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Trilogie mythologique (Henry Bau... tome 1 sur 4

Robert Jouanny (Éditeur scientifique)
EAN : 9782868699084
416 pages
Actes Sud (23/10/1992)
4.18/5   305 notes
Résumé :
Oedipe, celui qui - jouet des dieux - a tué son père et épousé sa mère, quitte Thèbes aveugle et accablé par le poids de sa faute. Avec sa fille Antigone, il s'engage dans une longue errance qui le conduira à Colone, lieu de sa " disparition "... et de la clairvoyance. Car ce livre est un voyage intérieur dans lequel un homme affronte les ténèbres qu'il porte en lui, jusqu'à atteindre la connaissance de soi. Dans cette quête, Henry Bauchau convoque tour à tour le ch... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (32) Voir plus Ajouter une critique
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Henry Bauchau trouve le moyen d'écrire un road-movie antique ! Sacré programme, non ? Son matériau : les bribes de la biographie d'Oedipe, personnage mythologique grec, entre son expulsion de Thèbes et son arrivée à Colone, où il a choisi de venir reposer sous la protection de Thésée.

Tout le monde ou presque connaît la fameuse légende d'Oedipe, celui qui fut éloigné dès la naissance du trône de son père Laïos suite à la malédiction d'un oracle. Celui qui, devenu adulte, tuera son père (sans savoir qu'il s'agit de lui) et épousera la femme du défunt, Jocaste, c'est-à-dire sa propre mère, après avoir résolu la fameuse énigme de la Sphinx, libérant ainsi Thèbes de la terrible épidémie de peste qui s'abattait sur elle.

Avec cette femme il aura quatre enfants, deux fils, Étéocle et Polynice, qui s'entretueront pour la couronne de Thèbes, et deux filles, Ismène et Antigone. Cette dernière étant restée célèbre pour son refus d'obtempérer aux injonctions de son oncle Créon, devenu roi après la mort des deux fils d'Oedipe. (Je sais, ce rappel mythologique ultra rapide est sans doute assez indigeste fait à cette allure, mais c'est qu'il n'est pas essentiel pour comprendre la suite.)

Ce qui nous intéresse ici, c'est ce qu'il adviendra d'Oedipe, le roi aimé de Thèbes, puis le roi banni de Thèbes, lorsqu'informé de son double sacrilège (parricide et inceste) il décidera de se crever les deux yeux et d'aller par les routes, errant comme un mendiant aveugle.

C'est précisément ici que débute le roman d'Henry Bauchau, d'où son titre, on ne peut plus à propos. Oedipe ne veut rien ni personne pour l'accompagner, il veut errer, il désire mordre la poussière pour expier son crime, si tant est qu'une quelconque expiation soit possible.

Mais c'est mal connaître les principes et la ténacité de sa fille Antigone, qui se refusera à le laisser vaguer tout seul par les campagnes. C'est un voyage très symbolique auquel l'auteur nous convie. Il rallume, complète ou invente des légendes ou des personnages auxquels il donne corps et psychologie.

Au travers de certaines digressions, notamment autour de l'histoire personnelle de Clios ou du peuple des hautes collines, Henry Bauchau recrée tout un univers à l'antique, mais avec des problématiques bien actuelles. On n'est peut être pas si loin que cela d'un conte philosophique moderne à la Candide.

Il y a beaucoup de place pour l'interprétation, mais j'y vois pour ma part, avec mes yeux d'aveugle, une parabole sur le sens de nos existences. Nous sommes tous des Oedipe, frappés de cécité, errant au hasard parmi les vicissitudes de l'existence et de la destinée.

La gloire ? le pouvoir ? La renommée ? Fariboles ! Tout disparaîtra. le monde, la folie du monde, est symbolisée par la vague, la gigantesque vague qu'Oedipe, Clios et Antigone sculptent dans la falaise et surmontent d'un phare pour guider les âmes perdues. Cette vague de folie qui peut vous retourner à chaque instant, vous submerger, vous anéantir même si vous êtes attentif.

