Citations sur Le gang de la clef à molette (Ne meurs pas, ô mon désert) (254)
La méthode de la coupe claire, dit-il, consiste à éradiquer la forêt naturelle - les forestiers industriels appellent ça "désarbé" - puis à planter des arbres d'une seule et même essence, bien aligné pour des raisons pratiques, exactement comme on plante du maïs, du sorgho, de la betterave sucrière ou n'importe quelle autre culture agricole. Ensuite, on asperge le sol de fertilisants chimiques pour remplacer l'humus emporté par les eaux de ruissellement, on dope les jeunes pousses aux hormones de croissance, on pulvérise des répulsifs à cerfs tout autour de la parcelle et on fait pousser une génération d'arbre uniforme, tous identiques. Lorsqu'ils atteignent une certaine hauteur (pas leur maturité, ça prendrait trop de temps), on envoie une flotte d'engins spéciaux et on abat ses enfoirés. Jusqu'au dernier. Ensuite on brûle les petits déchets, on passe la herse, on re-sème, et on re-fertilise et on recommence, on tourne en rond comme ça éternellement, toujours plus vite, jusqu'à ce que, tel le légendaire Oiseau Spirale de Malaisie qui vole en décrivant des cercles sans cesse plus petits, l''on disparaisse dans son propre trou de balle.
Si tu ne bois pas, ne conduis pas.
Si tu bois, conduis comme un fou.
Pourquoi ?
Parce que le bien le plus précieux est la liberté, pas la sécurité.
Un jour, y m'est arrivé de penser que j'avais tort, dit Sheldom. Mais je me suis rendu compte ensuite que je m'étais trompé.
La nature offrait jadis à l'homme un mode de vie plausible, dit le docteur. Aujourd'hui, elle assure la fonction d'un asile psychiatrique. Bientôt, il n'y en aura plus. (Il sirota son bourbon on the rock.) Et la folie sera universelle. (Nouveau silence pour une nouvelle pensée.) Et l'univers deviendra fou.
Qu'est-ce qui est plus américain que la violence ? s'écria Hayduke. La violence est aussi américaine que la pizza.
Tout ça pourquoi ? Mais pour éclairer les futurs immeubles des banlieues de Phoenix, pour alimenter l'air conditionné de San Diego et de Los Angeles, pour illuminer les centres commerciaux et les parkings à deux heures du matin, pour alimenter en énergie les raffineries d'aluminium, les usines de magnésium, les fabriques de vinyle-chloride, les fonderies de cuivre, pour faire briller les tubes au néon qui justifient (pauvre justification) Las Vegas, Albuquerque, Tucson, Salt Lake City, les métropoles amalgamées de la Californie du Sud, pour maintenir en vie cette gloire putréfiée et phosphorescente (de là toute la gloire s'en est allée) appelée Centre Ville, Vie Nocturne, Wonderville, USA.
Je m'appelle Hayduke, rugit-il. Je suis un hippie. Et je suis pédé. Je marche pieds nus l'été, ma mère escroque la Sécurité sociale et je veux vous dire, les gars, que je suis heureux d'être ici, car si des durs comme vous n'existaient pas, je devrais travailler pour gagner ma croûte. Tout ce que je fais, c'est lire des livres cochons, fumer des joints et tringler les petites filles.
Bonnie avait conscience de hautes présences autour d'elle - pins ponderosas taciturnes, épicéas d'Engelmann et sapins du Colorado aux personnalités sombres et hirsutes, cimes lancées haut comme des flèches de cathédrale, toutes pointées selon des azimuts différents (car ce qui s'élève ne peut que diverger) vers la luxuriante colonie embrasée des étoiles de première magnitude qui ornent en l'illuminant du mieux qu'elles peuvent le vaste intérieur de notre univers en expansion. Mais Bonnie avait déjà vu ça ; elle se roula et s'alluma un joint.
C'est clair que je ne peux pas le tuer, pensait Hayduke. Tout ce que je veux, c'est le tabasser gentiment. Donner un peu de travail à son orthodontiste. Lui déplacer une côte, peut-être. Lui gâcher sa soirée: rien de drastique, rien d'irréparable. La question est : est-ce que je me présente ou pas ?
Les haut-parleurs noir anthracite qui se sont épanouis comme des fleurs sur les réverbères en cou d'oie, à neuf mètres du bitume, mugissent comme des Martiens. Un magma de sens, tout en couinements et caquètements de poltergeists technotroniques, phrases étranglées et cadences en fibrillation, persiste néanmoins à jaillir en rugissant de la sono pour porter haut et fort le beuglement creux de l'AUTORITÉ