« En ce temps-là [celui de son père], on pouvait, et parfois même il fallait effacer et nier ses origines : nouveau nom, nouvelle identité, nouvelle vie. On pouvait dissoudre le passé, puisque l'avenir était tout. Aujourd'hui, c'est l'inverse, notre pays a rétréci. Il n'y a plus d'avenir, juste des origines. » (p. 128)
« Les populations de l'autre rive [du fleuve que représente le boulevard Barbès] montent jusqu'à nos berges : il y a beaucoup d'Africains, de Maghrébins, de Sri-Lankais, que sais-je encore. Sur les trottoirs du boulevard, des jeunes femmes voilées en quantité.
J'entends beaucoup parler arabe. Autour de moi, je ne sais à vrai dire qui est français et qui ne l'est pas. Mais je sais qui a quelque chose et qui n'a (presque) rien.
Ce n'est pas agréable – c'est même souvent imbuvable –, quand on a quelque chose, d'être entouré de gens qui n'ont rien, ou presque. » (pp. 112-113)
J’ai bien compris que pour les écrivains, comme pour tout le monde aujourd’hui, seul le marché existe.
On ne cherche à comprendre et expliquer que ce qu’on a cessé de vivre. C’est d’ailleurs pour ça que les historiens existent.
J’appartiens à une génération qui n’en est pas une. Qui n’a pas eu le sens du collectif […]. Cela s’est accompagné d’un remords et d’un malaise […], et d’une croyance en la "communication", devenue, de fait, la religion de ceux qui n’en ont pas.
Oui, j'ai été lâche. La peur de l'autorité, d'attirer l'attention sur moi, la trouille que, à l'arrivée, un éclat de ma part ne compromette ma situation et ne m'empêche d'obtenir le simple droit de voyager, qui m'a été limité pendant un an. Et, oui, je le confirme aussi, j'ai pensé à m'effacer. Pas à me tuer, non, mais à partir. Émigrer, je ne sais où. Et j'y pense encore. En tout cas, une chose est claire : jamais, jusqu'à ma mort, je ne me considérerai comme un citoyen ordinaire en France, parce que je sais que ce n'est pas vrai, et que ce ne le sera plus jamais.