Dans cette sculpture, le pilote est aveugle et ne peut compter que sur les bras vigoureux des rameurs pour sortir de la tourmente mais sur ses lèvres, presque imperceptible, l'amorce d'un sourire, un reste de confiance, une pincée d'espoir... Cela ne vous rappelle pas un certain : " Il faut cultiver son jardin " ? Des choses simples, la saine fatigue du labeur honnête, les relations vraies, le respect, l'art, l'amour et la conscience qu'on n'est qu'un mortel.

Voilà ce à quoi Oedipe aspire, un Oedipe auquel Henry Bauchau donne parfois des faux airs de Gilgamesh. Un géant qui a tout perdu de son pouvoir et de sa superbe et pourtant qui est heureux. Il donne et il reçoit et il cherche sa voie en donnant de la voix, chantant à qui veut l'entendre, la philosophie issue de sa vie. Les gens s'amendent à son contact tout comme lui s'améliore au leur, c'est un échange, c'est la vie.

C'est la vie telle que nous la chante l'aède Henry Bauchau dans une langue française irréprochable, volontairement sobre, très sobre, extraordinairement sobre, presque privée d'adjectifs, presque privée d'emphase ou de figures de style pimpantes. Cela confine parfois à la poésie extrême-orientale des haïkus, mais juste par instants, par touches très fines et subtiles. Il est à l'écriture ce que Miles Davis était à la trompette : un virtuose puriste.

Certes, on n'est pas obligé d'aimer Miles Davis, tout comme j'ai un amour mesuré pour l'écriture de Bauchau, mais force est de constater que dans son style, c'est bien fait et c'est beau. Ce qui me dérange, personnellement, c'est justement le côté impersonnel, désincarné, froid.

Ça manque de peps à mon goût, d'adrénaline, de saines chaleurs et d'arc-en-ciel. C'est un marbre et j'aime le feu, d'où mes trois étoiles seulement, mais il ne me viendrait pas à l'idée d'amoindrir cette prose que je trouve de qualité. C'est juste que je ne m'y reconnais pas vraiment.

Un autre pan intéressant de la narration est l'intensité, l'épaisseur et l'évolution des relations qui unissent les trois personnages centraux de l'histoire : Oedipe, Antigone et Clios. Mélange de respect filial et d'amours inavouées entrelacés et interconnectés qui ne cessent d'évoluer et de fluctuer par vague en fonction des marées et des tempêtes éventuelles.

En somme, des remparts de Thèbes jusqu'à Colone, sur les traces de Sophocle et de quelques autres, je vous invite à allez rejoindre Henry Bauchau si le coeur vous en dit, à cheminer à l'aveugle sur ces sentiers poussiéreux et inondés de soleil d'une Grèce évaporée depuis des siècles. Et n'oubliez pas que ce que j'exprime ici bas n'est qu'un misérable avis, c'est-à-dire, bien peu de chose.
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Un roman d'aventures rongé par les mythes !

C'est le périple d'Oedipe, un personnage complexe. Il a tué un homme (un cas de rage au volant) et épousé la veuve. Mais rien n'est facile dans ce « téléroman » antique, celui qu'Oedipe a tué était son père et c'est avec sa propre mère qu'il a fait quatre enfants. Quand l'inceste fut découvert, pour se punir de son aveuglement, Oedipe parcourt la campagne avec les yeux crevés et seule sa fille/demi-soeur insiste pour l'accompagner.

Quel angle adopter pour parler de sa fille Antigone ? On ne sait pas par quel côté prendre cette figure. Pas de doute, pour elle, « Le plus fort, c'est mon père ! » et elle est prête à tout pour lui : mendier, se battre ou sculpter la pierre. (Heureusement, elle n'a pas besoin de supprimer sa mère car Jocaste est déjà morte…)

Sur la route, Oedipe et Antigone rencontrent d'autres tragédies grecques : Clios, victime d'une rancune familiale à la Roméo et Juliette, un village de pestiférés, un clan qui a mis en échec les envahisseurs armés en sacrifiant sa reine et son roi.

En chemin, le héros réalise aussi des épreuves surhumaines : maîtriser un tyran, sculpter la vague dans la falaise, guérir de la peste, se changer en géant pour gravir les hautes collines et disparaître finalement dans le chemin du soleil.

