi avec cette femme dont le nom sensuel « caresse la gencive avant d’entrouvrir la bouche », cette femme qui est avec sa fille, « la seule religion qu’il ait jamais eue », cette femme qui, alors qu’il était marié, n’a cessé d’obséder ses pensées toute sa vie durant.
Quoiqu’en pense Bjarni, sa lettre ne ressemble en rien au griffonnage d’un vieillard sénile et j’ai été profondément émue par le texte de ce fermier qui se fait tour à tour croqueur affûté d’une société islandaise en pleine métamorphose, philosophe et poète.
Sous l’oeil acéré du peintre, on découvre tout d’abord le portrait d’une société islandaise ancestrale qui se laisse peu à peu séduire par les sirènes du capitalisme. Si Bjarni évoque avec nostalgie et parfois une note de tendresse les us et coutumes qui ont permis aux habitants de s’accommoder de l’âpreté du climat, c’est pour mieux dénoncer un monde en pleine transition, renonçant à une vie authentique et au plus près de la nature, et par là « tournant le dos à (son) histoire ». On comprend alors la teneur du dilemme qui a longtemps tiraillé le narrateur : s’installer avec Helga à Reykjavik, et renoncer à sa vie de fermier dans ses terres islandaises qui l’ont vu naître, risquer de « dépérir » et d’épuiser « ses forces vitales » ? Ou bien « vivre à côté de sa vie » en renonçant à « la seule religion qu’il ait jamais eue » ?
Ce choix cornélien offre au vieillard l’occasion de réfléchir à ce qui donne sens à l’existence humaine : à l’image d’un Sisyphe contraint de « hisser une lourde pierre pour la voir dégringoler et commencer à la coltiner », il lui préfère celle de l’humain qui « transbahute des pierres sur les hauteurs pour les caler solidement au sommet et en entasser d’autres tout autour en un beau cairn qui servirait de point de repère ». Loin d’enfermer l’humain dans sa condition tragique, cette formule empreinte de sagesse populaire invite alors à méditer sur nos actions du quotidien, à les reconsidérer comme autant de pierres nécessaires à l’édifice d’une vie.
C’est enfin par le poète aux accents baudelairiens qu’on se laisse happer quand Bjarni imagine que « son esprit a, comme l’oiseau, essayé de prendre son envol pour échapper au quotidien laborieux de sa vie terrestre et qu’il a, tout comme lui, tenté de planer dans le ciel des poètes à la faveur de ses écrits indigents. » Par l’écriture, le talentueux Bergsveinn Birgisson transfigure ainsi ce qui pourrait n’être que la narration d’une banale histoire d’amour avortée en sublime roman épistolaire.
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