Citations sur Mon père sur mes épaules (32)
Nous n'étions plus qu'une poignée à rester à l'école. Les internes profonds... A la Toussaint, à Noël, à Pâques, nous rôdions dans un bâtiment vide, désoeuvrés, hébétés, perdus, à attendre que les jours passent, cherchant à faire face à ce qui semblait être de l'ennui. En réalité, il s'agissait d'une angoisse profonde. Nous ne savions pas qui nous étions, encore moins ce que nous étions pour nos parents. Plus que jamais solidaires entre nous, nous nous accrochions avec férocité à la seule idée qui nous permettait de tenir: nos parents nous laissaient là pour notre bien.
À peine étions-nous sortis du magasin, je t'avais dit : "Nous avons dépensé beaucoup d'argent." Très gêné, j'avais ajouté : "Il y a encore les livres... On les achète ou pas ?" Te souviens-tu de ta réponse ? Elle était magnifique... "Les livres, c'est autre chose."
Comment savoir, à cet instant, que ces mots allaient m'accompagner toute ma vie ?
p. 102
(Metin Arditi enfant, à propos de son père).
Ce dimanche après-midi, il m'avait ramené à l'école. Ressentait-il de la tristesse ? Pas une tristesse légère, non, pas celle qui s'évanouit dans le quart d'heure. J'entends, la vraie tristesse de celui qui va laisser son fils unique loin de lui pendant des mois.
Tes mots avaient tracé mon chemin.
Ils m'ont ouvert la route à des textes qui ont changé ma vie, ceux de Nietzsche, que tant de gens qualifient d'antisémite et qui était son contraire; ceux de Jaspers, le plus lumineux des philosophes du XX°siècle. Ils m'ont ouvert la voie aux poèmes de Hõlderlin, et bien sûr à la grande musique allemande. Si j'ai pu tous les approcher sans retenue, c'est grâce à ces mots que mon père avais eus, à contre-courant : l'Allemagne est un grand peuple. Chapeau. Grâce à eux, aussi, j'ai pu établir des amitiés merveilleuses avec des Allemands.
Si tu peux voir détruit l'ouvrage de ta vie
Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir...
Quel est le propos de la Bar-Mitzvah ? Marquer l'arrivée d'un homme à sa maturité. Appartenir à la communauté des adultes, qu'est-ce que ça implique? Quelles responsabilités devrais-je assumer désormais ?
Pour que tu me souries ! Que tu me prennes dans tes bras ! Pour que tu m'embrasses, que tu me poses mille questions dans lesquelles j'aurais perçu de l'intérêt, de l'affection, et surtout, papa, surtout, de l'estime. De l'estime, pour l'amour du ciel !
Faisant de ses mains comme un triangle, mon père lui avait affirmé que les religions opposent un "angle fermé" à la liberté de pensée.
Il m'a toujours suffi de jeter un coup d'œil à un immeuble, à sa rue, à son quartier, pour comprendre si les appartements seraient aisés à louer ou à vendre. J'ai pris des dizaines, peut-être des centaines de décisions, souvent très vite, en me projetant dans le quotidien de ceux qui occuperaient l'appartement. Je ressentais leurs émotions, les voyais vivre, anticipais leurs joies et leurs peines.