Pour agrémenter son voyage, Oedipe exerce tous les arts avec brio : de la musique et de la danse, de la poésie, du chant et de la sculpture pendant que ses compagnons font aussi de la poterie, de la peinture et du tissage.

Une épopée épique (avec des batailles où une pique bien aiguisée est un atout), qui tient du fantastique, mais qui est surtout dramatique, avec des angoisses et des souffrances infinies.

Un texte qui n'a pas du tout la légèreté que j'ai voulu donner à ma critique et si les commentaires de fin du livre décrivent la quête d'Oedipe comme une métaphore de nos tourments intérieurs, il est difficile de s'identifier à des situations si extrêmes et si éloignées de notre réalité.
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Je viens de terminer ce magnifique roman. Et je ne sais absolument pas ce que je vais en dire, tant je crains de ne pas rendre justice à un récit aussi beau.

Henry Bauchau nous raconte le périple d'Oedipe, qui quitte Thèbes et part, comme le titre du roman l'indique, sur les routes De Grèce. Antigone, qui ne veut pas le voir partir et craint qu'il ne puisse se débrouiller seul (Oedipe s'est déjà crevé les yeux) le suit, malgré la réticence d'Oedipe.
Père et fille vont rencontrer de nombreuses embûches en chemin. Ils mendient pour manger et boire. Ils dorment parfois à la belle étoile. Au début, ils sont confrontés à l'hostilité de certaines personnes, qui reconnaissent Oedipe et ne veulent rien avoir à faire avec lui... le courage d'Antigone fait alors des merveilles : cette toute jeune fille de 14 ans n'hésite pas à mendier elle-même pour pourvoir aux besoins de ce père qu'elle admire tant.
Oedipe et Antigone rencontrent ensuite Clios. Ce dernier est qualifié de "bandit" mais, après une bagarre dont Oedipe sort victorieux, Clios décide d'accompagner les deux marcheurs. A partir de ce moment, le récit se transforme sensiblement. La route d'Oedipe est moins rude, car Clios veille à le guider et le soigne lorsqu'il se blesse. Antigone, qui admire Clios, est également encouragée par sa présence. Les relations entre Oedipe et sa fille semblent également facilitées par la présence de Clios. Peu à peu, les habitants des campagnes semblent tolérer ces étranges voyageurs, qui ne doivent plus mendier et s'humilier afin de recevoir un peu de pain.
Peu à peu, on en apprend plus sur chacun des personnages. Oedipe et Antigone se révèlent. Clios et Constance racontent l'histoire de leurs vies à Oedipe. Des souvenirs et des rêves reviennent à Oedipe, qui les partage avec certaines personnes. Et les personnages, sans devenir totalement attachants (Oedipe et Antigone étant bien trop impressionnants pour devenir familiers), semblent toutefois devenir plus humains et plus accessibles.

Oedipe sur la route est un véritable récit initiatique. On y retrouve des personnages en errance, en quête d'un sens à leur vie. Mais c'est aussi un roman qui m'a donné l'impression de célébrer de nombreuses formes d'art : sculpture, peinture, musique, chant, danse... Chaque personnage a un talent particulier que Bauchau nous révèle. Et ce talent devient, pour certains, la voie du salut : c'est par le chant et la sculpture qu'Oedipe retrouve un peu de sens à son existence.

Henry Bauchau a également beaucoup de talent pour "faire parler" ses personnages. A plusieurs reprises, la voix des personnages eux-mêmes est presque perceptible, tant le récit est bien écrit et permet d'oublier l'auteur qui sert d'intermédiaire entre le lecteur et les personnages. le récit de Clios, en particulier, est totalement dépaysant !

