J'ai découvert ce premier roman de
Meryem Alaoui tout à fait par hasard, mis un peu en avant par la bibliothèque que je fréquente sur l'étagère des nouveautés, coups de coeur, etc. … C'est le titre qui m'a surtout attirée :
La Vérité sort de la bouche du cheval…
Rien d'équestre pourtant dans ce livre, mais de beaux portraits de femmes, ciselés, magnifiques de vérité et de réalisme, attachants, hauts en couleurs et pudiques à la fois.
« Bouche de cheval » est le surnom donné à une jeune femme marocaine : « un bâton tout maigre avec, au bout, des cheveux longs et en pagaille. […] Plein de grandes dents. Bouche de cheval ! […] debout devant moi, j'ai un balai qui s'est teint les poils en marron. Elle est tellement maigre qu'on dirait qu'elle va se casser en deux ». C'est une journaliste d'origine marocaine qui vit en Hollande ; elle veut réaliser un film sur la vie dans un quartier populaire de Casablanca ou vivent des prostituées.
Ce roman est l'histoire de sa rencontre avec Jmiaa, qui n'a pas choisi la prostitution mais qui y a été contrainte par son mari pour rembourser ses dettes ; abandonnée par lui depuis, elle partage son temps entre les passes avec les clients et les séries télé ; elle boit et se drogue un peu aussi pour se donner du courage et ne se plaint jamais ; cette femme est une battante qui aborde les vicissitudes du métier avec brio, profite de tous les bons moments, même les plus éphémères, et mène vaillamment sa vie entre ses collègues de la rue, ses clients, son proxénète, son amant de coeur, sa fille et sa mère. Quand elle découvre le milieu du cinéma, son regard acéré permet de belles mises en lumière des personnalités et des situations décrites.
Cette lecture fut pour moi un total dépaysement, une immersion dans un milieu où règnent la débrouillardise et une certaine forme de solidarité entre les filles malgré les rivalités et les mesquineries. le parcours de Jmiaa est atypique et jouissif, factuel et bouleversant à la fois ; il y a du sexe, de l'alcool, de la violence, des rires et des larmes, du rêve aussi…
La narration est rythmée, sans temps morts. J'ai surtout été happée par le style oral et paradoxalement soutenu. Jmiaa, la narratrice parle à la première personne et s'adresse à un interlocuteur qu'elle interpelle parfois, à moins qu'elle ne s'adresse directement au lecteur : « va savoir ». J'avais vraiment l'impression d'être à ses côtés et de l'écouter me raconter son histoire, entre deux bières ou deux cigarettes. J'ai entendu l'auteure dire dans une interview qu'elle avait pensé en arabe et écrit en français…
Le récit est précisément daté, de juin 2010 à mai 2018, et pourtant la narration ne fait pas penser à un journal intime, mais plutôt à un journal de bord ou à un témoignage. Meryem Allaoui a l'art de mêler le parler populaire et de belles métaphores poétiques pour décrire les ressentis. Les dialogues sont savoureux, percutants, pleins de finesse et de sensibilité, sous des dehors bourrus et insultants parfois ; la langue de la rue, colorée et imagée, entre moments de franchise et non-dits, rend ce récit vivant et réaliste, au plus près de l'humain et de la vie quotidienne.
À la fin du livre, un glossaire très utile permet de situer les célébrités marocaines citées ou de comprendre le sens caché de certaines expressions.
Ce roman est une belle découverte, une pépite entre portraits de femmes, hymne à la vie et peinture de la vie quotidienne dans un quartier populaire de Casablanca.