Ce reportage dessiné est né des regards croisés d'une architecte-dessinatrice (A. M.) et d'une illustratrice (C. Ch.), en résidence de création durant deux ans auprès de l'équipe de l'Espace Solidarité Habitat de la
Fondation Abbé Pierre, afin de documenter la problématique du mal-logement à Paris ainsi que le fonctionnement de cette institution et de ses partenaires. le principe a été à la fois l'écoute des autrices et la participation active des travailleurs sociaux chargé.e.s de mission et bénévoles de l'association ainsi que des bénéficiaires, dans les locaux ainsi que lors des visites à domicile. Les textes et fragments recueillis, de nature très diverse mais tous très abondamment illustrés dans une mise en page changeant à chaque planche de deux pages, ont été articulés sous la forme d'un abécédaire thématique : « Par bout, par tranche, se servant d'une lettre, puis d'une autre... cet abécédaire illustré, poétique et engagé, raconte aussi une façon de travailler au plus près des habitant.e.s » (p. 177) :
A : Accueillir, Accompagner, Accès aux droits, Agence régionale, Architectes.
B : Bénévolat, Bonnes nouvelles.
C : Clés, Crise du logement en Île-de-France, Chargé.e.s de mission, Commissions, Collaboratrices et collaborateurs.
D : Droit au logement, Droit au logement opposable [DALO], Discrimination, Dénoncer.
E : Espace Solidarité Habitat, Équipe, Expulsion, Engagement.
F : Façades, Fenêtres.
G : Galères.
H : Habiter, Hôtel.
I : Immeuble, Isolement, Insalubrité, Indécent, Impropre à l'habitation.
J : Juriste.
K :
Monsieur K.
L : Madame et monsieur L.
M : Ménages, Mal-logement.
N : Nuisibles.
O : Oser parler.
P : Participatif, Parole, Paris, Partenaires, Précarité énergétique.
Q : Questions.
R : Recherche logement, Réseau des avocats.
S : Santé.
T : Trêve hivernale.
U : Utopie.
V : Visite à domicile.
W : week-end à Paris.
X : XXe arrondissement.
Y : Madame Y.
Z : Zone à défendre.
Très centré sur la primauté du droit et sur le fonctionnement de l'Association, le caractère engagé de cet ouvrage qu'elle a voulu gratuit se mesure cependant aussi à l'originalité à la fois des textes et des dessins, qui dans leurs traits parfois très gros, parfois menus et techniques, savent toujours frapper l'esprit du lecteur. Ainsi du dessin d'une foule compacte et soucieuse sur un quai et dans un wagon de métro, où des lignes verticales associent quelques visages parmi la multitude aux inquiétudes du mal-logement recopiées dans la cit. 2 (p. 22). Ainsi aussi de la noirceur des pages relatives à la santé mentale, à certains témoignages et à quelques intérieurs insalubres, alors que l'ensemble des personnes dont la parole est reprise sont portraiturées en situation. À noter également les planches sur l'expulsion (pp. 68-69) qui filent la métaphore d'une balle de bowling frappant des quilles, pouvant être vue aussi comme la déflagration d'une bombe sur des civils projetés dans tous les sens.
L'on est frappé par l'ampleur du phénomène du mal-logement, surtout en Île-de-France : si la honte, la crainte ou les obstacles dus à d'autres problématiques concomitantes (notamment la situation administrative irrégulière, de multiples problèmes de santé physique et mentale, etc ;), ou enfin l'ignorance des droits au logement et de l'existence d'associations de défense de ces droits n'empêchaient pas les victimes de sortir dans la rue pour manifester, sans doute l'appel de l'
Abbé Pierre de l'hiver 1954 ne serait-il pas resté un événement historique isolé, et la transformation de Paris en ville ultra-capitaliste ostracisant et maltraitant les pans les plus fragiles de ses habitants, aujourd'hui par la prolifération incontrôlée des locations Airbnb tout comme jadis par les spéculations du baron Haussmann et toujours par l'insuffisance de ses logements sociaux, ne serait-elle pas aussi facilement invisibilisée...