Si je ne devais choisir qu'un personnage à retenir, ce serait Antigone. Malgré son jeune âge, elle fait preuve d'un grand courage et d'une grande résistance face aux épreuves rencontrées sur le route. Je ne connaissais cette héroïne que par la pièce de théâtre de Jean Anouilh et, déjà là, je la trouvais formidable. Henry Bauchau m'a permis de l'apprécier encore plus. Oedipe est intéressant lui aussi : alors qu'on en a souvent instinctivement une image négative vu son histoire (et vu la façon dont les professeurs nous racontent son mythe...), Bauchau parvient à le rendre admirable. Malgré son infirmité, il reste un grand roi, un homme puissant, qui a l'habitude de commander des troupes et de contrôler tout ce qui l'entoure. Son errance sur la route n'en est que plus douloureuse, mais on comprend petit à petit que ce voyage est nécessaire : afin de se (re)trouver, Oedipe doit d'abord se perdre...
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'Revisité' par Bauchau, avec poésie, émotion et tendresse, l'exil vers Colone du magnanime roi Oedipe, banni de Thèbes, aveugle, divin mendiant assisté de sa fille Antigone. La rédemption du bandit Clios complétera ce trio de sculpteurs, danseurs, aèdes.

Superbe passage quand Clios raconte son amour pour le berger de l'autre vallée, de l'autre clan, l'un jouant de la flûte, et l'autre dansant sur l'autre versant, mais dans la peur d'être surpris car une dette de sang déchire les deux clans.

L'utilisation du 'présent' fait merveille, le texte est magnifique mais j'ai buté sur certains passages trop hermétiques et inaccessibles à mon petit cerveau cartésien.
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Le décès d'un auteur est souvent, un peu tristement il faut le dire, l'occasion d'entendre parler et de faire parler de lui ; voire parfois même de le découvrir pour la première fois. Ce fut notre cas avec Henry Bauchau, écrivain belge, qui s'est éteint en septembre dernier, à l'âge de 99 ans. Poète, dramaturge, romancier, psychanalyste, Bauchau aura traversé le siècle en ayant plusieurs vies.

Né en Belgique, enfant pendant la première guerre mondiale, il est mobilisé lors de la seconde et s'enfuit ensuite pour Londres. Passionné par le monde des livres, il s'installe à Paris à la fin des années 1940 pour monter une petite maison d'édition. Se lançant dans une psychanalyse, il ouvrira lui-même un cabinet à Paris dans les années 1970. La psychanalyse aura deux influences majeures sur la vie de Bauchau : elle lui « révèle » sa vocation d'écrivain, puis se marque ensuite dans le corps de son oeuvre. C'est en effet de psychanalyse dont il va être en partie question dans cet article, puisque nous vous présentons Oedipe sur la route, premier volet de la trilogie consacrée par notre auteur à la ré-écriture de mythe (suivront Diotime et les lions, et Antigone).

L'histoire commence à Thèbes dans l'Antiquité grecque : Oedipe n'est pas encore parti, mais le lien filial l'unissant à Jocaste, son épouse a déjà été révélé ; elle s'est déjà suicidée, et lui s'est déjà crevé les yeux. Il demeure à Thèbes, muré dans son silence, tandis que se trame la terrible bataille de succession entre ses deux fils Polynice et Étéocle, et Créon le frère de Jocaste, leur oncle. Puis Oedipe quitte Thèbes pour les routes De Grèce, en quête à la fois d'expiation et de sens ; très vite les gens des contrées voisines entendent la nouvelle, et il devient Oedipe le proscrit, dont personne n'ose s'approcher. Mais il ne voyage pas seul : sa fille Antigone l'a suivi, contre son gré, mais elle est là. Les premiers temps sont difficiles : rejeté partout où il se rend, le couple que forment père et fille avance dans ce qui ressemble à une errance. Oedipe, aveugle, marche en se laissant guider par une forme d'inspiration, il trébuche, s'épuise, et refuse de se laisser guider par Antigone, laquelle se voit condamnée à le suivre et à mendier pour lui. Puis leur chemin croise celui de Clios le bandit : après qu'Oedipe l'eut défait, il devient leur compagnon de voyage et de misère, non par devoir de vaincu, mais par besoin. Car Clios lui aussi est en errance, et il ne veut plus errer seul. Il voit en Oedipe une forme de figure tutélaire et il s'engage volontairement à suivre, à protéger et à servir le père et sa fille. Nos trois héros poursuivent alors une traversée initiatique à travers la Grèce, et peu à peu tout se transforme : les relations entre les protagonistes, toutes en nuances, ainsi que leurs relations avec les personnes qu'ils rencontrent. le couple proscrit se métamorphose en un trio de voyageurs porteurs d'aide et d'espoir pour ceux qui croisent leur chemin et partage un morceau de leur vie. Car même aveugle et chassé, Oedipe n'en demeure pas moins un homme à la stature immense, à l'autorité bien ancrée, à la sagesse qui se développe à mesure qu'il s'adapte à son absence de vue ; quant à Antigone, même sale et amaigrie, elle n'en demeure pas moins une femme courageuse et dévouée. Et nous les suivons sur les routes, nous sentant nous-mêmes parties prenantes au voyage. L'ouvrage, s'il est consacré il est vrai à Oedipe, place le lecteur plutôt « dans la peau » d'Antigone, et nous suivons avec elle cet homme, ce père, ce petit frère, cet amant rêvé, à travers son tragique destin.

