Philippe avait la grippe. Il avait repoussé son voyage en Afrique du Sud et traînait sa misère à la maison. Nous vivons ensemble depuis vingt ans mais notre appartement ressemble plus à une gare de transit qu’à un lieu où nous nous posons. Philippe malade et moi coincée dans mon sas pré-spectacle, nous imitions une vie de couple ordinaire et faisions l’expérience de la promiscuité. Assommé par la fièvre, Philippe ressemblait à ces jouets mécaniques qui, arrêtés dans leur course par un obstacle, cherchent en brûlant l’énergie de leur pile comment se retourner pour reprendre leur course en sens inverse. Incapable de se concentrer, il ouvrait des livres qu’il abandonnait sur le canapé, son habituel enthousiasme en berne et son humeur maussade. Souffrants, les hommes sont des enfants qui veulent qu’on leur prépare les coquillettes que leur faisaient leurs mères. Sa présence prolongée à la maison s’apparentait à une expérience périlleuse. Perturbée, notre habitude de n’en avoir aucune se déréglait exactement comme son opposée chez les autres.
« L’humour est un don de soi dangereux et désintéressé qui nous livre tel quel à l’éventuelle générosité des autres. »
« Les secrets sont des fardeaux qui à la longue nous épuisent . »
Certains êtres, une fois apparus dans notre vie, nous condamnent au manque. Même délivrée du sentiment de haine qui m’avait attachée à lui, savoir Alexandre quelque part où je n’étais pas m’était presque intolérable. Cet homme faisait désormais partie de mon existence. Je ne voulais plus le figer dans l’ambre comme l’araignée de mon cauchemar, je voulais le voir vivre, l’écouter parler, le voir marcher sur la scène, géant vacillant et vrai tragique réduit à une triste condition de perdant dans un monde qui ne prenait pas le temps de l’attendre.
Ce qui chez elle n'est pas humain a une valeur inestimable, car c'est là que la fascination entre en jeu. Dans cet interstice où chacun se demande qui est cette apparition ni tout à fait humaine ni tout à fait objet.
Changer, c’est se renier. C’est pourquoi on change si peu. C’est accepter d’avoir perdu du temps, admettre qu’on s’est trompé et qu’on a gâché une partie de notre unique et précieuse existence.
Nos références culturelles sont les signes extérieurs de notre richesse intérieure.
Quelqu’un m’a dit un jour qu’on ne devrait jamais obliger ceux qui veulent mourir à rester en vie. Ils nous font payer notre entêtement et inlassablement essaient de nous convaincre que tout se vaut et ne vaut pas grand-chose.
Une création chassant l’autre, il faut avancer, aller vers le mieux, courir après cet inconnu qu’on porte en soi et dont on ignore la forme qu’il prendra. L’artiste crée son propre suspense et joue son va-tout avec un plaisir onaniste qui, sans cesse, le régénère et le ravage.
La vie n’est ni un parcours linéaire dont notre naissance et notre mort seraient les points A et B, ni un cercle parfait refermé sur lui-même à la manière des contes de fées. Croire à ces figures-là, c’est ignorer nos errances, leur beauté et leur essentielle inutilité. Le destin n’est que l’histoire relue et corrigée de notre vie, une histoire qui commence par la fin, écrite par les autres le lendemain de notre mort.