Je sors de cette BD assez dubitative et nauséeuse. Les thématiques sont très intéressantes : I. A., transhumanisme, dégradation de la Terre et survivalisme, mais rien n'est vraiment creusé. Les très récurrentes dégradations des corps m'ont rendues la lecture peu divertissante et assez écoeurante.
Carbone & Silicium sont 2 androïdes de première génération. Créés à l'image des humains, ils éprouvent des émotions, ressentent la douleur, peuvent avoir de l'empathie. L'objectif est qu'ils occupent des postes d'aides-soignants pour les personnes âgés, et qu'à travers leur "humanité", ils puissent leur apporter un soutien émotionnel. Mais les choses ne se passeront pas tout à fait ainsi et nous suivrons Carbone et Silicium sur plus de 200 ans, à travers leurs voyages et leurs rencontres. Sous leurs regards, nous observerons les conséquences du réchauffement climatique et la déchéance progressive de l'humanité.
C'est
Mathieu Bablet, donc les dessins, les paysages et les couleurs sont magnifiques. Je ne suis pas toujours fan de la façon dont il dessine ses personnages mais c'est un goût personnel.
Cela dit, j'ai trouvé le pitch de départ assez bancal. Quel est l'intérêt de créer des androïdes exactement semblables à des humains ? D'autant que le prétexte des aides-soignants est évoqué au début mais jamais repris dans le reste de la BD. Je veux bien qu'il s'agisse d'une allégorie, mais que ce soit un minimum cohérent c'est mieux. La question des I. A., de leur statut, de leur rôle, de leur nature, est finalement très peu présente. Tous les androïdes réagissent exactement comme des humains. Ils ne sont pas programmés en fonction des tâches et des rôles auxquels on les destine, non, ils sont juste... des humains... avec des corps mécaniques... basta. Je ne suis pas forcément une amatrice de hard SF, mais j'avoue que je m'attendais à quelque chose d'un peu plus solide et réfléchi. Je ne sais pas si c'est le format BD qui ne permet pas vraiment de creuser les sujets, mais tout m'a paru survolé. Les dialogues pseudo-philosophiques de Carbone et Silicium m'ont, là encore, paru très simplistes et surtout vraiment mal amenés. Leur côté moralisateur et bien-pensant m'a vraiment agacé.
Ce qui m'a surtout rendue nauséeuse, ce sont les très nombreuses violences physiques que subissent les corps des androïdes, et particulièrement les corps féminins. OK ce sont des corps mécaniques, pourtant ils ressemblent énormément à des corps humains. Je sais que c'est voulu, que cette violence permet de choquer, de dénoncer, notamment de questionner le transhumanisme. À quel point serions-nous prêts à maltraiter nos corps pour aller toujours plus loin dans l'optimisation de nos capacités, pour être toujours plus connectés, pour prolonger toujours plus notre vie. Mais j'avoue que ça m'a parfois semblé un peu gratuit et certaines scènes sont particulièrement dérangeantes.
Enfin, le traitement très genré des androïdes, et surtout de Carbone et Silicium m'a géné. Carbone passe parfois d'un corps de femme à un corps d'homme, pourtant elle est clairement identifié comme femme notamment dans son aspect immatériel. La question de la non-binarité potentielle des androïdes n'est jamais posée. de même, Carbone répond à tous les stéréotypes féminins, elle est altruiste, optimiste, sociable, empathique, elle aime les humains, elle leur rend service. Quant Silicium est un globe trotteur, solitaire, cynique et individualiste. Pourquoi faire de ces 2 personnages des clichés ?
J'ai lu dans de nombreuses critiques que la relation entre Carbone et Silicium était vue comme une romance. Pourquoi ? Parce qu'il s'agit d'un "homme" et d'une" femme", alors ils sont forcément amoureux ? Pourtant absolument rien dans la BD ne l'indique. Il n'y a aucune raison de penser que leur relation soit autre chose qu'une profonde amitié, et n'est-ce pas suffisant ? N'est-ce pas déjà magnifique ?
En bref, cette BD présente de très belles planches. Elle est définitivement une sacrée prospective et une sacrée mise en garde de ce qui nous attend. Mais elle a beau être encore assez récente (publiée pour la 1ère fois en 2020), j'ai l'impression que beaucoup de choses ont depuis été apportée en SF sur les mêmes thématiques. Et que beaucoup de romans, surtout, m'ont déjà permis d'aller plus loin dans ma vison de ces sujets.