Contrairement à d'autres réécritures de mythes, la trilogie thébaine de Bauchau ne donne pas dans l'anachronisme : l'histoire est placée dans son temps, celui de la Grèce antique et mythologique, cette Grèce qui est la Grèce des dieux, celle des Cités en guerre les unes contre les autres, celle des piques et des lances et de la survie, celle de la conquête ; mais cette Grèce mythologique est aussi la Grèce des oracles et des guérisseurs, celle des chants prophétiques et poétiques, celle de la danse, du mystère, et de l'acceptation du fait que quelque chose de plus grand dépasse les êtres humains.

Nous suivons donc nos héros à travers ce décor, dans un récit dont la trame générale est entrecoupée des récits personnels de certains personnages, et qui aident à comprendre la profondeur à la fois des personnages eux-mêmes et des relations qui se tissent entre eux. le récit de la vie Clios, dans lequel celui-ci parle à la première personne, est à cet égard notre favori.

Nous tenons ici à rassurer les lecteurs potentiels : nul besoin d'être soi-même un expert de la mythologie grecque pour suivre et apprécier cet Oedipe sur la route. Bauchau fait les rappels historiques nécessaires, et par ailleurs l'histoire se contient en elle-même, indépendamment des références.

Comme souligné précédemment, Bauchau ne fait pas d'anachronisme, certes ; mais il sera toutefois possible de percevoir des parallèles (impossible cependant en l'état de nos propres connaissances de savoir quel était véritablement le dessein de l'auteur) avec l'histoire de son temps et avec une certaine analyse des rapports de domination. En effet, ce qui se joue dans les conflits et conquêtes du passé plus récent que le passé antique, et également dans les tensions et relations entre pays et cultures de nos jours, et qui peut être apparenté à une forme d'impérialisme (que cet impérialisme trouve à s'exprimer par les armes ou par l'imposition d'une langue, dont on connaît les liens avec la culture et les façons de penser), se trouve dépeint dans les rapports entre peuples dans la Grèce antique sous la plume de Bauchau. Nous pouvons citer à titre d'exemple le récit de l'un des personnages à propos d'une guerre perdue par son peuple face aux Achéens (p.189 de l'Edition J'ai Lu) : « le péril était grand car les Achéens nous entouraient des images de leurs dieux, du récit de leurs conquêtes, et nous attaquaient jusque dans l'intimité de nos façons de vivre et de penser. (…) Ils ne nous menaçaient pas moins par le terrible usage qu'après avoir abandonné leurs dialectes ils faisaient de notre langue. Il y avait quelque chose de noble dans cet amour de nos vainqueurs pour le dernier et insaisissable trésor des vaincus. (…) Malheureusement, les Achéens ont toujours salué le combat comme le père de toutes choses. C'est cet esprit de domination et son impérieuse logique qu'ils ont introduit dans notre langue maternelle. »

Si nous vantons tant le style de l'écriture que l'histoire en elle-même, tous deux très poétiques, nous avons toutefois éprouvé par moment une sorte de lassitude ; autrement dit, ce qui attire et plaît chez Bauchau –sa poésie, la délicatesse de ses descriptions, la grâce des personnages- finit aussi par devenir un peu pesant : trop de danses, trop de phrases prophétiques, trop de lyrisme, trop d'importance donnée à ce qui devient une forme de sentimentalisme. Au bout d'un moment, on se sent un peu étouffé par cet univers ou tout bout de bois recèle un trésor poétique, ou tout pas de marche se fait arabesque. Loin de nous placer en critique de cet auteur que par ailleurs nous adorons, disons simplement que nous « déplorons » ce « trop » qui, parfois, rend laborieuse la lecture.

