Persuasion est peut-être le roman de
Jane Austen que je préfère. À moins que ce ne soit
Raison et sentiments. Ou
Orgueil et préjugés. C'est toujours ainsi lorsque j'essaie de savoir lequel je préfère : je suis incapable de trancher. Les romans de
Jane Austen ont beau paraître tous un peu semblables, chacun a un petit quelque chose de particulier qui le rend impossible à confondre avec les autres. C'est souvent la personnalité de l'héroïne (ou des héroïnes) qui fait la différence. Impossible de confondre Anne Elliot, l'héroïne de
Persuasion, avec
Elisabeth Bennett ou Elinor Dashwood, bien qu'elles aient beaucoup de points communs. Ce qui me donne une tendresse particulière pour
Persuasion, c'est en grande partie son héroïne.
Anne Elliot est la fille cadette d'un baronnet archi-vaniteux. Elle-même est simple et discrète, elle aime la sincérité. Autant dire qu'elle a du mal à trouver sa place entre un père et deux soeurs tout gonflés de leur importance sociale (toute relative). Avec sa plume acérée,
Jane Austen ne se gêne pas pour égratigner la vanité de ces petits nobles imbus d'eux-mêmes, incapables de gérer leur fortune, obsédés par les relations mondaines mais incapables de sentiments vrais et sincères. Dans ce milieu, Anne Elliot paraît complètement déplacée.
L'intrigue de
Persuasion commence alors que la famille de Sir Walter Elliot doit envisager de louer sa belle demeure pour éponger les dettes. Or, l'épouse du locataire, un amiral, s'avère être la soeur de Frederick
Wentworth qui fut fiancé à Anne huit ans auparavant. Quoique profondément éprise, Anne s'était laissé convaincre par son amie Lady Russell de rompre ses fiançailles avec ce jeune officier de marine sans fortune et à l'avenir incertain. Hébergée chez sa plus jeune soeur non loin de la demeure familiale, Anne ne tarde pas à se retrouver face à face avec son ancien soupirant. Quelle douleur poignante, alors, de découvrir que, si ses sentiments à elle sont restés intacts, lui ne semble plus éprouver que de l'indifférence, si ce n'est du dédain à son égard ! Elle a même le chagrin de le voir en bonne voie pour épouser une autre jeune fille.
Si je ne me trompe pas,
Persuasion est le seul des romans de
Jane Austen à nouer une intrigue amoureuse entre deux héros qui se sont déjà rencontrés, aimés et même engagés l'un envers l'autre auparavant. Je crois que c'est un des aspects qui me plaît dans
Persuasion. Au lieu d'être une histoire entre deux étrangers qui apprennent à se connaître et à s'apprécier ou entre des amis de longue date qui se découvrent des sentiments plus tendres, c'est l'histoire d'un amour brisé, une histoire de regrets, de rancune, une histoire apparemment sans espoir, finie avant d'avoir commencé. La fin est toujours très prévisible chez
Jane Austen mais cela n'empêche pas notre petit coeur de battre au diapason de celui d'Anne, même quand on a déjà lu l'histoire de multiples fois. C'est tout l'art de la romancière britannique, son talent incroyable pour décortiquer les sentiments de ses personnages.
Au-delà de la romance, lire
Jane Austen, c'est aussi se régaler de son ironie, de sa satire sociale et psychologique tout en finesse et de son style ! Pour la première fois, je me suis aventurée à lire
Jane Austen en VO. J'avais entendu beaucoup de bien de son style et j'espérais pouvoir me rendre compte par moi-même. J'ai beau avoir une bonne maîtrise de l'anglais, j'ai failli caler. Finalement, en lisant d'abord le chapitre en français puis en anglais, j'ai fini par apprivoiser son style alambiqué et ancien au point de réussir à le lire direct en VO (ce dont je ne suis pas peu fière). Et je ne regrette pas du tout. Même si je ne suis pas capable d'en saisir toutes les beautés, j'ai pu vraiment admirer l'élégance de son style. La souplesse et la concision de l'anglais vont bien à son style plein d'ironie, de sous-entendus, d'euphémismes. On appelle l'anglais la "langue de
Shakespeare" mais, sans vouloir déprécier le dramaturge, on pourrait aussi bien l'appeler la langue de
Jane Austen. Si vous comprenez assez bien l'anglais, je vous encourage à tenter l'expérience de la VO, quitte à lire d'abord en français. Par contre, je déconseille de faire l'inverse. C'est ce que je faisais au début et la traduction française me paraissait alors lourde, maladroite, sans élégance.
Challenge solidaire "Des classiques contre l'illettrisme" 2019