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EAN : 9782953896428
Editions Globophile (20/08/2012)
4.7/5   5 notes
Résumé :
Je devrais être enterré ici, et Coco avec moi. Je devrais m'appeler numéro trente-cinq. Je devrais être pleuré comme je pleure ces anonymes pour qui leurs familles ne savent ni où ni comment se recueillir. Je devrais être oublié dans le fond de la brousse africaine pour mériter l'inattention réparatrice.
Je reste une erreur, un cas particulier qui ne vaut rien par lui-même, qui ne sert qu'à confirmer la règle, à mettre en valeur une horrible généralité. Voilà... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (2) Ajouter une critique
Sans effets spéciaux, avec rage et pudeur, l'incurie ayant tué les 2 000 passagers du Joola

Par Charybde2

Publié en juillet 2012 aux éditions Globophile, le livre de Patrice Auvray est de ceux qui marquent un lecteur. Je dois pourtant confesser, à ma grande honte, ma réelle réticence à m'y plonger, et il a fallu toute la chaleureuse insistance de Lina Husseini, la formidable animatrice de la librairie Athéna à Dakar, pour que je franchisse le pas, et découvre donc la tragique beauté de ce récit.

Patrice Auvray raconte un épisode de sa vie, survenu en septembre 2002, le naufrage du ferry-boat Joola sur le trajet entre Casamance et Dakar, au large de la Gambie, navire transportant alors plus de quatre fois son nombre de passagers autorisé, pour un bilan de plus de 2 000 victimes (la deuxième catastrophe civile de l'histoire maritime après celle du ferry-boat philippin Dona Paz en 1987). Patrice Auvray fut l'un des 64 survivants, voyant, malgré ses efforts désespérés, son amie malade couler à côté de lui, alors qu'en compagnie des quelques centaines de passagers ayant pu échapper à la carcasse qui s'engloutissait, ils se débattaient dans des creux de trois ou quatre mètres en espérant des secours qui ne devaient jamais arriver.

Récit d'une atroce tragédie humaine, donc, et qui résiste avec talent et pudeur à la tentation d'un spectaculaire larmoyant pour livrer faits bruts et poignantes impressions reconstituées, des circonstances de l'embarquement à l'horreur du naufrage et au désespoir de l'attente des secours... Mais, peut-être plus encore, récit d'une incurie qui devrait dépasser l'imagination, d'une incurie soigneusement étouffée par le président sénégalais Wade et ses alliés : celle qui conduit à faire opérer par l'armée un navire constituant le poumon social et économique de la Casamance, isolée, au Sud de la Gambie, du reste du Sénégal, et en proie à une rébellion indépendantiste sporadique depuis des années, navire hors d'âge, mal réparé, mal géré, surchargé et à la cargaison déséquilibrée en dépit du bon sens, dont tous les signaux d'alerte au drame qui couvait furent balayés d'un revers de main par des militaires impavides (qui constituèrent l'essentiel des survivants...) habitués à cette sourde arrogance qui les caractérise dans trop de démocraties africaines (et souvent ailleurs) ; celle qui conduit pendant des dizaines d'heures, en l'absence du président Wade, en voyage officiel en France, ses principaux ministres à retarder l'envoi de secours "dans le doute" (les navires de pêche présents sur le lieu du drame reçoivent l'ordre d'attendre l'arrivée d'un aviso militaire avant de faire quoi que ce soit...) ; celle qui conduit à évacuer en priorité les officiers survivants et à les mettre aussitôt à l'abri des curiosités, le capitaine ayant opportunément "disparu" ; celle qui conduit, après avoir offert du bout des lèvres un peu de compassion aux survivants et aux familles des victimes, à les traiter rapidement en pestiférés et en menaces pour la sécurité de l'État...

Récit magnifiquement servi par un style tout en retenue, ajoutant par petites touches lucides toutes les facettes de l'avant, du pendant et de l'après du drame, faisant pénétrer ainsi en nous l'horreur bien mieux que n'importe quel effet spécial...