Enfin, concluons par une (tentative) de réflexion de portée plus générale. On retrouve dans cet Oedipe d'Henry Bauchau certains des thèmes phares des mythes que sont l'autorité, le lien familial, le devoir, la recherche intérieure et le pardon, la culpabilité, le sacrifice, la destinée des sociétés humaines, la quête du pouvoir – la folie aussi. Autant de thèmes chers également aux études psychanalytiques.

La lecture de cet ouvrage aura alors eu l'intérêt de relancer une question qui parfois travaille certains lecteurs, qu'ils soient ou non détracteurs de la psychanalyse : l'explication du mythe d'Oedipe par Freud et la mise en avant du fameux complexe sont-elles la découverte d'une nouvelle discipline et la mise au jour de mécanismes quasi universels du fonctionnement de l'être humain ? Ou bien s'agit-il avec Freud seulement, après Sophocle, Sénèque, Corneille, ou bien encore Voltaire, et avant Cocteau, Sartre, Anouilh ou bien encore Bauchau, d'une « simple » ré-écriture d'un mythe, d'une nouvelle « déclinaison » moderne du mythe, selon l'expression fameuse de Claude Lévi-Stauss, d'une « simple » oeuvre littéraire ?

Est-ce là la « destinée » nouvelle du mythe -depuis la marque laissée par Freud- que de s'inscrire au plus profond de nous-mêmes pour que chacun tâche d'y voir ce qu'il cherche à y voir ? À vous lecteurs de décider.
Lien : http://madamedub.com/WordPre..
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Citations et extraits (71) Voir plus Ajouter une citation
Elle descend dans l'ombre de la falaise et sa froide lumière. Elle voit la barque qui jaillit, très blanche, de l'énorme roche et comment, pendant ces deux jours, ces deux nuits, Œdipe a incarné sa fille Antigone dans la pierre. Autour du front et des longs cheveux que le vent déroule, le mouvement de la pierre a formé une couronne d'écume. C'est donc ainsi qu'Œdipe la pense, qu'il la fait voir, animée d'une beauté qui n'est pas celle de Jocaste ni celle d'Ismène. Une beauté active, résolue, acharnée dans la confiance. Ce visage connaît la menace de la vague, son écrasante pesanteur, mais il ne s'abandonne pas à l'effroi. La pierre l'a voulu éclairée, et solide, comme le corps, qu'elle a sculpté elle-même et retrouve avec étonnement. Ce corps dont Œdipe a accentué la ligne audacieuse qui est à la fois celle d'un garçon vigoureux et d'une jeune fille élancée, plus intrépide que les jeunes filles de Thèbes. Soudé par l'effort aux corps des deux autres rameurs, il soutient avec eux l'entreprise de survivre. Œdipe l'a achevé par le surprenant visage où tout est donné à l'effort, à la respiration juste et dont aucun des traits ne sourit. C'est la tête entière, c'est le corps tout entier qui, comme le petit dieu usé du village, sont animés d'un sourire dont la lumière transparente émane directement de la pierre. Dans ce profil né d'une vision d'Œdipe, ce qui la frappe, ce qui l'émeut surtout c'est la limpidité. C'est donc ainsi, alors qu'elle se sent souvent si troublée, si incertaine, que son esprit et ses mains l'ont aimée. Elle entoure de ses bras le sourire invisible et présent qu'il lui a donné dans la pierre, elle se réconcilie un peu avec elle-même, elle sent qu'elle pourra peut-être, comme le lui a dit Diotine, devenir un jour Antigone.
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Votre vie n'est pas à vous, elle n'est pas votre bien, et celui qui vit dans l'instant comment pourrait-il déchiffrer la langue épineuse du temps ? La vie, la mort, la maladie sont de grands fauves, d'intrépides joueuses qui lancent leurs dés sans hésiter.
Sans la mort quels terribles combats entre ceux qui ne mourraient plus et ceux qui grandissent, avides de terres et de liberté.

