Nul ne peut séparer pour toujours un homme de ses semblables.
L'enfant est grand, il doit vivre sans elle, il ne reste plus qu'à boire, gorgée par gorgée, la douleur d'avoir terminé l'œuvre qui n'aurait jamais dû finir.
Œdipe se tourne vers elle avec le sourire confiant, un peu rusé qui apparaît parfois sur ses lèvres. Un sourire qui n'ignore pas la force géante de la mer ni celle du destin, mais qui sait qu'on peut faire face.
Voilà comment j'ai connu mon père. Il est apparut à un carrefour sur son char que tiraient des chevaux couverts d'écume. Il m'a intimé l'ordre de lui céder la place. Je menais aussi des chevaux, mais ils n'étaient pas attelés. Il me fallait d'abord les rassembler, les faire reculer. Par respect pour son âge, j'allais le faire, mais tout de suite ce furent des injures puis des coups de fouet en plein visage. Dans la surprise et la colère du combat, je l'ai tué sans savoir qui il était.
Diotime chante souvent, hier nous avons chanté avec elle et la tristesse a disparu.
Le plus terrible ce sont les cris, les cris de ceux qui ont peur, qui sont renversés ou emportés par les lames. Ces cris pourtant vous soutiennent car ils signifient que vous êtes là, que vous luttez encore. Le naufrage est sûr, vous êtes déjà tout engourdi par les vagues glacées qui vous assaillent, mais en somme tant qu'on crie, on est vivant.
La vie, la mort, la maladie sont de grands fauves, d'intrépides joueuses qui lancent leurs dés sans hésiter. Sans la mort quels terribles combats entre ceux qui ne mourraient plus et ceux qui grandissent, avides de terres et de liberté. Qu'adviendrait-il si le blé refusait d'être moissonné et vous de quitter vos maisons transitoires, car c'est ainsi que l'amour est possible ?
Antigone scrute la pierre où va naître le pilote. Elle ne s'est pas trompée, le contour tracé par Œdipe est trop petit et n'est plus en rapport avec les rameurs tels qu'elle les a faits. La pierre exige d'autres proportions, il n'a pas senti ce mouvement majestueux qui l'entraîne vers le haut, il n'a pu voir cette ombre qui la redresse ni le regard des rameurs dont l'espérance l'agrandit. L'agrandit jusqu'où ? Elle est effrayée, en se confrontant à la pierre, de s'apercevoir que ses propres repères sont, eux aussi, trop restreints. Le maître de la barque doit être grand, beaucoup plus grand. Il y a là une outrance qu'elle redoute. Elle court vers Œdipe : "La pierre fait du pilote un géant! - Alors, c'est la pierre qui a raison." Elle est sur le point de pleurer : "Je n'ai jamais vu de géant. - Mais si, tu en as vu. Quand tu étais toute petite tu vivais au milieu d'eux. Tu les connais très bien".
Il faut se perdre toujours plus, toi et moi.
Le plus profond, le plus caché de ses désirs, celui que le quotidien nie avec obstination mais dont l'appel constant est l'acte acharné de sa vie, ce désir est fait pour être entendu. Il l'est en ce lieu et en cet instant même.