Chaque matin, ma fille aînée va travailler à la prison de la Santé.
Presque chaque matin.
Onze grilles avant d'arriver à la bibliothèque, à son bureau.
Onze verrous.
Tous les matins elle se bat pour la réinsertion par les livres, grâce aux livres.
Elle est courageuse, et audacieuse.
Elle croit en la littérature et aux deuxièmes chances.
Elle croit aux vertus de la littérature sur les détenus.
Tous les matins, elle anime, organise, réfléchit, avance.
Après les onze verrous.
Le prix Goncourt des détenus, c'est un prix particulier, celui de lecteurs singuliers.
L'année dernière, ils avaient choisi le livre de
Sarah Jollien-Fardel «
Sa préférée ». Nous aussi, on avait adoré.
Cette année, ils ont lu et élu :
«
Les conditions idéales » de
Mokhtar Amoudi.
Alors, ma fille aînée l'a acheté et me l'a donné. Emballé dans un joli papier.
En quelques jours, quelques heures, à peine le temps d'une garde à vue, je l'ai commencé et terminé.
C'est un premier roman inspiré de la vie de son auteur.
De la veine des grands romans initiatiques.
Quelque chose de « La vie devant soi » dans le Val de Marne si Madame Rosa s'appelait Khadija, si Momo s'appelait Skander - qui est un enfant de l'ASE, l'aide sociale à l'enfance.
Un enfant placé, un enfant des cités, un enfant du trafic de drogue mais pour acheter des chaussures américaines et une veste en cuir.
Un enfant brillant qui vise le bac, les études de droit, la finance.
Parce qu'il désire plus que jamais ces chaussures américaines et plus jamais un jogging troué pour sortir.
Qui fait de mauvaises rencontres et des rencontres qui sauvent.
Qui découvre une prison, qui raconte :
On arriva enfin, la prison apparut. C'était donc ça, Fleury, du gris et du marron, moins de couleurs que l'enfer. le mot prison, c'est pas assez fort pour la décrire. Ces murs épais comme des frontières contenaient cinq mille délinquants, femmes et mineurs compris. On pourrait pourtant mieux la remplir.
La langue de
Mokhtar Amoudi est celle du réel entre Courseine et Créteil.
C'est la voix de l'enfance mais pas celle de l'innocence.
Un langage précis, fleuri.
De l'émotion et du rire, tout est réuni.
Les conditions idéales.
Ce soir, je prêterai ce livre à ma fille aînée.
Elle le lira, en sortant de la Santé.
Après les onze verrous.
Je sais qu'elle va l'aimer.
instagram : @mesmotsdanslesleurs