Le samedi matin, les parents avaient le droit de venir plus tôt. Le professeur s'est arrêté dans la chambre de notre fils. Il l'a contemplé longuement, avec amour et même admiration. Je savais qu'il appréciait sa manière de lutter. Un grand professeur peut éprouver de la considération pour un petit enfant. Curieusement il n'a pas tâté son pouls, n'a pas vérifié les courbes des machines. Il l'a embrassé et nous a proposé de le suivre dans son bureau, il nous a fait asseoir, nous a demandé de poser nos mains sur la table de fer. Il a pris nos mains qu'il a enveloppées dans les siennes. Puis il a levé les yeux et, le regard embué de larmes, nous a annoncé que c'était fini.
Je n'écris pas pour apaiser la douleur. Je sais depuis dix-sept ans que la douleur est et demeurera ma compagne. Je vis avec elle. Je la tiens en laisse. Quelquefois, elle me bouscule et me fait tomber.
Nous, nous restions muets, emprisonnés dans un monde illusoire ou, si on ne nous disait rien, c'est qu'il ne se passait rien. Rien de grave. Nous nous sommes contentés de ce silence dans le cheminement des jours.
Vivre après, avec la force de son amour, intacte par delà les jours, et qui nous amène à vouloir parler, m^me s'il n'y a pas de mots - chacun en fait l'expérience- capables de dire la séparation, l'absence, le manque qui vous déchire.
Vivre après, dans l'espace abandonné par la mort qui, elle, ne fait jamais défaut, à sa façon, un A ce soir, qui résonne comme une menace.
Nous avons tous le même destin dès que nous sommes au monde: vivre.
"A la nuit tombée, je suis rentrée à la maison. Je n'ai rien dit. Pourquoi parler de quelque chose qui n'a pas existé ?
Au moment de prendre le bain, j'ai enlevé ma montre, une montre offerte par l'homme que j'aime et où l'artiste a inscrit sur le cadran, en demi-cercle, A ce soir. J'ai constaté que le cadran était totalement embué. On dit que la peur crée des sécrétions toxiques. A ce soir était effacé. La date, elle, était bien visible.
Treize Juillet. Dix-sept ans après la mort de Rémi.
Le texte qui suit s'est imposé à moi juste après. Il a surgi de la nuit."
Silence de la fin de l’aube.
Je n'écris pas pour me souvenir. Je n'écris pas pour apaiser la douleur. Je sais depuis dix-sept ans que la douleur est et demeurera ma compagne. Je vis avec elle. Je la tiens en laisse. Quelquefois, elle me bouscule et me fait tomber.
Quand on descend si bas dans les entrailles de la terre, l'obscurité n'est pas uniforme. On s'habitue au noir.
On dit que les gens heureux n'ont pas d'histoire. C'est vrai.