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Critique de Woland


Scènes de la Vie Militaire : Les Chouans ou La Bretagne en 1799
Editions de Référence : Lausanne - 1968

ISBN : non indiqué
Bibliothèque Electronique du Québec

Publiés antérieurement à "Une Ténébreuse Affaire", "Les Chouans", qui sortent en 1829, voient déjà se dresser la silhouette d'un Corentin plus jeune, toujours aussi dandy et toujours au service de la "diplomatie" de Joseph Fouché. Ajoutons que, aussi étrange que cela puisse paraître, en quelques phrases assez rares, l'auteur laisse paraître chez ce personnage pourtant ignoble par principe, comme le début d'un sentiment d'amour sincère envers l'héroïne de l'histoire, Marie de Verneuil, fille illégitime d'un duc débauché, qui a été récupérée par le monde de l'Après-Révolution et désormais par le Consulat, et fut, entre autres, l'épouse (selon Balzac en tous cas) de Danton. Avec une mère qui s'est laissée entraîner par de belles paroles et qui, pour sauver l'honneur de sa famille, est ensuite entrée au couvent, et le sang glorieux quoique roué de son père, Mademoiselle de Verneuil est une authentique aristocrate qui n'a embrassé la cause des Bleus (= les Républicains) que pour survivre dans un monde devenu complètement fou et aussi, sans doute, un peu pour se venger de ceux qui la rejetèrent sous prétexte que, bien qu'officiellement reconnue par son père, elle ne pouvait figurer parmi les gens de sa caste en raison de la bâtardise qui continuait à la flétrir de son sceau.

Il serait vain et plutôt long d'expliquer par quels aléas Marie est passée, avec sa fidèle servante, Francine, d'origine bretonne, avant d'aboutir dans la voiture qui la mène en mission du côté de Fougères, escortée par un corps de robuste soldats bleus, dirigé par le commandant Hulot, et du moins robuste mais diabolique stratège qu'est Corentin. Sa mission : séduire par tous les moyens "le Gars", surnom du nouveau chef des Vendéens qui vient de débarquer de Londres avec la bénédiction de Louis XVIII, et dont les premières pages du roman nous ont déjà montré le courage et la noblesse. Alphonse, marquis de Montauran (nous n'apprendrons son état-civil que bien plus tard), ne manque pas en effet de panache mais il se trouve épouvanté par la sauvagerie des chuins (= mot du terroir pour désigner les Chouans, issu du mot "chouette", puisque les rebelles se reconnaissaient et communiquaient par le cri de ce rapace nocturne) qu'il doit mener au combat en un ordre et une discipline quasi parfaits. On notera au passage (notamment dans la fameuse scène du "chauffage" de l'usurier) que Balzac, volontairement ou non, insiste sur la "sauvagerie" des Chouans, à peu près comme Barbey d'Aurevilly, de son côté et pas mal d'années plus tard, mettra l'accent sur celle des Bleus (Cf. entre autres "L'Ensorcelée). Rappelons encore - notre époque est particulièrement propice à ce triste rappel - que le conflit entre les Bleus (la France républicaine) et les Blancs (la France royaliste et, par conséquent, les Chouans) appartient à la classe des guerres civiles, et qu'il n'existe pas de pire guerre au monde, probablement parce que la notion fratricide est ici fortement ancrée, d'un côté comme de l'autre des combattants en présence.

Si Marie de Verneuil et Corentin peuvent compter sur la figure aussi classique que résolue du vieux soldat honnête et n'ayant qu'une parole qu'est Hulot (en qui l'on verrait bien le prototype des "grognards" qui formeront l'armée napoléonienne), Montauran a pour lui un chouan qui en impose à tous, le dénommé Marche-A-Terre (son surnom en chouannerie), Pierre de son prénom, qui a, jadis, aimé Francine, la servante de Marie de Verneuil, et connaîtra les pires moments de son existence quand il lui faudra aider celle qu'il n'a pas oubliée sans compromettre la sécurité de la cause de celui qu'il sert. Il y a aussi la figure de Pille-Miche, espèce de lieutenant de Marche-à-Terre, infiniment moins sympathique parce que trop intéressé et que Balzac fera guillotiner dans le dernier roman de sa "Comédie Humaine." Marche-A-Terre, lui, aura plus de chance puisque, la paix revenue, il se reconvertira, probablement aux côtés de Francine, dans le commerce du bétail.

Autre personnage qui, en principe, doit appuyer de toutes ses forces le jeune marquis, Mme du Gua, la dernière maîtresse de Charette qui, depuis la mort de son amant, se laisserait bien tenter par Montauran. Mais cet appui, qu'elle lui accorde de bonne grâce et de toute sa jalousie dès qu'elle a compris le coup de foudre (il n'y a pas d'autre mot) survenu lors de la rencontre entre Marie de Verneuil et Montauran, s'entache d'une sauvagerie de femme qui veut en fait la mort de Marie non pour des raisons politiques mais bel et bien sentimentales.

Ce qui frappe le plus dans ce roman, ce qu'on prend pour ainsi dire en pleine figure, c'est l'extraordinaire vigueur du trait. Si le lecteur se passionne malgré quelques clichés, on sent bien que Balzac est lui aussi pris par son intrigue et ses personnages. Tout d'abord, et c'est là un signe qui ne trompe pas, même l'ignoble Corentin parvient à ne pas paraître manichéen dans une histoire où il lui serait si simple de l'être. Hulot, qui le méprise au plus haut point, reste le seul à se rapprocher ici du manichéisme brut quoique, il faut le souligner, il n'hésite pas à reconnaître la valeur des Chouans quand ceux-ci se sont bien battus. Quant au couple central, Marie et Montauran, on a bien du mal à les départager. Ils s'aiment, se haïssent, se rejettent, se déchirent avec la même rage avant de ... Mais chut ! N'allons pas plus loin dans les spoilers.

Et puis, il y a aussi cette inconcevable jeunesse, cette insidieuse modernité de l'histoire racontée qu'on peut reprendre, en changeant évidemment les détails, dans n'importe quel bon roman d'espionnage sur fond de guerre. Certains penseront évidemment "Au Service Secret de Sa Majesté", de Ian Fleming, où la jeune femme que vient d'épouser James Bond est froidement abattue par un ennemi du marié à qui, dans un autre roman, celui-ci ne fera évidemment pas de cadeau.

La première fois que j'ai lu "Les Chouans", je n'avais pas encore tout à fait onze ans et j'étais en 6ème. Evidemment, nous n'en eûmes que des extraits (comme pour "Le Père Goriot" que je connaissais déjà par la bibliothèque de mon frère, plus âgé) mais ils me firent une très forte impression que cette lecture intégrale de l'oeuvre, à plus de cinquante ans maintenant et dans une période un peu difficile, n'a fait que confirmer. Très sincèrement, je pense que tout amoureux De Balzac se doit de lire "Les Chouans", roman peut-être moins connu que "La Peau de Chagrin" ou "La Cousine Bette" ou l'immortel "Père Goriot", oeuvre de jeunesse aussi, comme le disait son auteur, mais oeuvre décisive, à cheval entre le Romantisme et le Réalisme, et qui démontre avec brio que, entre les deux phénomènes littéraires, Balzac fut un auteur unique et atypique. Et, pour ma part, je tiens à placer "Les Chouans" au rang de ses réussites les plus accomplies, d'autant que le contexte historique est minutieusement et très sérieusement décrit. Allez-y voir et venez nous dire si vous avez réussi à choisir votre camp : Bleu ou Blanc ? ,O)
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