Les mots étrangers

Nous avons la musique, mais nous n’avons pas encore les paroles. Le sango est peut-être notre dernier rempart. Les peuples privés de langue sont des peuples sans défense.

Le mot « fou » nous l’avons pris au français, mais nous l’avons développé, enrichi. Nous lui avons ajouté trois syllabes ! Il est devenu fufulafu ! Il exprime mieux l’état de folie sous cette forme, vous ne trouvez pas ?

Il me semble qu’on est davantage enclin à parler de ce que l’on ignore. On a besoin de s’étonner soi-même.

Ne pas avoir de raison d’apprendre une langue n’est pas une raison de ne pas l’apprendre.

L'écriture permet d'établir un contact physique avec la langue, de la toucher. Je m’imagine peut-être que les mots sont des animaux sauvages qu’il faut apprivoiser ? Je cherche autant à les connaître qu’à me faire connaître d’eux.

L’apprentissage d’une langue ressemble à une cure de jouvence.

La langue grecque comme la langue française facilitent le travail de l’écrivain. Elles ont vu naître suffisamment de textes pour comprendre ses hésitations, ses tourments. Elles lui proposent des solutions, lui indiquent des itinéraires, l’aident à s’orienter dans les ténèbres. Elles sont de bonne compagnie et de bon conseil.

Les mots me font penser à des immigrés qui ressassent leurs souvenirs : ils me parlent de leur pays sans réussir à me communiquer leur nostalgie ou leur détresse...ils indiquent une direction. Au lieu de satisfaire ma curiosité, ils l’attisent. Ils me renseignent, mais ne me livrent pas leurs secrets. Chaque nouveau mot que je découvre m’offre une petite énigme.

Il me semble que le caractère anodin des mots étrangers dispose au bavardage, de la même manière que les monnaies dont on ignore la valeur poussent à la dépense.

Il est bien agréable de former des phrases dans une langue qu’on commence à peine à découvrir. Ce sont forcément des phrases toutes simples qui n’exigent aucune réflexion et n’ont aucune prétention littéraire. Cela repose l’esprit d’écrire sans chercher à s’exprimer, sans penser à soi, de réunir des mots sans raison. Cela rend la plume plus légère et la main plus hardie car on se sent en même temps débarrassé de la crainte détestable de faire des fautes.