Ne pas oublier le Joola, en effet, et l'atroce justification toujours présente des diverses et variées "raisons d'État", au Sénégal ou ailleurs.
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Bouleversant
26 Septembre 2002, le ferry « Joola » entreprend un trajet habituel de treize heures, entre Dakar et la Casamance. Ce voyage, il le fait quatre fois par semaine, car la mer est plus sûre que les routes où se trouvent les rebelles. Patrice Auvray est sur le bateau avec Coco, Corinne, sa compagne. Elle a déjà voyagé par ce biais, pour lui, c'est une première. Ils ont réservé une cabine car elle souffre d'une crise de paludisme. Ils observent les passagers qui s'installent, nombreux, très nombreux, les militaires qui arrivent sans billet et qui montent eux aussi sur le transbordeur….
La traversée commence et puis vers 23 heures, le drame. A quarante kilomètres des côtes, c'est le naufrage, à force de pencher (ce qu'avait remarqué Patrice Auvray), le navire coule. Les secours n'arrivent pas, les canots de sauvetage ne sont pas opérationnels, beaucoup de manquements à la sécurité (bâtiment pas entretenu) … Patrick et Coco essaient de nager, de trouver de quoi s'accrocher pour flotter….
Il y avait quatre fois plus de passagers que ce qui était autorisé. le gouvernement sénégalais a, dans un premier temps, pris une position de déni, en disant aux familles qui attendaient l'arrivée que tout allait bien. Les naufragés, eux, doutent, va-t-on les aider ? 1863 morts, 64 rescapés …. Ce n'est pas la mer qui a été mauvaise mais bien la gestion d'un moyen de transport qui a été catastrophique !
C'est pour que ce drame (avec plus de décès que le Titanic) ne soit pas oublié que Patrice Auvray témoigne dans ce livre exceptionnel et remarquable. Il explique les faits, donne son ressenti, analyse, et transmet ce qu'il a découvert après (les commentaires sont alors en italiques). Lorsque vous lisez « on vend des billets tant qu'on nous en demande », il y a de quoi être révolté ! Il y a d'excellentes réflexions sur les relations avec l'Afrique et les habitants de ce pays. Patrice y habitait mais il restait un toubab. Les africains sont assez fatalistes, deux mondes opposés …
C'est un an après qu'il a commencé à rédiger son texte et il lui a fallu cinq longues années pour trouver un éditeur. Cela s'explique, il pointe du doigt la négligence du gouvernement sénégalais et c'est le genre de choses qui dérangent…. Mais il s'était juré que les victimes ne tomberaient pas dans l'oubli alors il a écrit. Il a eu un fort sentiment d'abandon, comme d'autres qui ont survécu, comme si les autorités voulaient minimiser, taire les faits ….
Ce récit n'est pas larmoyant, on ne se sent pas voyeur, on est vraiment au coeur des événements avec le recul que s'est imposé l'auteur pour une observation fine et intelligente. J'ai notamment trouvé très intéressant ce qu'il dissèque sur la solidarité. Faut-il vivre des horreurs ensemble pour se soutenir ? Et jusqu'où peut aller l'entraide ?
La gestion de cette tragédie a été honteuse, choquante, indigne, le manque d'humanité m'a noué le ventre. Pourquoi tant de silences, de refus de reconnaître la réalité ?
Je n'oublierai pas le Joola et je remercie l'auteur et l'éditeur d'avoir pris pour l'un et publié pour l'autre, la parole d'un survivant.

Lien : https://wcassiopee.blogspot...
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Citations et extraits (2) Ajouter une citation
Longtemps après, je craquais une fois de plus au réveil d'un nouveau cauchemar, en pensant que je ne pourrai plus dire que n'ai jamais tué personne...
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Élans et désordres du voyage, comme je vous aime !
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