Chapitre 8 : Calliope et les pestiférés.
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Un jour, comme je redescendais avec le troupeau, ma mère m'a dit que mon oncle, étant veuf, avait revendiqué le pouvoir, que lui donnait la loi du clan, d'épouser la veuve de son frère. Elle lui avait répondu qu'une telle perspective, et si près de la mort de mon père, lui faisait horreur. Il avait pourtant exigé d'elle ce qu'il appelait son droit. Il avait fixé une date prochaine. [...]
J'ai été droit à mon oncle, je l'ai frappé au visage, je lui ai crié qu'il était l'assassin de mon père et qu'il ne pouvait forcer ma mère à l'épouser. [...] Nous nous sommes battus, il lui suffisait de me contenir et, quand il l'a voulu, il m'a foudroyé d'un seul coup. [...] Mon oncle ne m'a pas pardonné et je ne voulais pas qu'il me pardonne. Il a appliqué la loi du clan, épousé ma mère et j'ai vécu dès lors sous le signe de la haine.
Mon oncle travaillait ma mère chaque nuit pour lui faire un fils. Je ne le supportait pas, je me suis bâti une cabane et n'ai plus vécu avec eux.

Chapitre 3 : Alcyon.
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Elle ne sait si c'est le bruit du vent dans les arbres ou cette impression qu'elle a, depuis le matin, d'être suivie et épiée. Elle voit entre les branches un ruisseau qui coule à proximité du chemin. Elle crie à son père qu'elle va y puiser de l'eau, elle espère qu'il va s'arrêter. Elle arrive au ruisseau, s'agenouille sur le bord, trempe son visage dans l'eau. En se relevant, elle voit l'image d'un homme. Elle se retourne brusquement. Il est debout derrière elle, elle ne comprend pas comment elle ne l'a pas entendu survenir. Il est jeune, il la regarde en riant, il n'a pas l'air méchant, mais il y a pourtant dans son regard quelque chose de sauvage et d'amer qui l'effraie et la subjugue. Il dit : " Tu es belle et tu es encore plus belle quand tu es effrayée. " Elle se braque car elle sait bien qu'elle n'est pas belle, surtout quand elle a peur, et parce qu'elle est incapable de dire autre chose qu'un stupide : " Qui êtes-vous ? "

Chapitre 2 : Clios.
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Polynice est là ! Il est énorme, superbe et, bien que sans armes, avec tout l'aspect d'un grand prince et d'un guerrier redoutable. Il est consterné en voyant Œdipe et Antigone en haillons. On voit qu'enfermé dans la citadelle de lui-même, il n'a jamais imaginé jusqu'ici ce qu'ils avaient pu devenir depuis qu'ils les avait laissé chasser de Thèbes. Il se jette impétueusement aux genoux d'Œdipe, les étreint, les embrasse en pleurant. Il le supplie de lui pardonner son crime et de venir aujourd'hui à son aide.
Œdipe l'arrête avec une singulière autorité, ses gestes et toute son attitude disent : Je sais, je sais. Son fils le sent et s'apaise. Il passe avec tendresse ses mains sur le visage de Polynice, sur son cou puissant et sa magnifique chevelure. Il dit : " Tu es roi, mon fils. " Il le fait se relever, se dresse en face de lui, et c'est Polynice qui est le plus grand. Il touche ses épaules, sa taille, ses mains longues, il se réjouit de sa prestance, de sa force et de sa beauté. " Tu es roi, dit-il, tu es plus, tu es le roi, comme ta mère était la reine. C'est ce qu'Étéocle n'a pas pu supporter. C'est donc à toi de comprendre pour deux et de faire la paix avec la force de ton âme. Un vrai roi, comme tu l'es, n'a pas besoin de trône pour régner.

Chapitre 15 : Récit de Narsès à Diotime.
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